Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de la dédicace de l’autel de Saint-Ambroise – 2e Dimanche de l’Avent – Année B
Saint-Ambroise (11e) – Dimanche 7 décembre 2014
Le temps de l’attente du retour définitif du Christ en ce monde nous est donné comme un temps de grâce, de conversion, de mission. La consécration d’un nouvel autel manifeste la présence du Christ à son Église et au monde. C’est aussi un appel à renouveler notre existence comme nous y invite Jean-Baptiste.
– Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 84,9-14 ; 2 P 3,8-14 ; Mc 1,1-8
Frères et Sœurs,
Comme tant de générations de chrétiens depuis la venue du Christ en ce monde, nous attendons son retour. La fête de la Nativité que nous allons célébrer le 25 décembre est à la fois le souvenir de sa naissance à Bethléem, l’annonce de l’espérance de son retour à la fin des temps et la profession de foi en sa venue à chaque moment de notre histoire. Sinon, en effet, comment pourrions-nous comprendre ces nombreux siècles écoulés depuis l’incarnation du Christ ? Faut-il y voir une sorte de distraction de Dieu qui a oublié qu’il devait revenir ? Faut-il y voir une sorte d’abandon de l’humanité ?
Les premières générations chrétiennes attendaient le retour du Christ dans l’immédiat. Ce n’est que peu à peu qu’ils ont découvert que le Christ ne reviendrait ni le lendemain, ni la semaine suivante, ni l’année suivante, et que le temps de sa venue était inconnu, et donc la durée de l’attente indéfinie. Pourquoi ce temps si long ? À quoi bon éprouver notre espérance si chaque année qui passe repousse un peu plus loin la conclusion à laquelle on s’attend ? Faut-il y voir une sorte de malice pour nous obliger à attendre ?
L’épître de Pierre nous donne une clef pour comprendre ce temps de l’histoire des hommes : « Pour le Seigneur, un seul jour est comme mille ans, et mille ans comme un seul jour » (2 P 3,8). Le Dieu auquel nous croyons n’est pas un dieu immergé dans la durée, il n’est pas un dieu soumis à l’évolution des temps, il est un Dieu éternel, c’est-à-dire hors du temps. Pour lui toute l’histoire des hommes est présente en un seul moment. Il n’y a pas de délai et de durée, et donc si la promesse ne s’accomplit pas, ce n’est pas comme certains le prétendent, parce que Dieu aurait du retard, mais au contraire, parce qu’il prend patience envers nous car il ne veut pas laisser quelques-uns se perdre, il veut que tous parviennent à la conversion.
Ainsi ces longs siècles écoulés depuis le retour du Christ auprès du Père et dont nous partageons l’histoire avec nos contemporains ne sont pas simplement un temps d’épreuve et de vide, c’est un temps de grâce, une chance, une opportunité.
Vous vous souvenez peut-être de cette histoire que Jésus raconte dans l’évangile (Lc 13, 6-9) : un maître visite son domaine et tombe sur un figuier qui ne porte pas de fruit. Il dit à son intendant : arrache-le, on n’a pas besoin d’entretenir des arbres stériles ! L’intendant lui dit : maître, accorde-moi encore une année, que je puisse m’en occuper, le soigner, et alors peut-être il portera du fruit. Eh bien nous sommes dans cette année de grâce supplémentaire ! Certes nous pouvons être sévères sur les fruits de notre vie et plus sévères encore sur les fruits de la vie des autres, mais nous devons entrer dans l’intercession de cet intendant pour recevoir de Dieu une année supplémentaire. Cette année de grâce sera une année de conversion au cours de laquelle nous allons pouvoir tracer ce chemin à travers le désert pour que Dieu puisse visiter les hommes, aplanir les obstacles, redresser les chemins tortueux, arroser les lieux asséchés, bref, rendre notre monde mieux disposé à l’égard de la bonne nouvelle qui lui est destinée.
En invitant le diocèse de Paris à vivre une année de mission en commençant par le temps de l’Avent 2014, j’ai voulu précisément que nous soyons tous associés à ce travail de fond, à ce travail du cœur par lequel nous sommes invités à nous disposer à accueillir le Christ en notre monde et invités à annoncer sa venue et la promesse du monde nouveau dont il est porteur. La mission ne consiste pas à aller convaincre des gens de ce qu’il ne pense pas, c’est aller ouvrir devant leurs yeux le trésor que nous avons reçu et les laisser regarder, comprendre et agir.
La consécration d’un nouvel autel est un acte très important dans ce chemin que notre communauté traverse à travers les siècles. L’autel, au centre de l’église, est le signe visible de la présence du Christ. Sur lui nous offrons le sacrifice eucharistique, nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection de Jésus, nous professons la foi en sa présence. « Chaque fois que vous serez réunis en mon nom, je serai au milieu de vous. Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ». Cette présence symbolisée par la pierre de l’autel est la présence du Christ à son Église, et à travers son Église, la présence du Christ dans le monde.
C’est pourquoi c’est une grande joie d’installer un nouvel autel qui rend mieux compte de cette présence du Christ au cœur de la communauté. C’est une joie d’éprouver la vitalité d’une communauté chrétienne qui renouvelle, année après année, les signes de sa présence et de son action. Chaque génération apporte sa pierre pour que le lieu de son rassemblement, de sa célébration, de sa rencontre avec le Christ, soit plus beau et évoque mieux la réalité dont il est le signe. Nous-mêmes, peuple de Dieu rassemblé pour présenter l’eucharistie, nous sommes signes de la présence de Dieu en ce monde. Comme nous nous soucions de la qualité esthétique des signes qu’offre notre bâtiment, nous devons nous soucier aussi de la beauté spirituelle que notre peuple manifeste de la présence de Dieu.
Un nouvel autel, c’est aussi un appel à renouveler notre existence, à entrer dans ce chemin de conversion auquel nous appelle Jean-Baptiste, à montrer au milieu des difficultés de ce monde que l’espérance d’un monde nouveau, d’un ciel nouveau, d’une terre nouvelle, transforme la manière de vivre dans ce monde ancien et nous permet d’y apporter les germes d’un renouveau que tous désirent, même si tous ne peuvent pas le nommer.
Avec joie, nous nous rassemblons donc dans cet accueil de la présence du Christ en notre XXIe siècle, et nous ouvrons notre vie pour qu’il trace son chemin au milieu de nous.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.