Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND pour la session annuelle de l’ADDEC (Alliance des Directeurs et Directrices de l’Enseignement Chrétien)

Vendredi 14 novembre 2014 - Notre-Dame de Paris

Les images que Jésus choisit pour illustrer le temps de son retour manifestent cette irruption dans l’histoire des hommes de façon brutale et imprévisible. Nous ne sommes par les esclaves des événements du monde, mais porteurs d’une force qui les transcende : l’amour.

 2 Jn 1,4-9 ; Ps 118,1-2.10-11.17-18 ; Lc 17,26-37

Frères et Sœurs,

À mesure que nous approchons de la fin de l’année liturgique, et donc en même temps de la fin de la lecture des événements qui ont marqué le ministère de Jésus, la question du retour du Christ, ou pour le dire comme l’évangile aujourd’hui, des « jours du Fils de l’homme » se pose avec plus d’acuité : quand et où ? Quand reviendra-t-il ? Et où reviendra-t-il ? Vous savez qu’un certain nombre de groupes spirituels prospèrent à travers les âges en promettant le lieu, le jour et l’heure de la fin du monde. Bien que leurs prédictions ne se réalisent jamais, elles continuent cependant d’intéresser les gens parce qu’elles apportent une réponse à une question incontournable : comment va s’arrêter ce que nous connaissons ? On mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait, on se mariait, bref la vie suivait son cours, et personne n’avait l’air de s’inquiéter de ce qu’il pourrait arriver, pourvu que l’on puisse continuer à manger, à boire, à se marier, à vendre, à acheter, pourvu que nos activités puissent se prolonger, pourvu que nous ayons l’impression de maîtriser, pourvu que nous ayons l’impression d’être capables de sauver nos activités.

Les images que Jésus choisit pour parler des jours du Fils de l’homme sont précisément des images qui sont l’irruption de l’action de Dieu dans l’histoire des hommes d’une façon brutale, imprévisible, définitive. Le déluge qui sème la mort, la pluie de feu et de souffre qui tombe du ciel, ce sont des cataclysmes naturels dont nous avons encore aujourd’hui des expériences, mais ce sont surtout des signes - c’est du moins comme cela que l’Écriture les interprète. Cette irruption de l’imprévisible au moment où on ne l’attend pas, nous aide à mesurer l’écart qui existe entre notre conception de l’histoire humaine et la réalité de la présence de Dieu à cette histoire. Dieu ne s’enferme ni dans un lieu ni dans un temps. Quand nous disons que nous croyons que Dieu est éternel, nous disons qu’il est hors du temps. Quand Jésus nous apprend à prier le Père qui est aux cieux, il nous apprend à prier un Dieu qui est hors de notre espace, et qui nous fait comprendre d’une certaine façon qu’il ne peut pas y avoir de continuité entre ce que nous connaissons et la connaissance de Dieu à laquelle nous aspirons. Devenir enfant de Dieu et disciple du Christ, ce n’est pas prendre une assurance pour que tout ce que nous connaissons et tout ce que nous faisons perdure indéfiniment, ce n’est pas prendre une garantie contre les accidents, ce n’est pas prendre une protection contre les cataclysmes naturels ! Bref, ce n’est pas annexer Dieu à nos intérêts particuliers !

Si nous voulons sauver notre vie, comme nous le dit Jésus, alors nous la perdrons. Si nous voulons tirer Dieu pour faire marcher notre entreprise, acheter, vendre, manger, boire, si nous voulons faire de Dieu le protecteur de nos activités, nous les perdrons. La foi au Dieu éternel va faire exploser notre connaissance du monde et notre expérience du monde. Croire en Dieu, ce n’est pas simplement croire à l’éternité de ce que nous connaissons, c’est comprendre que ce que nous connaissons, ce que nous vivons, ce que nous éprouvons n’est pas éternel mais sera interrompu d’une façon ou d’une autre, soit par la fin du monde, soit par notre propre mort. Mais de quelque façon que ce soit, le cours ordinaire des jours où l’on mange, où l’on boit, où l’on se marie, où l’on achète, où l’on vend, de quelque façon, tout cela sera contesté et débordé par l’irruption de Dieu dans notre vie. C’est la grande leçon que le Christ nous donne sur la manière de comprendre notre relation avec Dieu. C’est un appel à mieux réaliser que la réussite de notre vie n’est pas la réussite de nos projets, que la réussite de notre vie n’est pas la réussite de ce que nous pensons, que la justice en ce monde n’est pas la réalisation de nos jugements, mais au contraire une nouvelle manière de voir, de comprendre et de juger qui va nous faire entrer dans une autre logique que celle du cours ordinaire des jours. Ce qui va dominer, ce n’est ni manger, ni boire, ni se marier, ni vendre, ni acheter, cela va être, comme nous le disait la Deuxième épître de Jean, d’entrer dans la relation d’amour avec Dieu, où l’on accepte de se perdre pour trouver notre vie, où l’on renonce à sauver notre vie, ou du moins à sauver l’image que nous nous faisons de notre vie, pour recevoir de Dieu la vie qui ne finit pas.

En disant tout cela, je mesure combien nous sommes loin de beaucoup de préoccupations, de beaucoup d’imagination, combien nous sommes loin de la conception spontanée de l’existence. Mais je mesure aussi que c’est l’espérance que Dieu nous donne : il veut faire de nous non pas les esclaves des événements du monde, mais les porteurs d’une force qui transcende les événements du monde et qui est la force de l’amour.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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