Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la messe chrismale 2014
Cathédrale Notre-Dame de Paris, le 16 avril 2014
– Messe chrismale 2014
– Dans les coulisses de Notre-Dame de Paris : la fabrication des saintes huiles
Frères et Sœurs, chers amis,
« L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. »
Dans la synagogue de Nazareth, en reprenant et en s’appliquant la prophétie d’Isaïe, Jésus annonce clairement sa mission de Messie de Dieu, envoyé pour le salut du monde. Le don de l’Esprit et l’onction qui l’exprime étendent à l’Église tout entière l’envoi en mission qui sera manifesté à la Pentecôte quand l’Esprit descendra sur les disciples sous la forme des langues de feu qui se déposeront sur chacun d’eux. Depuis lors, celles et ceux qui sont marqués par le sceau de l’Esprit-Saint participent à la mission de Jésus. C’est ainsi que le Saint-Chrême, que je vais consacrer tout-à-l’heure, manifeste et réalise cette onction sainte qui nous conforme au Christ mort et ressuscité. Nous sommes associés à sa mission, non par des intentions, si généreuses soient-elles, ou d’extraordinaires projets d’action, mais par la présence de Dieu lui-même au plus profond de notre être et de notre liberté. Celles et ceux qui sont baptisés et confirmés, ceux qui sont ordonnés au presbytérat ou à l’épiscopat deviennent par le fait même ceux qui ont à annoncer la Bonne Nouvelle aux hommes et aux femmes de leur temps.
Depuis un peu plus d’un an qu’il a été appelé au ministère d’évêque de Rome, le Pape François nous a répété de toutes sortes de façons avec persévérance, comment l’Église ne peut percevoir sa véritable identité et la mettre en œuvre que si elle ne reste pas centrée seulement sur elle-même, c’est-à-dire si elle revient sans cesse à son véritable centre qui est le Christ et si elle se laisse entraîner par l’amour de Dieu, la charité, vers les hommes qui attendent la Bonne Nouvelle, même s’ils ne le savent pas. Bien sûr ce discours n’est pas une nouveauté pour ceux qui essaient de suivre le Christ, mais, par sa manière personnelle de l’exprimer, le Pape renouvelle notre disposition à l’écouter et notre détermination à le mettre en pratique.
La passion d’annoncer l’Évangile, Bonne Nouvelle pour le monde, anime notre Église qui est à Paris depuis des générations. Même si nous ne remontons pas aux temps héroïques de la fondation et si nous nous limitons à évoquer les deux siècles écoulés, notre mémoire collective garde vivant le souvenir des nombreuses initiatives et des grandes figures de cet investissement missionnaire. Que ce soient des communautés religieuses ou des personnalités laïques, le XIXe siècle et le XXe siècle en donnent de nombreux exemples. En nommer quelques-unes, parmi les plus connues, n’exprime aucun mépris pour les autres : Catherine Labourée et Rosalie Rendu dans le service des pauvres, Marie-Eugénie Milleret et Madeleine-Sophie Barat dans le domaine éducatif, le P. Daniel Brottier et Frédéric Ozanam dans l’aide aux plus démunis restent comme les traces de la fécondité de la charité dans le corps ecclésial.
Dans la même période, nous devons aussi évoquer les chrétiens confrontés aux diverses formes d’incroyance vécues par les populations déracinées et transplantées de la France rurale vers les grandes agglomérations industrielles. En évoquant la Mission de Paris suscitée par le cardinal Suhard, en nous souvenant de Madeleine Delbrêl et de ses écrits, nous sommes ramenés à cette confrontation à l’incroyance de notre temps. Tant de chrétiens ont perdu le sens de leur appartenance ecclésiale et se sont peu à peu installés dans une vie d’où la référence à Dieu est devenue absente ! Tant de nouvelles générations ont été emportées par le dynamisme d’une société en pleine expansion. Pour ces générations, la question religieuse paraissait périmée, les références morales de l’existence humaine dépassées ! Tant d’hommes et de femmes pour qui la tradition chrétienne est réduite à quelques jours de congés supplémentaires et à une relance de la consommation ! Nous sommes aujourd’hui les héritiers de cette sourde dépossession qui a remplacé la grande espérance chrétienne par de petits espoirs si souvent déçus et par le malaise que provoque l’évanouissement d’un grand rêve : le bonheur à portée de la main.
Aujourd’hui, c’est dans cette société et dans cette culture que nous sommes appelés à annoncer la Bonne Nouvelle du Salut que Dieu offre aux hommes. Notre témoignage doit être formaté par l’Esprit-Saint. Nous en découvrons les contours et la logique dans la Bible qui présente toujours la Révélation à travers des événements historiques interprétés et éclairés par la Parole de Dieu proclamée par les prophètes et les Apôtres. Cette indissociable unité entre la bonne nouvelle annoncée et une vie renouvelée est le fondement de toute expérience missionnaire : nous sommes invités d’un même mouvement à annoncer le Christ et à mettre sa Parole en pratique dans la trame de nos existences.
Dans le diocèse de Paris, j’ai lancé un appel pour faire de l’Avent 2014 un temps de mission diocésaine : annoncer à ceux et à celles qui ne l’ont jamais su, et rappeler à ceux et à celles qui l’ont oublié, que Noël n’est pas simplement une fête des enfants, une fête des familles ou une fête de la lumière. Ce n’est une fête des enfants, des familles ou de la lumière que parce que c’est la fête de la naissance de Jésus de Nazareth, fils de Marie et fils de Dieu, envoyé dans le monde pour accomplir la Promesse du Salut. Mettre à nouveau nos contemporains devant le réalisme et l’objectivité des fondements de notre espérance : l’événement historique de la naissance de Jésus.
Mais, pour que l’annonce de cet événement historique soit une bonne nouvelle, il faut encore que nous donnions les signes visibles de la nouvelle vie dont il est la source et la cause. En quoi et comment la foi au Christ change-t-elle notre vie ? Annoncer que le Christ est le sauveur du monde ne peut pas se réduire à un travail de propagande ou de surenchère médiatique. C’est une démonstration de force ; pas de notre force, mais de la force de Dieu qui traverse notre faiblesse que nous partageons avec tous les êtres humains.
Ce que notre manière de vivre doit montrer, c’est que, quelque faible que nous soyons, nous sommes habités par une certitude et une espérance : Dieu peut changer la vie du monde, la preuve c’est qu’il change la nôtre. Comme tout un chacun, nous sommes habités par des désirs contraires, nous sommes tentés par la volonté de puissance, par le désir de posséder les biens de ce monde et même de nous servir des autres pour parvenir à nos fins. Comme tout un chacun, nous sommes faibles devant la souffrance et la mort et nous sommes tentés de nous en affranchir. Mais comme disciples du Christ, nous sommes habités par une force qui nous dépasse et qui nous rend capables de surmonter nos faiblesses pour venir en aide à nos semblables. Avec saint Paul, nous pouvons dire : « Ce trésor, nous le portons dans des vases d’argile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous. Pressés de toute part, nous ne sommes pas écrasés ; dans des impasses, mais nous arrivons à passer ; pourchassés, mais non rejoints ; terrassés, mais non achevés ; sans cesse nous portons dans notre corps l’agonie de Jésus afin que la vie de Jésus soit elle aussi manifestée dans notre corps. » (2 Cor. 4, 7-10).
Heureusement, ce témoignage de la force de l’Évangile ne repose pas sur les capacités ni même sur la sainteté de chacun d’entre nous, il est un témoignage de l’Église entière. C’est de la vitalité et de l’implication de chacun d’entre nous que dépend ce témoignage, mais, en même temps, il dépasse infiniment ce que chacun de nous peut faire et vivre. C’est dans la communion des baptisés que se construit l’image de la vie nouvelle que nous annonçons, chacun et chacune y a sa part, mais aucun ne peut laisser limiter son témoignage par la faiblesse de sa vie. Aucun de nous ne peut se donner en exemple, mais aucun non plus ne peut se récuser au prétexte de sa faiblesse. C’est tous ensemble que nous manifestons que l’amour de Dieu est une espérance pour tous.
Au cours de la mission de l’Avent 2014, nous n’allons pas nous offrir en modèle à des gens qui ont peut-être autant de vertus que nous, mais nous allons dire sereinement à nos contemporains que l’amour des autres ne dépend pas de nos bons sentiments mais de la certitude que « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils, son Unique, non pas pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui ». (Jean 3,17). Porter cette parole est à la fois un service que nous devons à nos frères, une joie que nous sommes appelés à connaître et une espérance que cette parole peut renouveler notre manière de vivre.
C’est pour le service de cette mission que je m’adresse particulièrement à ceux d’entre vous qui se posent la question de leur avenir. Nous avons en cette ville un peuple nombreux et vivant qui a besoin de pasteurs pour se donner pleinement à sa mission en ce temps. N’hésitez pas à répondre à l’appel de Dieu pour le service de l’Évangile ou du moins à étudier sérieusement cet appel, à l’accueillir dans la prière et à en parler avec un prêtre. Pensez à tout ce que vous avez reçu et que vous recevez de l’Église par la vie sacramentelle. Pensez à la multitude d’hommes et de femmes qui attendent un signal pour accueillir l’amour de Dieu ! Pensez à celles et à ceux auxquels nous ne pouvons pas consacrer le temps nécessaire ; pensez aux personnes qui attendent patiemment dans nos sanctuaires pour recevoir le pardon de Dieu ! Le Pape invite les chrétiens à se confesser, c’est bien, mais encore faut-il qu’ils trouvent des confesseurs ! Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement !
Dans quelques jours, plusieurs centaines de catéchumènes vont entrer dans la vie chrétienne et deviendront membres de nos communautés. Ce soir nous prions particulièrement pour toutes celles et tous ceux que j’ai appelés solennellement au baptême et qui recevront l’onction du Saint-Chrême. Les communautés contemplatives qui les ont portés dans la prière tout au long de ce carême viendront me rendre les livres où leurs noms sont écrits. Dans un instant les prêtres vont renouveler les promesses de leurs ordinations. Ils le feront en communion avec ceux d’entre nous qui ne peuvent pas être présents ce soir, ceux qui sont bloqués par l’âge ou la maladie mais aussi ceux qui sont retenus à Lourdes par le Frat qu’ils ont accompagné. Au moment d’accueillir cette démarche, je veux dire à chacun ma joie et ma reconnaissance pour la manière dont ils servent le Peuple de Dieu qui nous est confié. Chacun, avec ses talents et ses limites, manifeste cette puissance de Dieu qui anime le ministère apostolique. Plus qu’à d’autres époques peut-être, nous sommes invités à assumer des changements qui nous touchent tous. Nous ne les vivons pas dans la crispation et la panique qui peuvent affecter ceux qui n’ont pas d’espérance. Nous les vivons dans la paix et la sérénité de ceux qui ont tout reçu de Dieu et qui s’en remettent à lui avec confiance et détachement. Cher frères prêtres, grâce à votre ministère, la vie de notre Église porte ses fruits : la Parole de Dieu est annoncée, les sacrements célébrés et la miséricorde de Dieu proposée à tous ceux qui ouvrent leur cœur à la conversion. Étant votre évêque, je mesure chaque jour votre générosité et votre passion pour l’Évangile et j’en rends grâce à Dieu.
Les diacres permanents vont aussi renouveler leurs promesses. Chacun, selon ses possibilités, se met généreusement au service de la mission de l’Église. Je les en remercie et j’associe volontiers à ce remerciement leurs épouses et leurs familles qui portent leur part de cet engagement.
Les évêques auxiliaires qui m’assistent avec persévérance vont aussi renouveler leur engagement au service de l’Église qui est à Paris. Grâce à eux mes limites et mes absences trop nombreuses sont compensées et nous leur en sommes reconnaissants. L’un d’entre eux, Mgr Michel Aupetit, va rejoindre le diocèse de Nanterre dont il a reçu la charge. C’est pour nous une occasion de le remercier pour toutes ces années de ministère de prêtre, de vicaire général et d’évêque auxiliaire. Il sait qu’il reste présent à notre cœur et à notre prière.
Que, par l’onction que nous avons reçue, le Seigneur Jésus-Christ nous garde tous dans sa communion. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris