Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe de la dédicace de l’autel de Saint-Jean-Baptiste de Grenelle
Saint-Jean-Baptiste de Grenelle (15e) – 21 décembre 2014
L’autel dans l’église est le signe de la présence du Christ parmi nous, dans son Église, dans le monde. Cette Église a reçu une mission à l’égard de l’humanité : annoncer le Christ. Avent 2014 s’inscrit dans ce projet. À travers les missionnaires, et la fragilité de leurs moyens, c’est Dieu lui-même qui agit et se construit son Église. Dieu accompagne toujours son peuple.
– 4e Dimanche de l’Avent – Année B
– 2S 7, 1-5.8b-12.14a.16 ; Ps 88, 4-5.27-30 ; Rm 16, 25-27 ; Lc 1,26-38
Frères et Sœurs,
Depuis bien longtemps, les curés de Saint Jean-Baptiste de Grenelle qui se sont succédé et dont plusieurs sont présents ce matin, avaient espéré parvenir à la célébration de ce jour. Je ne sais pas s’ils étaient comme le roi David qui avait dû renoncer à construire lui-même le temple du Seigneur, et je ne sais pas si le curé actuel peut être comparé à Salomon, mais en tout cas, c’est à lui qu’a échu l’honneur et le plaisir d’accomplir le projet que tous avaient porté dans leur cœur : construire un autel définitif et le consacrer au Seigneur.
Construire un autel, on peut penser que c’est une opération liturgique, une opération esthétique, une opération matérielle, mais avant tout et c’est cela que nous fait comprendre le livre de Samuel, c’est d’abord un acte spirituel : pas plus que David ne pouvait construire la maison du Seigneur, nous ne pouvons nous-mêmes construire l’Église du Christ. Ce n’est pas nous qui donnons à Dieu les moyens de réaliser ses projets, c’est Dieu qui réalise ses projets en faisant appel à nous, en nous donnant les moyens de coopérer à son action. Ainsi, réaliser un nouvel autel magnifique au cœur de l’église, ce n’est pas une œuvre de réhabilitation artistique, c’est une œuvre spirituelle qui fait de nous les serviteurs de la manière dont Jésus veut être présent à son Église, et à travers la présence à son Église, la manière dont il veut être présent au monde de ce temps, en particulier dans ce quartier de Grenelle. Ainsi, de même que l’autel représente le Christ au milieu de son peuple, la construction d’un nouvel autel est une œuvre que Dieu promet et permet parce qu’elle est le signe qu’il continue d’être présent à l’humanité et qu’il veut aujourd’hui donner un visage actuel à cette présence permanente à travers l’histoire.
L’Église sait très bien qu’à travers les apôtres et par le don de l’Esprit Saint, elle a reçu une mission à l’égard de l’humanité : annoncer le Christ mort et ressuscité, annoncer à tous les hommes et à toutes les femmes de tous les temps et de tous les pays que l’humanité n’est pas abandonnée à ses malheurs ni soumises à la mort. Au contraire, Dieu qui l’a voulue et lui a donné la vie veut la restaurer dans cette vie qu’il lui a donnée en lui apportant le salut. La naissance de Jésus dans la nuit de Bethléem est le signe et la réalisation de ce salut voulu par Dieu pour tous les hommes. C’était le cœur du message de la mission que nous avons voulu conduire en cet Avent 2014, en annonçant à nos contemporains que Noël n’était pas seulement une fête de la paix, de la lumière, de la famille, de l’amitié, ni le pic de consommation sur lequel tout le monde a les yeux fixés. Noël, c’est la venue du Sauveur parmi les hommes par la naissance de Jésus à Bethléem. Et pour nous, qui sommes porteurs de cette bonne nouvelle, c’était une urgence missionnaire de rappeler à nos contemporains, l’origine et le sens de la fête de la Nativité. C’est ce que nous avons fait, ce que nous faisons, ce que nous continuerons de faire par la mission de l’Avent 2014. Mais nous ne sommes pas suffisamment naïfs pour croire que c’est nous qui sommes la mission de l’Église.
La mission de l’Église, c’est l’Esprit Saint que Dieu a répandu dans le cœur des apôtres, c’est l’Esprit Saint qu’il répand sur ceux qui acceptent de suivre le Christ. L’acteur principal et premier de la mission de l’Église, c’est Dieu lui-même car c’est lui qui se construit une maison à travers les temps de l’histoire, c’est lui qui se rassemble un peuple. Contrairement à la formule qui a séduit quelques temps les théologiens, nous ne faisons pas Église, nous recevons l’Église ! Celui qui fait l’Église, c’est Dieu ! Celui qui définit la mission de l’Église, ce n’est pas moi, c’est Dieu ! Celui qui donne les moyens de la mission, ce ne sont pas les artisans, les animateurs d’une action missionnaire dans un temps donné, c’est Dieu lui-même ! Ainsi, c’est lui qui se rassemble un peuple et c’est lui qui se construit une maison comme le rappelait le livre de Samuel.
Aujourd’hui donc, comme à tous les moments de l’histoire de la révélation, Dieu se rassemble un peuple, Dieu se construit une maison. Notre joie, c’est de pouvoir être associés à cette action par la mission qu’il nous donne d’être les témoins de ce projet de rassembler l’humanité en un seul peuple, d’être le témoin de son action de salut dans la personne du Christ, d’être le témoin de l’espérance qu’il apporte à l’humanité. Bien sûr, de même que la Vierge Marie recevant l’annonce de l’ange Gabriel peut légitimement s’interroger sur les moyens pour que Dieu accomplisse son projet : « Comment cela va-t-il se faire ? » (Lc 1,34), nous pouvons nous interroger. Mais comme à la Vierge Marie, l’ange nous répond que l’Esprit viendra sur nous et qu’il nous prendra sous son ombre. « Car rien n’est impossible à Dieu. » (Lc 1, 37).
Quand nous formulons quelques projets missionnaires comme nous l’avons fait depuis plusieurs années dans le diocèse de Paris et quand nous lui donnons une forme particulière en cet Avent 2014, beaucoup de chrétiens tout à fait sincères pensent que nous sommes engagés dans un combat perdu d’avance puisque depuis des décennies, on cherche à les convaincre que le christianisme est fini et que les chrétiens vont disparaître. Comment cette race en voie d’extinction, ce peuple miné par ses propres faiblesses pourrait-il devenir l’acteur d’une nouvelle mission ? Comment pourrait-il faire autre chose que s’enfermer dans ce qu’il lui reste de bâtiments et se consoler dans sa tristesse en attendant pieusement que tout soit fini ? Si nous étions un système politique ou économique, nous comprendrions très bien cette appréciation de la situation et nous serions tout à fait fondés à croire que ce qu’il nous reste à faire, c’est de nous réfugier dans un coin pour continuer à prier pendant que le monde tourne autour de nous et mène sa vie qui le conduit à sa perte... Mais nous ne sommes pas un système économique, nous ne sommes pas un système politique, nous ne reposons pas sur notre capacité de mobiliser les forces ; nous reposons sur une force qui vient d’un autre, sur une mission qui n’est jamais proportionnée à nos moyens. La mission donnée aux douze d’annoncer l’évangile à toutes les nations n’était pas proportionnée aux moyens dont ils disposaient. La mission reçue par quantité d’hommes et de femmes partis à travers le monde porter l’évangile ne correspondait pas à leur capacité d’action et de conviction sur des peuples complètement étrangers. Aujourd’hui, notre mission ne correspond pas à nos moyens.
Mesurer l’écart entre ce que Dieu nous demande et ce que nous sommes capables de faire, c’est précisément entrer dans le cheminement de la foi où nous comprenons que c’est Dieu lui-même qui agit et qui transcende nos faiblesses pour manifester sa puissance. Comme saint Paul le dit à plusieurs reprises dans ses épîtres, c’est par notre faiblesse que Dieu manifeste sa puissance. C’est parce que nous sommes convaincus de l’existence et de la force de cette puissance de Dieu, que malgré notre faiblesse, nous sommes capables de croire aujourd’hui encore, que « rien n’est impossible à Dieu » et que du petit peuple que nous sommes, il peut faire un ferment virulent pour transformer l’humanité.
Frères et sœurs, en consacrant cet autel, nous renouvelons notre foi en la présence du Christ en son Église, en la vigueur sacramentelle de cette présence, en la signification forte des signes visibles qu’il donne de cette présence et nous fortifions notre conviction que celui qui marche avec le Christ, ne peut pas douter que Dieu accompagne son peuple. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.