Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Gabriel - 100 ans de présence de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie (Picpuciens) dans le quartier – 7e dimanche de Pâques – Année A
Dimanche 1er juin 2014 - St Gabriel (Paris XXe)
Après l’Ascension et le don de l’Esprit, le Christ est présent dans l’Église d’une nouvelle manière. L’assemblée chrétienne est le lieu de la foi et le point de départ d’une mission : que le Christ soit connu, aimé et servi.
– Ac 1, 12-14 ; Ps 26 ; 1 P 4, 13-16 ; Jn 17, 1b-11a
Frères et Sœurs,
Depuis l’Ascension dont nous avons fait mémoire cette semaine, le Christ n’est plus dans le monde de façon visible. Personne ne peut entrer en relation avec lui comme on entre en relation avec un homme ordinaire, par le regard, la parole, les gestes. Depuis qu’il est remonté auprès du Père, depuis, comme nous le dit le Livre des Actes, « que les apôtres l’ont vu s’en aller vers le Ciel », tous ceux qui sont disciples du Christ doivent affronter cette situation. Ils sont rassemblés au nom du Christ sans jamais voir le Christ. Et nous comprenons que le premier réflexe de ce petit groupe de disciples, de quelques femmes qui avaient suivi Jésus, de sa famille, ait été de se réunir et de prier ensemble pour affronter la situation dans laquelle ils se trouvaient. Et de quelques façons, cette première assemblée chrétienne après le départ du Christ, est comme l’image et le prototype de toutes nos assemblées à travers les siècles. Réunis par la foi, nous nous encourageons les uns les autres dans la foi au Christ, nous nous soutenons les uns les autres dans la fidélité à sa parole et nous nous apportons les uns aux autres le témoignage de sa présence et de sa vie.
La dernière prière de Jésus telle que l’évangile de saint Jean nous la rapporte, nous donne une indication sur la mission de cette assemblée chrétienne. Il ne s’agit pas simplement de se réfugier ensemble dans un abri sûr. Dans ce refuge commun, il y a une présence qui fait éclater les murs de la salle où ils sont réunis. Cette présence se manifestera bientôt par le don de l’Esprit Saint que nous fêterons dimanche prochain pour la Pentecôte. À partir de ce moment, l’assemblée chrétienne n’est plus seulement le refuge des disciples abandonnés par Jésus, elle est le foyer à partir duquel l’absence de Jésus est vécue dans la présence de son Esprit. C’est le moment où il ne s’agit plus simplement de se réconforter les uns les autres, de se fortifier les uns les autres dans la foi, de s’apporter les uns aux autres le témoignage de la présence de Dieu, mais de devenir témoins de cette présence parmi les hommes.
L’assemblée chrétienne est le lieu d’une foi vivante et animée, elle est en même temps le point de départ d’une mission. Cette mission est évoquée par l’évangile à travers la mission du Christ lui-même, « il est venu pour que les hommes aient la vie ». La première mission de l’Église, c’est d’être au service de cette vie des hommes, de contribuer par tous les moyens dont elle dispose à leur permettre de mieux vivre, de bien vivre, et de vivre vraiment. Mais nous savons que la vie que nous connaissons, l’existence historique que nous menons les uns les autres, selon les particularités de notre histoire, de notre vie personnelle, de notre famille, de notre métier, dans notre enracinement social, nous savons que cette vie est seulement le reflet, ou l’annonce d’une autre vie. Cette vie que nous connaissons, nous savons qu’elle finira. Nous avons évoqué tout à l’heure une centaine d’années de la vie de cette communauté. La plupart de ceux qui l’ont vécue sont partis de ce monde, ils ne sont plus parmi nous. Et pourtant, la vie à laquelle ils ont contribué et qu’ils ont servie ne s’est pas éteinte avec eux, parce qu’elle n’était pas simplement leur propre vie, pas simplement les quelques dizaines d’années qu’ils passaient sur cette terre, elle était au service d’une vie qui ne finit pas, que nous accueillons et recueillons comme un héritage. Nous sommes invités à la transmettre à la génération suivante. Cette vie qui ne finit pas, que l’évangile appelle « la vie éternelle » a une source : te connaître toi, le seul Dieu, le vrai Dieu et connaître celui que tu as envoyé : Jésus Christ. La connaissance de Dieu et la connaissance du Christ ne sont pas des éventualités anecdotiques ou accessoires qui n’ajouteraient rien à la vie humaine. S’il en était ainsi, il serait inutile de nous préoccuper de savoir si tous ceux qui nous entourent et vivent autour de nous, connaissent ou ignorent Jésus-Christ. Si nous voulons vraiment être au service de la vie de nos contemporains, ce n’est pas simplement en les aidant à vivre du mieux qu’ils peuvent et du mieux que nous pouvons, c’est aussi en leur apportant ce supplément de vie, cette capacité d’inscrire leur propre existence dans une dimension qui dépasse l’histoire de leur vie personnelle. Il s’agit de comprendre qu’à travers le tissu de l’histoire humaine, des relations entre les hommes et les femmes, des travaux que l’on entreprend, des aventures que l’on traverse, il y a quelque chose qui se construit en échappant à chacun d’entre nous : c’est la vie éternelle qui ne finira pas et qui est la vie en Dieu.
C’est pourquoi l’annonce de Jésus-Christ, la proposition de connaître Jésus-Christ n’est pas simplement une sorte de spécialité réservée à quelques personnes dans l’Église. C’est le cœur même de la mission de l’Église. Elle est répandue à travers le monde pour que Dieu soit connu, que le Christ soit connu, et qu’il soit aimé et servi.
En appelant les paroisses de Paris à une action missionnaire, comme je l’ai fait il y a quelques années, je souhaitais précisément que chacune de nos communautés, en intensifiant sa vie communautaire, sa vie eucharistique, en fortifiant sa propre foi, puise les forces nécessaires pour annoncer Jésus-Christ à tout homme et à toute femme de ce monde. Cette année, l’année de l’Appel, j’ai proposé à tous les chrétiens de Paris de se mettre en disponibilité pour appeler au nom du Christ. Nous le ferons au cours de l’Avent 2014. Chacune de nos communautés dans tous les quartiers où elles sont réparties à travers la capitale, doit devenir un foyer de connaissance de Dieu et de connaissance du Christ. Mais nous le savons, cette annonce du Christ, cette connaissance de Dieu ne peuvent être entendues et reçues que si elles s’appuient sur une manière d’être et de vivre, un signe que nous pouvons donner à ceux et à celles qui nous entourent. Ce signe, c’est le signe de la joie de la foi. Si notre foi chrétienne n’apporte rien à l’existence humaine, si notre appartenance à l’Église ne provoque aucune sérénité, aucune paix, aucune joie dans notre vie, cela n’intéressera personne de savoir en quoi nous croyons. Si nous espérons intéresser nos contemporains à la personne de Dieu et à la personne du Christ, c’est dans la mesure où nous laissons la vie du Christ en nous, la vie de son Esprit, la vie de son Église transformer notre propre existence et nous permettre de devenir des signes de foi et d’espérance.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.