Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Liturgie byzantine à la paroisse gréco-catholique roumaine St Georges – Dimanche d’Adam chassé du Paradis
Dimanche 2 mars 2014 - Paroisse greco-catholique Roumaine - Paris XVIe
La figure de Mgr Ghika est un témoignage d’une étroite communion vécue avec le Christ et les pauvres comme une application de la parole de Jésus "La où est ton trésor, là aussi est ton cœur." La volonté de posséder conduit à la convoitise, la jalousie et la violence. C’est en recourant à la miséricorde qu’on peut se purifier.
– Rm 13, 11 – 14, 4 ; Mt 6, 14-21
Mgr Claude, Cher Père, chers amis, Monsieur le Maire,
C’est une joie pour moi d’être au milieu de vous aujourd’hui et de prier en ce jour du Seigneur avec votre communauté roumaine de Paris. C’est une joie aussi de faire mémoire dans notre cœur de la grande fête de la béatification de Mgr Vladimir Ghika à Bucarest l’année dernière, et de porter dans notre prière les évêques, les prêtres, les diacres et tous les fidèles de l’Église grecque-catholique roumaine qui continue de vivre le témoignage de Mgr Ghika. Je voudrais vous inviter simplement à méditer et vivre les textes de la liturgie de ce jour à la lumière du témoignage que nous a donné Mgr Vladimir : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur ». Vous connaissez tous l’histoire de la vie de Mgr Vladimir Ghika, et vous savez comment il a mis en pratique l’appel du Christ à vivre la pauvreté totale. Il a vécu un certain nombre d’années dans des conditions très difficiles, à Villejuif, avec des gens qui étaient abandonnés de tous, dans des conditions de misère dont nous n’avons pas beaucoup idée aujourd’hui. Lui qui était de famille royale et habitué à la vie luxueuse de la noblesse roumaine de son époque, il est venu se faire pauvre parmi les pauvres et il a mis en évidence où était le trésor de son cœur. Le trésor de son cœur n’était pas la richesse ou la gloire auxquelles il aurait eu droit par sa naissance, c’était sa communion avec le Christ, c’était sa communion avec les pauvres. Et, en vivant cette communion avec le Christ et cette communion avec les pauvres, il amassait un trésor invisible aux yeux de tous, mais qui lui a permis de vivre dans les années difficiles de la Deuxième guerre mondiale puis de l’instauration du régime communiste en Roumanie. Ce trésor allait lui permettre de vivre totalement donné à l’amour de Dieu et de porter au milieu de ses frères le signe que le véritable trésor qu’il avait découvert, c’était le Corps du Christ ressuscité aujourd’hui, son Corps qui est l’Église.
Par son ministère, par les choix qu’il a faits, en particulier de rentrer en Roumanie au moment où beaucoup espéraient pouvoir en sortir, et de se décider à ne plus quitter son peuple dans l’épreuve, il nous a montré comment l’Évangile peut se mettre en pratique. Ce ne sont pas les trésors périssables que l’on peut amasser et qui sont menacés par la ruine, ou « dévorés par les vers » (Ac 12, 23) comme nous dit l’évangile, qui doivent mobiliser toute notre énergie, mais c’est la constitution de ce trésor indestructible et inaltérable qui est la vie du Christ en nous, et l’appel qu’il nous adresse pour devenir ses témoins.
La volonté de posséder les biens de la terre suscite inévitablement dans le cœur de l’homme la convoitise, la jalousie et la violence. L’épître aux Romains nous invitait à vivre dans la miséricorde, dans la liberté intérieure, c’est-à-dire à nous affranchir de cette convoitise par laquelle nous devenons concurrents les uns des autres, et bientôt adversaires ou ennemis. Je sais que, pour beaucoup d’entre vous, les événements qui se déroulent actuellement en Ukraine sont très présents à votre pensée et à votre cœur. Nous prions pour tous nos frères et sœurs Ukrainiens. Nous prions particulièrement pour que cette période troublée de leur pays ne devienne pas une source nouvelle de convoitise et de violence pour profiter de l’affaiblissement de l’Etat ukrainien en s’appropriant ses biens. Nous prions pour que la miséricorde habite les cœurs, pour que le désir de vivre mieux ne se construise pas au détriment de la communion entre les hommes.
Prions le Seigneur pour que nous soyons vraiment des hommes et des femmes de miséricorde. Chacune et chacun d’entre nous a quelque chose à se faire pardonner, chacune et chacun d’entre nous a, dans son passé, dans son histoire, lointaine ou récente, des fautes, des péchés, des erreurs ? Nous devons assumer cette réalité qui fait partie de notre trajet. Et nous devons l’assumer en suppliant Dieu qu’il nous purifie, qu’il nous délivre de ce qui nous enchaîne, sans essayer d’accuser les autres de ce qui nous gêne.
Prions donc le Seigneur qu’il mette en nous ce désir de la miséricorde, cette expérience de la miséricorde, grâce à laquelle nous devenons nous-mêmes miséricordieux et capables de pardonner.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.