Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de requiem à ND pour le Cardinal Bernard Agré (archevêque émérite d’Abidjan (Côte d’Ivoire))
Samedi 14 juin 2014 - Notre-Dame de Paris
La mort est toujours une épreuve et un mystère pour l’homme. Comme Marthe, nous nous tournons vers le Seigneur pour tenter de comprendre. En Jésus, la mort n’a jamais le dernier mot. Le cardinal Agré tout au long de son ministère en Côte d’Ivoire a été le témoin et l’acteur de la Bonne Nouvelle.
– Is 40, 9-11 ; Jn 11, 17-27
Frères et Sœurs dans le Christ,
Dans tous les pays du monde, dans toutes les cultures du monde, dans toutes les religions du monde, la mort, est une épreuve qui demeure un mystère aux yeux de l’homme. L’homme n’est pas fait pour la mort, il est fait pour la vie, et même si sa mort survient après un accident, une maladie grave, ou tout simplement en raison de l’âge, le fait qu’il passe de la vie à la mort reste un mystère auquel jamais nous ne pouvons nous habituer. Et quand celui qui s’en va est un membre de notre famille, quand celui qui s’en va est un proche que nous avons connu, aimé, avec lequel nous avons vécu, cheminé, parlé, travaillé, ce mystère s’épaissit par le chagrin de la séparation.
Au moment où notre frère le cardinal Bernard Agré quitte cette terre, tous ceux qui ont été ses frères dans la foi, tous ceux qui ont été ses compatriotes, tout ceux qui ont été ses collaborateurs, ses amis, sont confrontés à ce mystère épaissi par le chagrin de son départ. Et tous, aussi bien que Marthe le fait dans l’évangile de Jean, nous éprouvons le besoin spontané de nous tourner vers le Seigneur et de lui dire : « Seigneur si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » (Jn 11, 21). C’est la manière pour les amis du Christ d’exprimer l’effroi auquel la mort les confronte. C’est la manière pour les amis du Christ d’exprimer le drame humain, non pas dans le vide et l’absence, mais dans une relation personnelle à la personne de Jésus et à travers lui à Dieu. Et nous en prendre à Dieu, lui reprocher de ne pas avoir empêché notre ami de mourir, est encore une façon de dire notre foi, c’est reconnaître que la vocation humaine à la vie nous vient de Dieu, que Dieu en est le gardien et que la mort est un désordre dans cette relation vivante de Dieu à sa créature.
Quand nous nous tournons ainsi vers le Seigneur, nous entendons la réponse que Jésus fait à Marthe, « je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 25), non pas simplement comme une consolation, mais comme une promesse et comme une certitude que dans le Christ ressuscité d’entre les morts, la mort n’a jamais le dernier mot, c’est à la vie qu’appartient le dernier mot de toute chose. Quand nous nous réunissons pour prier à l’occasion du décès de l’un des nôtres, c’est d’abord cette reconnaissance de la foi que nous sommes invités à vivre en nous tournant vers le Christ, non pas pour lui reprocher que notre ami soit mort, mais pour entendre de sa bouche, la promesse de la vie éternelle : « je suis la résurrection et la vie ». Les chrétiens ne sont pas toujours meilleurs que les autres, ils sont parfois pires que les autres, les chrétiens ne sont pas toujours des exemples de vie, ils sont parfois de mauvais exemples de vie, mais les chrétiens ont cette particularité parmi tous les hommes, d’être équipés par Dieu lui-même pour faire face à la mort. Ils peuvent être faibles, ils peuvent être lâches, ils peuvent être pécheurs, ils sont pécheurs, mais jamais ils n’oublient que le dernier mot de leur existence, c’est la promesse de Dieu qu’ils vivront pour toujours.
Cette certitude que le Christ est le Messie, la résurrection et la vie, est la plus grande bonne nouvelle que les chrétiens peuvent porter dans le monde. On pourra discuter toujours et indéfiniment pour savoir si dans telle ou telle circonstance, nous avons réagi selon l’évangile, si nous avons fait ce qui était le mieux pour la Parole de Dieu, si nous avons été de bons compagnons ou de mauvais compagnons, mais on ne pourra jamais faire disparaître de notre cœur la certitude que l’existence de l’homme déborde de toute part, les limites très étroites de notre vie sur cette terre, les données très circonstancielles des difficultés que nous rencontrons, les chocs, les divisions, les conflits, les combats, la violence, la haine… Tout cela, nous le connaissons mais nous savons que le Dieu de la vie a le dernier mot sur toute chose. C’est cette bonne nouvelle que le cardinal Bernard Agré a reçue dans son enfance, dans sa jeunesse, c’est cette bonne nouvelle par laquelle il a été mobilisé pour transmettre à ses frères la grande espérance que Jésus est le ressuscité et la vie. Cette mission d’annoncer le Seigneur, comme nous le dit le prophète Isaïe, « voici votre Dieu, voici le Seigneur Dieu », il l’a accomplie tout au long de sa vie dans une période où l’Église, en Côte d’Ivoire comme dans beaucoup d’autres pays d’Afrique, en était à ses premières décennies d’existence. Il a été, avec ses frères évêques, avec les prêtres de leurs diocèses, avec les catéchistes, avec les chrétiens, l’un des acteurs de l’annonce de l’évangile sur la terre africaine et en particulier en Côte d’Ivoire. Il a été l’un des acteurs de l’enracinement de l’Évangile dans la culture africaine. Il a été un des acteurs et des témoins du message d’espérance que l’évangile apporte aux hommes et que ne lui apportent aucune autre idéologie et aucune autre religion. La mort a été vaincue, la vie a été victorieuse. L’offrande que le Christ a faite de son existence ouvre la porte de la vie à tous les hommes de tous les peuples et de tous les pays, et de cela, l’Église de Côte d’Ivoire a été le premier témoin. Elle a été et elle est une Église vivante en croissance et en développement, qui s’est construite avec persévérance, produisant peu à peu les moyens de son développement. Je pense en particulier à l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest, qui a été, qui demeure et qui sera un des lieux de formation des cadres de l’Église africaine et ivoirienne.
Frères et sœurs, au moment où nous pleurons le départ du cardinal Bernard Agré nous sommes entraînés à rendre grâce pour son ministère, pour l’annonce de la bonne nouvelle dont il a été le missionnaire, pour l’organisation de l’Église ivoirienne dont il a été l’un des acteurs importants, pour la transmission de la foi qu’il a permis de développer parmi ses frères. Nous rendons grâce pour son ministère apostolique et pour le service qu’il a rendu à l’Église universelle. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.