Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - Mercredi des Cendres
Mercredi 5 mars 2014 - Notre-Dame de Paris
Avec le Carême, nous entrons dans le temps favorable pour nous laisser réconcilier avec Dieu. Les cendres sont les signes extérieurs d’une réalité intérieure : une conversion du cours. L’aumône, la prière, le jeûne sont des moyens de l’exprimer.
– Jl 2, 12-18 ; Ps 50, 3-6.12-14.17 ; 2 o 5, 20 – 6, 2 ; Mt 6, 1-6.16-18
Frères et Sœurs,
C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du Salut. Le Seigneur a exaucé la prière de son peuple en envoyant son Fils dans le monde pour qu’il prenne sur lui notre péché et qu’il extermine le mal du péché par le don qu’il fait de sa vie et par sa résurrection.
C’est pourquoi, comme saint Paul le dit aux Corinthiens, nous sommes invités au nom du Christ, au nom de celui qui a donné sa vie pour le salut des hommes, à nous laisser réconcilier avec Dieu. Ce temps de la réconciliation n’est pas un temps de tristesse, mais c’est un temps d’espérance et de joie. Depuis la mort et la résurrection de Jésus, nous sommes entrés dans le temps favorable, dans le jour du Salut.
C’est pourquoi, au moment où nous entrons dans ce chemin de conversion que représentent les semaines du carême jusqu’à Pâques, nous avançons avec détermination mais dans la paix et dans l’espérance. Nous savons que le renouvellement de notre vie baptismale et la restauration de la plénitude de la grâce dans notre vie ne sont pas l’œuvre de nos mains, c’est l’œuvre de Dieu qui se réconcilie le monde avec lui dans la mort et la résurrection de son fils. C’est pourquoi nous entendons, avec beaucoup d’espérance, l’appel à la conversion qui nous est adressé par les prophètes comme ils l’ont adressé au peuple d’Israël, promesse que Dieu ne reste pas sourd et indifférent quand il voit l’homme pécheur supplier pour sa conversion. Nous le savons, l’une des ruses les plus profondes du péché, c’est de se dissimuler à nos propres yeux, c’est de nous donner le sentiment que, finalement, nous ne sommes pas si pécheurs que cela, que finalement nous sommes à peu près dans les conditions que Dieu attend de nous. Or ce que les prophètes ont rappelé, et ce que nous entendons aujourd’hui, c’est que nous avons besoin de revenir à la source baptismale, nous avons besoin de revenir à l’authenticité de la vie chrétienne, nous avons besoin de revenir au sermon sur la montagne dans l’évangile de saint Matthieu et dont nous venons d’entendre encore un passage aujourd’hui. Revenir à Dieu de tout notre cœur, ce n’est pas simplement prendre des postures, des attitudes de conversion, faire des gestes de pénitence, c’est vraiment ouvrir notre cœur au renouvellement que Dieu nous propose : « Ne déchirez pas vos vêtements, mais déchirez vos cœurs, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment » (Jl 2, 13). C’est cette confiance dans la miséricorde et l’amour de Dieu qui nous permet, malgré nos défauts, malgré nos faiblesses, malgré notre péché, de nous tenir devant lui et d’oser demander à être réconciliés par lui.
Ce chemin de conversion s’exprime évidemment par des gestes extérieurs, comme nous allons le faire tout à l’heure en recevant les cendres en signe de deuil et de pénitence, mais nous devons être bien attentifs à ce que ces signes extérieurs expriment une réalité intérieure. En recevant les cendres, nous sommes appelés à la conversion, « convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 15). En faisant cette démarche, nous nous demandons à nous-mêmes d’ajuster l’état de notre vie intérieure à l’aspect extérieur que nous renvoyons. Ce n’est pas la démarche qui est pénitentielle, c’est le cœur qui est pénitentiel ! La démarche exprime ce que le cœur veut vivre et faisant cette démarche, nous demandons que l’Esprit du Christ habite en nos cœurs et nous mette en situation de vivre la réconciliation. L’évangile de saint Matthieu met en avant trois critères à travers trois exemples, qui ont toujours servi de point de repère pour définir le chemin de la conversion, à savoir : l’aumône, la prière et le jeûne. Ces trois attitudes sont soutenues par une question qui vise à vérifier l’authenticité de notre démarche. Les gestes que nous faisons sont visibles. Si nous prions cela se voit, si nous faisons l’aumône cela se voit, si nous jeûnons cela se voit, et quand nous recevons les cendres cela se voit. Mais cette visibilité de nos actes humains ne doit pas se substituer à la véritable conversion intérieure qui n’est visible que de Dieu qui sonde les reins et les cœurs. Nous posons des actes qui nous constituent comme le peuple de la conversion. Nous ne posons pas des actes qui nous font apparaître justes sans que notre cœur lui-même soit touché et changé.
Ainsi, le Christ nous invite à faire dans le secret ce que seul notre Père voit : « ton Père voit ce que tu fais dans le secret » (Mt 6, 18). La prière intérieure s’exprime par des gestes extérieurs, mais les gestes extérieurs de la prière ne sont rien, s’il n’y a pas la prière intérieure. L’aumône se manifeste par des gestes de partage, mais l’aumône ne serait rien si elle se réduisait qu’à une offrande économique. Elle doit exprimer aussi l’ouverture de notre cœur dans la relation aux autres. L’exercice concret et réel de la charité ainsi que le jeûne ne doivent pas devenir un spectacle que nous donnons aux hommes mais l’expression de la contrition que nous vivons en nous-mêmes en pensant à toutes nos dépendances, à toutes les manières dont nous sommes asservis à la consommation.
Ainsi Frères et Sœurs, en ce jour où nous entrons dans ce temps de carême, nous sommes exhortés par Dieu à vivre un retournement intérieur qui correspond à la réconciliation qui nous est promise et à laquelle nous aspirons, et qui exprime par le changement de notre cœur, la volonté d’être un peuple de rachetés. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.