Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame, confirmations d’adultes du diocèse de Paris – Solennité de la Pentecôte – Année A

Samedi 7 juin 2014 - Notre-Dame de Paris

C’est au terme souvent d’un long cheminement que nous prenons conscience de la place de Dieu dans notre vie. Les adultes qui demandent le sacrement de confirmation ont fait cette expérience. L’Esprit Saint vient nous aider à vivre plus librement et à témoigner du Christ en ce monde.

 Ac 2, 1-11 ; Ps 103 ; Cor 12, 3b-7.12-13 ; Jn 20, 19-23

Frères et Sœurs, chers amis,

Vous qui allez être confirmés ce soir, vous savez mieux que quiconque ce que cet événement représente dans votre vie. Chacune et chacun d’entre vous m’a écrit en essayant de retracer l’histoire de ce chemin qui le conduit ce soir jusqu’ici. En lisant cette évocation de vos histoires, je ne pouvais m’empêcher de penser à celui qui avait habité toutes ces années de votre vie, sans qu’on puisse le connaître et sans qu’on puisse le voir, sans même peut-être que vous ayez eu conscience de sa présence, lui qui cependant, que vous soyez éveillés ou endormis, que vous soyez attentifs à la parole de Dieu ou que vous vous en soyez détournés pour quelques années, que vous soyez profondément attachés au service de vos frères, ou au contraire enfermés dans une sorte de défense et de protection à l’égard des autres, creusait en vous son chemin et frayait une route pour que cette eau reçue au moment de votre baptême ne devienne pas une eau stagnante, mais soit vraiment une eau vive qui irrigue toute votre vie, qui comble votre soif, qui apaise vos inquiétudes, et qui devienne par votre propre existence une source pour ceux qui vous entourent.

Ce cheminement mystérieux de l’action de Dieu à travers chacune de nos existences, ce que dans la foi nous reconnaissons comme un don de Dieu, une grâce, il y a des circonstances, des événements, des étapes dans notre vie qui font que, après des années d’ignorance, d’indifférence ou d’erreur, nos yeux s’ouvrent. Alors nous prenons conscience que dans chaque existence humaine, il y a une dimension que nous ne voyons pas et qui est cependant le cœur de notre identité. Cette découverte, vous l’avez faite à travers un cheminement progressif, à travers une sensibilisation, à travers des rencontres, à travers la prière, à travers la prise de conscience que, peut-être, tout ce qui contribuait à organiser votre vie, laissait finalement de côté le plus important. Si vous vouliez que votre existence soit engagée d’une façon heureuse, sereine et fructueuse, il fallait redonner place à celui qui en est le centre, et reconnaître que c’est lui qui vous fait vivre.

Ce cheminement par lequel nous prenons progressivement conscience d’une nouvelle dimension de notre vie, cela s’appelle, dans le langage de la tradition chrétienne, une conversion. Une conversion, ce n’est pas nécessairement changer de religion ! Une conversion, c’est changer de vie, c’est prendre conscience qu’il y a quelque chose à changer, à retourner, à réorienter, à reconstruire, à restructurer, et la démarche que vous faites aujourd’hui en demandant le don de l’Esprit Saint, c’est précisément de mettre ce projet de construction de vie dans la main de Dieu, sous la grâce de Dieu.

Nous avons entendu dans l’évangile quelque chose d’extraordinaire. Ils étaient tous enfermés par peur des juifs, -nous imaginons cet enfermement, cet isolement, ce regard d’inquiétude porté vers l’extérieur, bref ce que l’on peut appeler une sorte d’emprisonnement-, et voilà que Jésus brise cet emprisonnement. Il est au milieu d’eux. Il n’est passé ni par la porte ni par la fenêtre qui étaient fermées. Tout était fermé, mais rien n’est fermé pour lui ! Il est là présent au milieu d’eux, vivant, ressuscité, et il vient pour les délivrer. Il vient les délivrer de leurs peurs, de leur inquiétude de l’avenir, de leur culpabilité, de tout ce qui constitue des handicaps humains de l’existence ; il est au milieu d’eux et il leur dit : « la paix soit avec vous » (Jn 20, 21). Quand il va leur donner son Esprit, au jour de la Pentecôte, nous verrons le même phénomène se produire, Pierre sortira pour s’adresser à la foule, il ne restera pas enfermé. La vie et l’action du Christ dans son Église ne sont pas un processus d’isolement et de protection, c’est un processus d’ouverture et de communication, c’est un processus d’envoi en mission, pour annoncer que par le Christ, la paix est venue au monde.

Demain, le Pape François recevra au Vatican le Président palestinien et le Président d’Israël. Il les a invités à venir se joindre à lui, simplement pour prier pour la paix. Convaincu qu’il est, et que nous sommes avec lui, que la clef de la paix entre les hommes, c’est la conversion des cœurs. Si nous ne commençons pas et si nous ne persévérons pas dans ce travail de la conversion des cœurs, jamais aucun système ne pourra imposer la paix à des gens qui sont habités par la violence, la haine et le mépris de l’autre. Ce soir donc, je vous invite à vous joindre à cette prière du Pape. Dieu entend le désir humain même quand il n’a pas atteint sa plénitude. Si ces deux hommes politiques sont de bonne volonté, et s’ils veulent vraiment faire une démarche pour exprimer leur désir de paix, Dieu entendra leur désir. Nous devons unir notre prière pour que le Christ ressuscité apporte ce témoignage de paix aux hommes.

Nous devons reconnaître dans le Christ ressuscité celui qui peut apporter la paix dans nos familles, dans nos communautés, dans nos sociétés, non parce qu’il aurait des formules extraordinaires, mais parce qu’il invite chacun à ouvrir son cœur à l’autre, à vivre le pardon, à entrer dans la miséricorde, à se faire proche de celui qui est loin. Tout cela, nous le savons, cela ne correspond pas au dynamisme spontané de nos désirs. Si nous nous laissions aller à notre nature, nous préférerions être protégés, enfermés, coupés de ces conflits, de ces tensions, de ces disputes peut-être, de ces regards haineux. C’est pourquoi nous avons besoin de la plénitude de l’Esprit pour que notre approche de nos frères ne soit pas simplement une approche sociale et politique, mais qu’elle soit vraiment une approche humaine et chrétienne.

Cet Esprit que vous recevez vous comblera de sa paix parce qu’il vous garantit la miséricorde de Dieu. Il vous comblera de sa joie, comme nous voyons les apôtres remplis de joie en rencontrant le Christ ressuscité. Bien sûr, nous avons tous des motifs d’inquiétude, nous avons tous des souffrances diverses qui traversent notre vie, les croyants comme les autres, les chrétiens comme les autres. Le Christ ne vient pas faire disparaître ses difficultés, il vient nous dire que nous pouvons les porter, que nous sommes suffisamment forts pour assumer cette dimension de notre existence, et la vivre dans la paix. Nous sommes forts de la force de Dieu lui-même.

Enfin, votre confirmation, pour la plupart d’entre vous, pour ne pas dire pour tous, exprime une démarche singulière vis-à-vis de l’Église. C’est une chose de porter plus ou moins confusément des sentiments plutôt sympathiques envers Dieu, mais comme dit saint Jean dans son épître, « celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas et qui n’aime pas son frère qu’il voit est un menteur » (1 Jn 4, 20), on a des pensées pieuses pour Dieu, on a des prières pour Dieu, on a des sentiments envers Dieu, mais arrive un moment où il faut que ces pensées, ces prières et ces sentiments prennent une structure, une chair humaine ! Cette chair humaine, c’est d’appartenir au corps qui est aujourd’hui le corps ressuscité du Christ. C’est celui que nous décrivait saint Paul dans son épître aux Corinthiens, ce corps fait de tant de membres différents, mais tous animés par un unique Esprit. C’est cet unique Esprit qui recueille votre expérience particulière, votre expérience personnelle, votre histoire, et qui vous fait entrer dans l’œuvre immense de Dieu lui-même. Chacun selon sa petite part, selon ce qui lui a été donné de vivre, participe de ce grand mystère de l’amour de Dieu manifesté aux hommes. C’est l’Esprit du Christ répandu en nos cœurs qui nous rend capables de ce témoignage rendu à l’amour de Dieu.

Vous le savez, j’ai demandé cette année que le diocèse de Paris appelle des témoins pour vivre la mission de l’Avent 2014. Ce soir, vous recevez l’Esprit Saint pour devenir témoins de la foi, là où vous êtes, là où vous vivez, avec les gens que vous connaissez, avec ceux que vous ne connaissez pas, avec la communauté chrétienne à laquelle vous appartenez maintenant d’une façon tout à fait délibérée et volontaire. C’est pour rendre ce témoignage que vous recevez l’Esprit, et je me réjouis que le grand nombre que vous êtes ce soir promette beaucoup de témoins pour l’Avent 2014, car si vous êtes si nombreux à recevoir l’Esprit, nous allons certainement voir beaucoup de choses qui changeront.

Avec les disciples nous sommes dans la joie et nous rendons grâce à Dieu parce que nous mesurons bien ce qui relève de nos propres choix, de nos propres efforts, de nos disponibilités personnelles, mais nous mesurons surtout ce qui vient de la grâce de Dieu lui-même et qui déborde, ou plutôt qui reprend et amplifie tout ce que nous avons pu investir de liberté, de volonté, dans le choix de notre vie pour en faire un signe magnifique pour ceux qui nous entourent.

Dans quelques instants, je vais vous demander de renouveler la profession de foi de votre baptême puisque c’est dans cette foi que vous avez décidé d’orienter votre vie en demandant que votre baptême soit confirmé pour devenir pleinement témoins du Christ aujourd’hui. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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