Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 33e Dimanche du temps Ordinaire – Année A
Dimanche 16 novembre 2014 - Notre-Dame de Paris
La parabole des talents s’adresse principalement à ceux qui ont reçu de Dieu la Révélation. Le don de la foi n’est pas fait pour être caché comme par crainte de le perdre. Entendre cet appel du Christ, c’est risquer de le faire fructifier.
– Pr 31,10-13.19-20.31-31 ; Ps 127,1-6 ; 1 Th 5,1-6 ; Mt 25,14-30
Frères et Sœurs,
Avec cette parabole des talents, le chapitre 25 de l’évangile de saint Matthieu prépare ceux qui écoutent le Christ à l’annonce de son retour et du jugement qui correspondra à la consommation de l’histoire. Dans ce début du chapitre 25, la parabole des talents vise principalement et premièrement ceux qui ont reçu. La suite de ce chapitre qui sera le jugement des Nations correspondra à une autre situation, celle de ceux qui n’ont rien reçu. Qu’est-ce qu’ils ont reçu ? Évidemment, ce n’est pas l’argent qui est en cause. Ce qui est en cause, c’est ce qu’ils ont reçu de Dieu, la révélation de son projet à l’égard de l’humanité, les commandements donnés à Moïse pour être fidèles à l’alliance à travers les chemins de la conversion et de la fidélité. Son peuple élu a été comblé de ces dons pour devenir témoin de la miséricorde et de la fidélité de Dieu. Le jugement, c’est leur demander ce qu’ils ont fait de ce qu’ils ont reçu. Trois situations ont été évoquées : les deux qui ont fait prospérer les biens qu’ils ont reçus, qui les ont risqués par leur activité et qui leur ont fait porter du fruit, et celui qui a vécu dans la peur et qui a enfoui le trésor dans la terre pour le rendre intact.
Comme souvent dans les paraboles, il ne faut pas vouloir appliquer systématiquement chaque détail à toutes les situations. Le message de la parabole est clair : les dons de Dieu ne sont pas faits pour être thésaurisés, enfouis et cachés comme s’ils risquaient, à travers l’activité humaine, de se dissiper et de se perdre. Aujourd’hui, nous pouvons considérer que nous qui sommes disciples du Christ, nous faisons partie de ces hommes et de ces femmes qui ont reçu des talents, ô combien, qui ont reçu une richesse considérable à travers la tradition chrétienne qui nous a été transmise, à travers la foi que nous avons reçue, à travers la parole de Dieu qui nous est donnée, à travers la vie sacramentelle à laquelle nous participons, autant de richesses que le Seigneur nous confie. Mais pour en faire quoi ? Nous n’avons pas besoin de chercher beaucoup, ni de fouiller très profond pour retrouver au fond de nous ce commencement de la peur, qui est la crainte de voir se perdre notre foi. Combien de chrétiens au long des âges ont vécu dans l’anxiété de risquer leur foi ? Il y a eu, jadis, un petit livre à intention catéchétique qui s’appelait Le beau risque de la foi. Et il était conçu précisément pour aider de jeunes chrétiens à prendre conscience que recevoir la foi chrétienne, ce n’était pas recevoir une réalité inerte qu’il nous suffirait d’enfermer dans le coffre des souvenirs pour l’exhiber de temps à autre et espérer la rendre intacte au terme de notre vie. La foi chrétienne ne nous est pas donnée pour que nous en fassions une pièce de musée, elle nous est donnée pour être l’animation de notre vie, le dynamisme de notre liberté, la fécondité des vertus que Dieu met en nos cœurs. Elle nous est donnée pour affronter les difficultés de cette existence. Elle nous est donnée pour rencontrer les hommes et les femmes qui ne la partagent pas. Elle nous est donnée comme un bien à faire fructifier. La première façon de le faire fructifier, c’est de le faire fonctionner, c’est de le mettre en œuvre, c’est de le mettre en pratique, c’est de chercher, comment ce trésor que nous avons reçu peut rejoindre, non seulement nos proches, mais encore quantité d’hommes et de femmes qui vivent autour de nous et qui l’ignorent. Bref, la foi chrétienne porte la plénitude de son fruit quand nous acceptons de la risquer dans notre vie en ce monde, dans notre vie au milieu d’hommes et de femmes incroyants, au milieu de croyants d’autres religions. Nous ne sommes pas envoyés par le Christ pour monter la garde autour du trésor à ne pas dissiper, nous sommes envoyés par le Christ pour ouvrir ce trésor à tous ceux qui peuvent y trouver quelque espérance.
C’est pourquoi, le Pape François, depuis qu’il est chargé de sa mission de pasteur universel, s’emploie de toutes sortes de façons à exprimer cette nature essentiellement missionnaire de l’Église. On ne peut pas être l’Église du Christ sans être habités par le dynamisme et la passion de devenir l’Église du monde, de tout le monde. On ne peut pas être disciples du Christ en se réfugiant dans des cénacles protecteurs où nous serions à l’abri de tous les dangers, de tous les risques que comporte l’existence humaine. C’est pourquoi les premiers symptômes, les premiers signes de la crainte et de la peur doivent nous alerter. Chaque fois que nous percevons en nous ce réflexe de protection par peur de risquer l’évangile dans la rencontre des hommes, nous savons que nous sommes entraînés dans un mauvais sens. Chaque fois que nous vivons la hantise de la perte de la foi, comme si on pouvait perdre la foi comme on perd son porte-monnaie, nous savons que nous sommes entraînés dans un mauvais sens, et nous savons que nous devons réagir, que nous devons entendre cet appel du Christ à prendre les risques de la foi, à faire fructifier ce que nous avons reçu, à engager le trésor qui nous est confié dans les risques de l’histoire humaine.
Saint Paul disait aux Thessaloniciens : que nous sommes « des fils de la lumière » que « nous n’appartenons pas aux ténèbres » (1 Th 5,5). Cette certitude d’être entrés dans la lumière du Christ doit nous éveiller : « ne restons pas endormis comme les autres » (1 Th5,6) comme ceux qui sont dans les ténèbres, « ceux qui vivent dans la nuit ». Si nous sommes vraiment dans la lumière du Christ, alors nous ne devons pas vivre dans l’anxiété de l’avenir, dans l’inquiétude du jour du Seigneur, nous devons vivre dans la certitude que ce que nous avons reçu possède la force nécessaire et suffisante pour confronter la foi au Christ ressuscité avec toute autre manière de comprendre l’existence. Évidemment, nous le faisons chacun selon nos moyens, comme le Christ a donné ses talents à chacun selon ses capacités, nous le faisons chacun selon le statut qui est le nôtre, le devoir d’état qui est le nôtre, mais aucun d’entre nous, aucun chrétien en ce monde ne peut se dispenser de se poser la question : comment est-ce que j’ouvre les trésors de la foi pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que je fais pour que le Christ soit connu, pour que sa parole soit entendue, pour que son espérance soit reçue ?
Frères et sœurs, prions le Seigneur que les richesses qui nous ont été confiées ne se transforment pas en une sorte de trésor privé, réservé à notre usage, mais qu’elles soient vraiment le bien de tous, que nous proposons à tous, pour que tous puissent reconnaître le Christ.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.