Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe de rentrée du séminaire de Paris, 25 ans du séminaire et admissions de nouveaux candidats au sacerdoce – Fête de la Croix Glorieuse
Samedi 13 septembre 2014 - Basillique du Sacré-Coeur de Montmartre
Le Christ sauve le monde non pas en éliminant le mal, mais en prenant sur lui la souffrance et la mort. De la mort jaillit la vie. A l’exemple du Christ, l’Eglise et ses ministres sont appelés à entrer dans ce chemin de service, à prendre sur eux les effets de la mort pour devenir instruments de vie.
– Voir l’album-photos de la célébration
Accueil du cardinal André Vingt-Trois
Frères et Sœurs,
C’est avec une joie très particulière que nous célébrons cette fête de la Croix Glorieuse. Il y a juste 30 ans le cardinal Lustiger avait inauguré la Maison Saint-Augustin et cinq ans plus tard en 1989, le Cardinal érigeait le séminaire diocésain de Paris. Nous célébrons donc en même les 30 ans de la Maison Saint-Augustin et les 25 ans du séminaire et c’est une bonne occasion à la rentrée universitaire, au moment où commence l’année, de faire mémoire de ces événements fondateurs.
Vous comprendrez que le nombre des anciens qui ont participé à la vie du séminaire pendant ces 25 ans, anciens séminaristes, anciens formateurs, qui sont aujourd’hui prêtres ou évêques, les bienfaiteurs de l’Œuvre des vocations, tous ceux qui prennent à cœur l’avenir du ministère sacerdotal dans le diocèse de Paris soient heureux de s’unir par la prière pour rendre grâce de toutes ces années qui ont été des années de fécondité spirituelle.
Notre action de grâce associera évidemment affectueusement la mémoire du cardinal Lustiger qui en a été l’initiateur, de tous ceux qui ont contribué à la formation, à l’affermissement, au développement du séminaire diocésain de Paris qui fait cette année sa rentrée avec 95 séminaristes dont 18 vont entrer à la Maison Saint-Augustin.
C’est évidemment une grande espérance, non pas simplement parce que, très égoïstement, nous espérons que de tout cela il finira bien par sortir des prêtres que nous serons heureux de voir exercer leur ministère dans nos églises, mais surtout parce que cet engagement de jeunes hommes à la suite du Christ en réponse à son appel constitue un signe de la puissance de Dieu à l’œuvre dans ce monde, un signe du don irrémédiable que Dieu fait aux hommes depuis l’origine de l’humanité, un don qu’il va renouveler de génération en génération et dont il donne encore aujourd’hui les signes visibles.
C’est une espérance pour notre Église de voir se perpétuer non pas une organisation ecclésiale qui a beaucoup changé depuis le temps du Christ, qui changera encore beaucoup, mais la réalité des actions spirituelles de Dieu au cœur de son Église, à travers l’annonce de l’évangile, la célébration des sacrements et la mission à laquelle j’ai invité encore ce matin les catholiques de Paris à prendre une part active à l’occasion de la mission de l’Avent 2014.
C’est une espérance aussi parce que nous voyons comment, par la force de la foi, par la vie de l’Esprit Saint au cœur de son Église, des hommes et des femmes sont capables de surmonter leurs désirs personnels, leurs particularités, leur originalité pour contribuer à la constitution d’un corps et au dynamisme de ce corps.
Ainsi, frères et sœurs, ce soir cela nous donne, à l’occasion de cette messe de célébrer l’admission d’un certain nombre de séminaristes parmi les candidats au sacerdoce, premier signe que l’Église prend votre démarche en compte, la reconnaît et l’intègre dans le dynamisme de sa mission.
Homélie
– Nb 21, 4b-9 ; Ps 77 1-2.34-38 ; Ph 2, 6-11 ; Jn 3, 13-17
Frères et Sœurs,
Nul ne doute parmi nous que si Dieu l’avait voulu, il aurait pu faire disparaître les serpents… Mais vous aurez peut-être remarqué qu’à la prière du peuple lui demandant d’être débarrassé de ces serpents, il ne répond pas en les faisant disparaître...
Ce n’est pas par impuissance ou incapacité parce qu’il n’aurait pas compris la prière ! C’est parce qu’il veut faire comprendre quelque chose : ce qui va sauver le peuple des serpents, ce n’est pas leur élimination mais un signe, le signe même du serpent, qui ne sera plus un signe de mort mais un signe de vie.
Ainsi, à partir de la même réalité, là où régnait la mort, Dieu fait venir la vie. Et si la liturgie nous donne d’entendre ce récit du Livre des Nombres, c’est évidemment parce qu’il est cité dans l’évangile de saint Jean et c’est aussi parce qu’il nous donne probablement une clef pour comprendre comment le Christ est sauveur du monde. Le Christ sauve le monde non pas en éliminant le mal, il ne fait pas disparaître de la terre tout ce qui est cause de souffrance et de mort, mais il prend sur lui la souffrance et la mort, et dans son corps livré, il manifeste que ce que tous les hommes expérimentent comme une œuvre de destruction et d’anéantissement peut devenir la source de la vie. Cela ne se réalise pas par une sorte d’alchimie magique qui a pu conduire certains hommes aux limites de l’absurdité en pensant que plus il y aurait de péchés, plus nous serions sauvés, mais par une puissance incomparable qui est la puissance de l’amour de Dieu ! Dieu n’apporte pas à l’homme le salut en éliminant ce qui le menace mais en venant partager avec l’humanité ce qui est la cause de sa souffrance et de sa mort. C’est ainsi que Jésus s’est dépouillé lui-même, et qu’il a pris la condition de serviteur. C’est ainsi que Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, non pas pour créer de toutes pièces une humanité factice, mais pour s’immerger lui-même dans la réalité de l’humanité jusque dans sa dimension la plus dramatique et la plus extrême, telle qu’il nous en donne le signe dressé sur la croix.
Cette découverte du processus par lequel Dieu accomplit le salut du monde nous ouvre certainement un chemin d’intelligence pour la mission de l’Église et pour ceux auxquels elle confie, en particulier, le ministère de la réconciliation et du salut. L’Église, comme Jésus l’explique à ses disciples avec la parabole du bon grain et de l’ivraie, n’est pas envoyée dans le monde pour expulser du monde, pour expulser du réel, pour expulser de l’histoire ce qui est germe de mort. Elle n’est pas envoyée dans le monde pour constituer une humanité chimiquement pure, qui justifierait toutes les actions de contraintes et de forces par lesquelles on obligerait les hommes à éliminer le mal qui est en eux, au risque de les faire disparaître, -ce qui est évidemment la solution la plus efficace et la plus radicale pour supprimer le mal ! Ce n’est pas comme cela que Jésus comprend sa mission. Ce n’est pas comme cela qu’il l’explique aux disciples, ce n’est pas comme cela qu’il la définit pour son Église. Il est venu pour partager l’existence humaine, pour prendre sur lui les blessures de l’humanité. Cette mission peut être sujette à des interprétations complètement fausses : nous croyons que c’était pour ses fautes qu’il était châtié, mais c’était par nos péchés que ses blessures étaient venues.
Vouloir, souhaiter, accepter d’entrer dans la mission de l’Église, ce n’est donc pas devenir les Torquemada d’une humanité purifiée. Ce n’est pas devenir les Savonarole d’une Église purifiée. C’est accepter de prendre sur soi la peine et la souffrance, ne serait-ce qu’en s’associant étroitement à ceux qui peinent et qui souffrent. Entrer dans la mission de l’Église c’est entrer dans une mission qui nous fait descendre des sommets où l’on imagine que tout est pur, vers la réalité très terre-à-terre où tout est mélangé.
« Lui qui était de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu ; mais il prit la condition de serviteur. Semblable aux hommes, il s’est abaissé lui-même » (Ph 2, 6-7) et c’est dans cet abaissement du serviteur que Jésus puise la forme qu’il propose à ses disciples pour la mission qu’il leur confie.
Ainsi, pour vous qui allez être admis parmi les candidats au sacerdoce, la prière que nous faisons sur vous et le chemin qui s’ouvre devant vous, sont un chemin de croissance. Vous êtes appelés à grandir, vous êtes appelés à atteindre le plus possible la stature du disciple du Christ, mais cette croissance, ce développement, cet épanouissement de l’âme du disciple en vous, sont indissociables de votre appel et de votre capacité à devenir serviteurs, c’est-à-dire à ne pas chercher ce qui vous met en valeur, ce qui vous met en position de force, ce qui vous mettrait en situation de domination, mais en recherchant ce qui vous permet de rejoindre le Christ dans son abaissement, c’est-à-dire en acceptant que votre service puisse ne pas être glorieux, ni reconnu, ni estimé, et que les circonstances de la vie, vos propres faiblesses, et la malice des hommes, -puisqu’on ne l’a pas extirpée-, vous conduisent à rejoindre Jésus à la dernière place.
C’est ainsi que celui qui veut être le premier se fait le serviteur de tous. C’est par cet engagement à poursuivre le chemin du service humble et caché dans le Christ que nous avançons vers le véritable ministère de Salut qui est le nôtre, parce que nous prenons sur nous les effets de la mort pour devenir ministres de la vie. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.