Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de la Présentation de Jésus au Temple
Dimanche 2 février 2014 - Notre-Dame de Paris
A travers l’offrande que Joseph et Marie font de leur fils à Dieu, nous voyons l’annonce de l’offrande que Jésus fera de sa vie. En donnant sa vie pour le monde, le Christ est la lumière pour l’humanité. Nous nous laissons illuminer par cette lumière, et nous sommes invités à la partager. La vie consacrée donne le signe d’une vie donnée par amour de Dieu et des hommes.
– Ma 3, 1-4 ; Ps 24, 7.8.9.10 ; He 2, 14-18 ; Lc 2, 22-40
Frères et Sœurs,
Quand Joseph et Marie viennent en pèlerinage à Jérusalem pour présenter Jésus au Temple, ils accomplissent, comme nous le dit l’évangile : « ce qui était prévu par la Loi de Moïse » (Lc 2, 23) et d’une certaine façon cette offrande au quarantième jour correspond à la clôture du temps coutumier de l’enfantement, et clôture la mémoire que nous faisons de la nativité de Jésus. À cette occasion, nous voyons d’une façon très forte le lien qui existe entre les promesses de l’Ancien Testament et leurs réalisations dans la personne du Christ. En effet, cette visite rituelle au Temple de Jérusalem est une observance de la Loi de Moïse. Syméon et Anne, qui sont comme deux figures de la sagesse et des prophètes d’Israël, représentent l’attente du peuple saint. En même temps, alors même qu’ils reconnaissent dans la personne de Jésus celui que Dieu avait promis, s’ouvre une nouvelle étape de l’histoire de l’Alliance qui va faire du don de Dieu une lumière pour les nations païennes. Alors que le Temple était le lieu spécifique de l’identité du peuple Juif ainsi que le signe de l’Alliance et de la présence de Dieu à son peuple, au point que dans la construction même, les espaces où pouvaient pénétrer les Juifs et où devaient rester les païens étaient délimités, la venue du Christ ouvre l’Alliance à l’humanité tout entière, du moins à ceux qui veulent bien l’accueillir. Comme saint Paul le dira dans une de ses épîtres, « il a abattu le mur de la haine pour faire des deux peuples, Israël et les païens, un seul peuple » (Ep 2, 14). C’est en cela que Syméon reconnaît celui qui était promis, il « vient dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, le voici qui vient, – dit le Seigneur de l’univers » (Ma 3, 1). Cette prophétie de Malachie se trouve accomplie dans la personne de Jésus.
Devenu Messie pour les nations, pour l’univers entier, il devient, d’une certaine façon, la lumière envoyée par Dieu pour conduire l’humanité. Tout au long de l’histoire de l’alliance, l’opposition entre les ténèbres et la lumière a été une manière de décrire le drame que vivait le peuple. Alors qu’il se laissait conduire ou enfermer dans les ténèbres, Dieu venait lui apporter sa lumière et le conduire, comme la nuée avait conduit le peuple à travers le désert. Dieu produisait sa lumière pour conduire le peuple à travers son histoire, et dans la personne de Jésus, cette lumière envoyée au Peuple élu est offerte à toutes les nations, il devient la lumière pour tous les peuples.
À travers l’offrande que Joseph et Marie font de leur fils à Dieu, se profile déjà comme Syméon va le dire, l’épreuve du véritable sacrifice. Cette offrande n’est elle-même qu’une prophétie du don que Jésus fera de sa vie au Père pour le salut des hommes. L’offrande de Jésus au Temple de Jérusalem est comme une annonce lointaine de l’offrande qu’il fera de sa vie au Golgotha. S’il est la lumière pour toute les nations, c’est d’abord précisément parce qu’il donne sa vie pour tous les hommes. Cette capacité d’être lumière pour l’humanité s’enracine dans le don qu’il fait de sa vie. Il est le Messie qui éclaire tout homme parce qu’il accepte d’être le serviteur et de se laisser conduire à la passion et à la mort.
Nous avons, nous, bénéficié de cette lumière apportée par le Christ pour toutes les nations, nous sommes éclairés par la lumière du Christ. Il est lui-même la lumière et il dit à ses disciples qu’ils doivent eux-aussi être la lumière, « la lumière n’est pas faite pour être mise sous le boisseau mais pour être mise sur le lampadaire et éclairer tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5, 15). Cette lumière, nous l’avons reçue pour la partager, pour la communiquer, pour lui permettre d’éclairer les hommes et les femmes de notre temps à travers les épreuves de leur vie, à travers l’histoire de leur existence. Nous ne pouvons pas prétendre être éclairés par la foi, bénéficier de la lumière du Christ sans devenir à notre tour des portes-lumière qui partagent cette lumière avec leurs frères. Il n’y a pas de véritable lumière de Dieu dans notre vie si nous n’acceptons pas que cette lumière transforme notre vie pour devenir une lumière pour les autres. Cette transformation de notre vie s’achève et s’accomplit dans l’offrande que nous sommes appelés à en faire, au terme normal de notre existence, quand le moment est venu de rendre notre âme à Dieu. Nous sommes lumières dans le Christ si nous acceptons de participer à sa mort et à sa résurrection. Nous communions dans la lumière du Christ, si nous communions à ses souffrances et à sa victoire. C’est pourquoi, ce jour de la fête des lumières a été choisi dans l’Église pour faire mémoire de la vie consacrée, c’est-à-dire d’une vie qui est tout entière donnée par amour de Dieu et des hommes, pour être offerte, pour devenir une illumination au milieu de l’humanité.
Il arrive au cours de l’histoire, que quelques personnalités exceptionnelles éclairent de leur rayonnement ceux qui les entourent, et peut-être avec la tendance de la médiatisation qui est la nôtre, nous avons tendance à concentrer toute notre attention sur ces personnalités exceptionnelles. Mais dans le Christ, celles et ceux qui sont engagés dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance deviennent des témoins par leur vie, de ce qui est la vocation finale de tous les baptisés. Et ces témoins doivent dans la vie de l’Église, être comme une sorte de boussole qui nous aide à comprendre dans quel sens notre vie doit se construire. Ils sont comme les avant-coureurs qui marchent devant nous, pour nous faire comprendre vers où nous allons.
Alors en ce jour où nous prions avec plus d’attention et de vigilance pour celles et ceux qui ont été appelés à la vie consacrée, nous prions aussi le Christ pour que sa lumière ne trouve en nous aucun obstacle, pour que notre vie devienne une lumière à l’intention des hommes et des femmes au milieu desquels nous vivons, pour que nous soyons un rayon de l’espérance.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.