Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame de Paris pour la 6e Nuit des Témoins organisée par l’AED

Vendredi 28 mars 2014 - Notre-Dame de Paris

Le 1er commandement donné par Dieu à Moïse est devenu comme la "carte d’identité" du Peuple Juif. Nous le recevons à notre tour à la suite du Christ. La fidélité à ce commandement continue d’être source de persécution au XXIe siècle à travers le monde. Les témoins du Christ nous fortifient par leur exemple.

 Vendredi de la 3e semaine de Carême - Année A

En présence de Sa Béatitude Mgr Ibrahim Isaac Sidrak, Patriarche de l’Eglise catholique copte (Egypte), de Mgr Dieudonné Nzapalaïnga, archevêque de Bangui (Centrafrique), Mgr Amel Shamon Nona, archevêque de Mossoul (Irak)

 Os 14,2-10, Ps 80 ; Mc 12, 28b-34

Frères et Sœurs,

Depuis que Dieu, par l’entremise de Moïse, a donné à son peuple ce commandement, celui-ci est devenu comme une sorte de carte d’identité pour le peuple Juif, carte d’identité intégrée, intériorisée, apprise par cœur, répétée jour après jour dans la prière, comme une sorte de marque qui permet de reconnaître le peuple de Dieu. Le peuple de Dieu, c’est le peuple de ceux qui ne reconnaissent qu’un seul Dieu, un Dieu unique. Ce commandement, comme nous le dit le livre de Deutéronome « tu le rediras à tes enfants, tu le répéteras sans cesse, que tu sois debout ou couché, en voyage ou dans ta maison ». Cette profession de foi est le cœur de la foi d’Israël, à la différence des peuples païens qui l’entourent et qui sont voués à une multitude de dieux, de dieux qui sont d’ailleurs des idoles que l’on voit, que l’on fabrique, que l’on peut toucher, et qui peuvent à l’occasion devenir des totems de guerre pour se confronter aux autres peuples. Israël, par la profession de foi quotidienne au Dieu unique, est préservé de cette religion idolâtrique et violente. C’est ce commandement que Jésus reprend comme le premier des commandements, auquel on reconnaît les véritables disciples du Christ.

Ce premier commandement, comme les Juifs l’ont reçu, nous le recevons et il devient pour nous aussi une carte d’identité au milieu d’une humanité traversée par toutes sortes d’idéologies, de courants religieux, de philosophies diverses, qui ont tous la caractéristique de ne se référer qu’à des idées ou à des projets mais ne sont liés à aucune personne. La foi chrétienne, comme la foi d’Israël a pour terme une personne qui est Dieu. C’est cette personne qui est le centre de l’univers et de notre vie.

La fidélité à ce commandement principal, et au second qui lui est semblable « d’aimer son prochain comme soi-même », Israël en a payé le prix fort tout au long de son histoire, chaque fois qu’il a été confronté à des peuples païens, dominé, vaincu par les armes, séduit par ces peuples païens qui ont essayé de l’assimiler comme au temps de l’occupation grecque de la Palestine. Mais dans ces périodes de troubles où les plus faibles se laissaient entraîner pour n’être pas distingués des autres, il est toujours resté un noyau réduit des fidèles, tels ceux que nous présente le Livre des Macchabés où nous est rapportée l’histoire de cette femme et de ses sept enfants qui préfèrent mourir plutôt que de trahir la Loi. Israël a payé le prix du témoignage pour être fidèle à Dieu et ne pas le trahir. Et à la suite du Christ, ses disciples, emplis de l’Esprit Saint, ont continué de rendre ce témoignage au milieu des peuples païens, très vite confrontés à la persécution pour refuser de rendre à l’empereur et aux dieux païens, l’hommage qu’il lui demandait. Mais plus largement, au long de l’histoire de ces vingt siècles, dans beaucoup de pays du monde, des hommes et des femmes ont payé de leur vie la fidélité au Christ. Je me rappelle, il y a quelques années d’avoir eu le privilège de visiter le diocèse de Bac Ninh au Vietnam. L’évêque de Bac Ninh était le descendant d’un de ces martyrs du XIXe siècle, qui avait tout simplement refusé de fouler au pied la croix du Christ. Cette croix, qui avait été l’instrument de leur épreuve, était vénérée dans ce diocèse comme le signe de la fidélité de la foi. Évidemment, il n’était pas besoin de faire de grandes considérations pour comprendre que ce témoignage des premières générations chrétiennes de ce pays continuait d’être requis par les chrétiens d’aujourd’hui. À travers les cinq continents du monde, des hommes et des femmes sont encore livrés à la persécution, soit parce qu’ils croient au Christ et refusent de le renier, soit encore parce qu’ils essayent, selon leurs moyens et avec leurs forces de mettre en pratique le commandement de l’amour du prochain. Le bruit court à travers le monde moderne que le monothéisme, la foi en un Dieu unique, serait générateur de violence et de haine. De fait, dans beaucoup de pays aujourd’hui, nous voyons des luttes politiques, économiques, tribales, ethniques qui se couvrent du vêtement de la religion pour dissimuler les véritables intérêts poursuivis et nos informations transforment ces combats politiques, économiques, ethniques, en guerre de religion. Quoi qu’il en soit dans ces violences commises à travers le monde, la foi des chrétiens est éprouvée, leur attachement au Christ est contesté, leur volonté de vivre en Église est mise à l’épreuve et c’est là que nous voyons, comme le dit le Christ dans l’évangile à propos de ce scribe, si nous sommes proches du royaume ou si nous en sommes encore très éloignés, défendant des idées, des modèles sociaux, des convictions politiques, au lieu de témoigner de l’unique commandement que Dieu a donné aux hommes à travers l’alliance d’Israël renouvelée dans le Christ et ouverte à l’humanité entière.

Le témoignage de la foi ne prend pas toujours des formes violentes, il peut être simplement la capacité de résister aux idées toutes faites, aux manières païennes de se représenter l’existence humaine, aux modèles païens de société. Cette résistance contraint quelquefois à entrer en conflit comme l’évangile nous y prépare dans la bouche du Christ, avec sa famille, avec ses amis, avec les gens près de qui nous travaillons, parce que l’attachement au Dieu unique l’emporte sur toute relation en ce monde.

Frères et sœurs, en vivant cette Nuit des témoins et en faisant mémoire de ce témoignage rendu au Christ par tant de nos frères et de nos sœurs à travers le monde, nous sommes en même temps provoqués dans nos faiblesses, dans nos lâchetés, dans nos hypocrisies, et nous sommes fortifiés par l’exemple qu’ils nous donnent et qui nous permet nous aussi de reconnaître que Dieu est l’unique, que nous devons l’aimer de toutes nos forces et de tout notre cœur, et aimer notre prochain comme nous-mêmes. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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