Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 4e Dimanche de l’Avent – Année B

Dimanche 21 décembre 2014 - Notre-Dame de Paris

La question de l’origine du Christ est centrale pour nous. La révélation judéo-chrétienne peut être lue de façon naturelle. Un regard de foi est nécessaire pour entrer dans ce mystère caché depuis les origines qu’est la volonté de Dieu. Le messie Sauveur vient nous dévoiler ce mystère.

 2S 7, 1-5.8b-12.14a.16 ; Ps 88, 4-5.27-30 ; Rm 16, 25-27 ; Lc 1,26-38

Frères et Sœurs,

Les lectures que nous venons d’entendre nous préparent à comprendre un peu mieux ce dont nous allons être témoins lors de la célébration de la nativité du Christ. En effet, la question à laquelle beaucoup d’hommes et de femmes ont été confrontés à travers l’histoire, et à laquelle nous-mêmes nous sommes confrontés aujourd’hui, est de savoir d’où vient le Christ. Autrement dit, est-ce que les souvenirs évoqués par les évangiles, les paroles, les gestes que Jésus a posés sont simplement un moment un peu exalté, avec quelques personnages charismatiques, voire prophétiques, mais ne correspondent finalement qu’à la relecture historique de la progression à travers le bassin méditerranéen d’une religion monothéiste qui ne dit rien sur l’origine de cette religion ? On peut en effet lire la tradition biblique, y compris le Nouveau Testament, comme les expressions circonstancielles des croyances d’un certain nombre de peuples, qui manifestent peut-être une certaine évolution dans la conception de la religion, mais qui ne ressortent à aucun moment d’une origine divine ! Autrement dit, comme beaucoup de philosophes modernes ont pu le montrer, il y a la place pour une lecture purement naturelle de la révélation judéo-chrétienne, comme un moment de l’évolution des civilisations et des idées mais qui ne change rien, au fond, à la réalité de l’expérience vécue par les hommes.

Dans cette lecture historique, on peut parcourir, comme le fait d’ailleurs la Bible, différentes étapes depuis le déluge avec Noé, Abraham, Moïse, David, et repérer une sorte de généalogie historique et morale qui permettrait de repérer des couches successives à travers lesquelles se serait condensée une sorte d’attente messianique dont la naissance de Jésus serait l’aboutissement, du moins dans les textes. Cette lecture rationalisante de la tradition judéo-chrétienne n’est pas simplement l’effet de l’impiété ou de la rationalisation des esprits modernes, c’est une façon de comprendre ce que l’on appelle dans la culture laïque le fait religieux. Et on peut très bien mettre en œuvre un partage culturel sur le fait religieux sans se prononcer sur la réalité des événements, mais en se contentant d’évoquer les textes, ni se prononcer sur la vérité des messages qui sont proposés.

Évidemment nous avons spontanément tendance à rejeter cette approche que nous serions assez portés à assimiler à une sorte de blasphème, mais il faut bien être conscients que cette vision naturelle et rationaliste de la tradition existe y compris à l’intérieur de la Bible. L’épisode rapporté par le livre de Samuel sur le projet de David de construire le temple pour la résidence de Dieu est un des aspects de ce conflit concernant une sorte de naturalisation du fait de la foi dans les mœurs royales. David veut construire la maison de Dieu, et dans un premier temps, le prophète Nathan ne voit pas d’obstacles à ces projets. Il faut ensuite une intervention particulière auprès du prophète pour que celui-ci change de position et qu’il comprenne et fasse comprendre à David que la maison de Dieu ne sera pas construite par le roi mais que c’est Dieu lui-même qui construira la maison du roi. Ceci signifie que David ne sera pas le fondateur de la religion, mais qu’il sera le serviteur d’une religion fondée par Dieu lui-même. Quand Dieu lui dit qu’il lui donnera une descendance et que dans cette descendance, il y aura le Messie, il indique déjà que la relation du Messie au roi David ne sera pas simplement un héritage génétique et naturel mais un héritage de la foi.

Saint Paul dans l’épître aux Romains nous aide à avancer un peu plus dans cette compréhension dans la dimension tout à fait exceptionnelle de la révélation de Dieu. Il ne s’agit pas en effet de retracer simplement les étapes d’une réflexion plus ou moins affinée sur le phénomène de la révélation historique, telle qu’elle est rapportée par la Bible, mais de pénétrer dans une zone qui échappe à notre pouvoir rationnel et qui est la zone d’un mystère gardé depuis longtemps dans le silence. Ce mystère caché depuis les origines du monde, c’est la volonté de Dieu, c’est la personne de Dieu. C’est ce mystère qui est manifesté d’abord au moyen des écrits prophétiques et qui est porté ensuite à la connaissance de toutes les nations par le Christ envoyé en mission de la part du Père. Nous comprenons alors que la naissance de Jésus de Nazareth dans la nuit de Bethléem n’est pas simplement une péripétie historique mais que c’est un acte strictement voulu par Dieu, tel qu’il est déchiffré dans le récit de l’Annonciation de l’ange Gabriel à Marie. Il s’agit de poser clairement et explicitement la question de celui qui est le véritable Père de Jésus. Ce ne sera pas un homme, non seulement parce que Marie ne connaît pas d’homme, mais surtout parce que celui qui est le Père de Jésus, c’est Dieu lui-même qui enverra son Esprit Saint pour assurer la conception virginale de celui qui va être engendré. Ainsi, les généalogies qui existent dans les récits évangéliques et rattachent Jésus à David pour respecter la prophétie, le rattachent à David par l’ascendance de Joseph, c’est-à-dire précisément expriment qu’il n’est pas un descendant naturel de David mais qu’il est proprement et exclusivement le Fils de Dieu.

C’est pour nous un appel à mieux comprendre ce que nous célébrons dans la fête de Noël. Nous savons très bien ce qu’il peut y avoir eu d’arbitraire dans le choix de la date du 25 décembre, comment l’Église primitive dans sa volonté de récupérer dans le mystère du Christ les réalités vécues dans le paganisme, a christianisé un certain nombre d’événements ou d’épisodes de la vie sociale. Nous savons très bien que dans le choix de la date du 25 décembre, il y a la volonté théologique d’exprimer comment celui qui vient au monde est le soleil qui se lève sur l’univers à partir du solstice d’hiver. Mais tout cela n’explique rien du tout ! C’est une manière de trouver les voies et les moyens par lesquels la foi chrétienne assume progressivement une culture et lui donne un sens nouveau. Ce qui se passe dans la nuit de Bethléem c’est proprement un acte de Dieu pour le salut du monde, c’est la venue de Dieu dans notre chair, c’est la découverte que ce qui paraît impossible comme la mise au monde d’un enfant sans la participation d’un homme, devient possible par la puissance de Dieu.

En nous préparant à célébrer cette fête de la nativité, nous sommes invités à revenir au cœur de notre foi, à ce qui éclaire l’histoire du monde. Ce n’est pas simplement l’analyse des théories successives qui ont parcouru les civilisations humaines, ce n’est pas simplement la connaissance historique de la tradition révélée dans la Bible, c’est réellement une intervention de Dieu qui n’a pas d’autres causes ni d’autres explications que la volonté de Dieu lui-même. Celui que nous attendons et que nous fêterons comme le Messie qui vient nous sauver, c’est celui qui dévoile le secret du mystère de Dieu, celui qui veut être le Père de tous les hommes.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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