Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Antoine de Padoue – Fête patronale de Saint Antoine de Padoue

Vendredi 13 juin 2014 - St Antoine de Padoue (Paris XVe)

Par son choix de vie, par sa prédication, saint Antoine de Padoue est un signe de la radicalité de la Bonne Nouvelle et un appel à la conversion. Nous sommes invités à mettre Dieu vraiment à la première place dans notre vie.

 Is 61, 1-3a ; Ps 39 ; Ph 3, 8-14 ; Lc 10, 1-9

Frères et Sœurs,

Nous avons tous en mémoire l’histoire de saint François d’Assise au moment où il quitte tout pour suivre le Christ et fait le choix de la pauvreté totale pour devenir témoin de Jésus au milieu de ses frères. Ce choix extraordinaire, nous savons qu’il l’a mis en rupture avec le milieu de commerce, de richesses et d’argent auquel il appartenait, et auquel il ne voulait plus rien devoir.

Nous pouvons comprendre que le jeune Antoine ait été séduit par cette manifestation de la radicalité de l’Évangile. Si Jésus est vraiment le Fils de Dieu, si sa parole est vraiment une bonne nouvelle pour le monde, alors il compte plus que tout et on doit le préférer à tout. Cette invitation à préférer Jésus à tout se traduit par des renoncements réels, concrets, quotidiens, et par le choix d’une certaine manière de vivre. Nous avons entendu dans l’Evangile de saint Luc, un passage qui fait écho à de nombreux propos tenus par Jésus à ses disciples et qui associe étroitement la mission qu’il leur confie avec la pauvreté totale : « ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales et ne saluez personne en chemin » (Lc 10, 4). Si Jésus associe cette mission de porter la parole à la pauvreté totale, ce n’est pas pour donner un spectacle un peu extraordinaire de nature à toucher le cœur des gens, c’est parce qu’il invite ses disciples à un acte de foi. La parole qu’il porte n’est pas leur parole, elle est la parole de Dieu. La force qui permet de faire entendre cette parole n’est pas leur force, c’est la force de Dieu lui-même. En renonçant aux moyens de la puissance, ils font l’acte de foi que c’est la puissance de Dieu qui va manifester l’évangile comme saint Paul le disait aux Philippiens, « cette justice ne vient pas de moi-même, elle vient de Dieu et elle est fondée sur la foi » (Ph 3, 9).

Cette prise de conscience que croire en Dieu, c’est regarder tout le reste de façon relative, c’est découvrir peu à peu et mettre en pratique dans notre vie que ce qui compte le plus, ce qui est le seul fondement de l’existence humaine, c’est la présence et la parole de Dieu. Ainsi, quand nous faisons mémoire de saint Antoine de Padoue, nous faisons mémoire de cette grande réforme de la mission, mise en route par le choix de saint François d’Assise, aussi vécue d’une autre façon dans une période proche par les frères de saint Dominique. Il s’agissait, dans un monde en train de s’enrichir par le commerce, de manifester que la véritable richesse n’était pas la richesse économique mais la richesse du cœur et la richesse de Dieu. Il s’agissait de manifester que Dieu est plus grand que notre monde, que Dieu est plus grand que chacun d’entre nous, que Dieu est plus que toutes nos idées et toutes nos paroles, que Dieu est le tout de la vie de l’homme. C’est pourquoi comme dit saint Paul, « je considère tous les avantages que j’avais autrefois comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. À cause de lui ; j’ai tout perdu je considère tout comme des balayures en vue d’un seul avantage le Christ en qui Dieu me reconnaîtra comme juste » (Ph 3, 8). Ainsi, nous sommes invités à découvrir peu à peu où est la véritable richesse de notre vie. Tous, autant que nous sommes, nous sommes imprégnés, baignés, formatés, par une culture du profit et de l’argent. Cela ne veut pas dire que l’on est riche, mais cela veut dire que l’on se laisse entraîner dans un système où l’on juge les gens à leur réussite financière, où l’économie décide de tout ! La foi à laquelle nous essayons de nous attacher et que nous essayons de vivre ne nous fait pas mépriser le travail des hommes ni les fruits de ce travail, ne nous fait pas détruire les biens de la création, mais nous invite constamment à revenir à ce qui est le cœur de notre existence, à ce qui est le centre de toute vie humaine, c’est-à-dire le Christ.

Rendre grâce pour le signe que saint Antoine de Padoue a donné à travers sa vie, c’est reconnaître que l’annonce de l’évangile dans laquelle il était particulièrement efficace par sa prédication, était étroitement liée à la conversion de sa vie. On ne peut pas témoigner que le Christ est le premier dans notre vie, on ne peut pas témoigner que le Christ est le fondement de tout bonheur humain, on ne peut pas témoigner que le Christ est la racine de toute activité si nous nous appuyons sur autre chose ou sur quelqu’un d’autre que le Christ. Ainsi, chacun et chacune d’entre nous, nous avons des conditions de vie, des contraintes, des devoirs, des charges, des missions à accomplir qui ne nous permettent pas de tout jeter par la fenêtre et de partir en sandales et en robe de bure. Ce n’est pas cela que Dieu nous demande. Il nous demande de revenir au cœur de la foi, de chercher toujours, à travers ce que nous faisons, à travers les événements de notre vie, comment la volonté de Dieu se manifeste et s’exprime pour nous, de chercher toujours comment la parole de Dieu est la première lumière à laquelle nous nous référons pour comprendre notre existence et pour l’orienter.

Ainsi, Frères et Sœurs, en rendant grâce à Dieu pour saint Antoine de Padoue, en priant par son intercession, nous nous engageons dans le même chemin de foi, où nous sommes appelés à découvrir que Dieu est vraiment Dieu, c’est-à-dire qu’il est au-dessus de tout, avant tout, plus que tout et que tout le reste, y compris nous-mêmes, et tout le reste de notre vie vient en second, comme un moyen de le reconnaître et de l’aimer.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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