Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe aux MEP – Épiphanie du Seigneur

Dimanche 4 janvier 2015 - Chapelle des Missions Étrangères de Paris, 128 rue du Bac (Paris VIIe)

Les juifs ont été invité à reconnaître dans l’enfant de Bethléem un Sauveur. Les mages quant à eux un roi. La quête de la vérité ne peut faire l’économie de la médiation de ceux qui ont déjà reçu la révélation. La rencontre du Christ provoque des changements d’orientation de vie. Nous sommes tous appelés à la dimension universelle de la mission.

 Is 60, 1-6 ; Ps 22 ; Ep 3,2-3a.5-6 ; Mt 2,1-12

Frères et Sœurs,

Le mystère, qui n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, est maintenant révélé aux apôtres et aux prophètes dans l’Esprit. Il est révélé par la manifestation de Dieu dans la personne de Jésus de Nazareth. Ces jours-ci, la liturgie de l’Église nous invite à méditer sur cette manifestation du Christ et à essayer d’entrer plus profondément dans le mystère qu’elle signifie. Vous aurez remarqué qu’entre le récit de la nativité rapporté dans l’évangile de Luc que nous avons lu au cours de la messe de minuit et ce passage de l’évangile de saint Matthieu sur la vénération des mages, il y a de notables différences. La première ne paraît pas immédiatement : ce qui est annoncé aux bergers dans la nuit de Noël par la voix de l’ange, c’est la naissance d’un Sauveur, tandis que ce qui est annoncé aux mages, ou plus exactement ce que les mages recherchent, c’est un Roi. Sans doute cette différence dans la manière de désigner le Christ veut-elle nous faire comprendre quelque chose : celui qui est manifesté aux Juifs, à travers le message d’un ange, c’est un Sauveur. Les mages, eux, n’ont pas été instruit par un ange. Visiblement, ce qu’il nous faut comprendre, c’est que le message de l’ange dans la nuit de Bethléem est un message qui vient de Dieu. Les mages pour leur part n’ont pas reçu de message de Dieu. Ils sont venus en suivant une étoile. C’est tout à fait un autre univers, non seulement un autre univers religieux mais aussi un autre univers mental. Je laisse le soin aux savants de déterminer si les mages étaient des astronomes et s’ils avaient calculé les rencontres des planètes pour suivre cette étoile dont les représentations artistiques nous montrent simplement qu’elle avait la qualité de briller plus que les autres… En tout cas, ils ont pris ce chemin vers Israël à la suite de leur réflexion, de leurs recherches, de leur attente, de leur désir peut-être, de quelqu’un qui apporte une réponse aux grandes énigmes de la vie humaine.

On aurait pu imaginer, parce que cela n’était pas impossible, que cette étoile les conduisît directement à Bethléem, au-dessus de la grotte, et pourtant l’Évangile nous entraîne à faire un détour par Jérusalem. Ils se sont mis en route selon leur lumière, ils cherchent selon ce qu’ils espèrent, ce qu’ils croient, ce qu’ils conjecturent mais ils ne savent pas. Par conséquent, ils viennent se renseigner là où sont les renseignements, c’est-à-dire auprès des Juifs, puisqu’il s’agit de trouver le roi des Juifs. Ils interrogent celui qui est le roi du moment, Hérode. Derrière ce détour se donne quelque chose à comprendre. L’être humain dans sa quête de solutions, de réponses, de lumière sur les grandes questions auxquelles il est confronté, peut faire un long chemin dans la direction de la vérité. Mais, il ne peut pas connaître les mystères que Dieu a révélés aux hommes en faisant l’économie de ceux qui en ont reçu déjà l’annonce. Nous pouvons prier Dieu qu’il nous donne suffisamment de crédibilité afin que les hommes viennent chercher des éléments de réponse auprès de nous qui avons reçu la révélation. Les païens sont appelés non seulement à rencontrer le Christ et à découvrir la plénitude de la vérité, mais ils y sont conduits par la médiation d’Israël, à qui ils s’adressent pour avoir les renseignements. Ils sont appelés à rejoindre Bethléem, en suivant toujours la trace de leur étoile mais avec un élément d’information supplémentaire. Ils découvrent « un enfant emmailloté dans une mangeoire » (Lc 2,12), comme nous dit l’évangile de Luc. Ce qui a été demandé aux Juifs, c’est de reconnaître un Sauveur dans le signe de cet enfant. Ce qui est demandé aux mages, c’est de reconnaître un Roi dans la pauvreté de cette étable.

L’évangile précise qu’après avoir offert leurs cadeaux, « ils sont repartis par un autre chemin » (Mt 2,12), pas simplement pour éviter de rencontrer Hérode, mais aussi peut-être parce que la rencontre du Christ est de nature à ouvrir de nouveaux chemins dans l’histoire des hommes. Connaître le Christ, ce n’est pas simplement bénir le chemin que l’on a parcouru, c’est accepter de retourner par un autre chemin. La rencontre du Christ, qu’elle soit instantanée, comme c’est le cas ici, qu’elle soit régulière comme c’est notre cas quand nous prions jour après jour, cette rencontre du Christ n’est pas simplement une sorte de reconnaissance du chemin que nous avons parcouru, elle n’est pas simplement l’approbation de notre quête, de notre recherche, de notre engagement, de notre désir, de notre attente, ou de notre espérance, la rencontre du Christ retourne nos attentes et notre chemin vers de nouveaux objectifs. C’est pourquoi, l’Église, au long de son histoire, n’a jamais pu se résigner à imaginer que le Christ était la propriété d’un groupe humain. Elle n’a jamais pu imaginer que le Christ était « son » Christ. Le Christ est Christ pour tout le monde. Chaque fois que nous rencontrons la figure du Christ, nous sommes transportés vers d’autres horizons. Nous ne pouvons pas vivre dans la communion au Christ simplement comme un réconfort pour le chemin que nous avons parcouru. Nous rencontrons le Christ afin qu’il soit le Seigneur du monde entier. Pour cela, il faut que nous changions de route, il faut que nous repartions de notre rencontre avec Lui par d’autres chemins que nous ne connaissons pas, qui sont largement des chemins inconnus.

Chacun et chacune d’entre nous, pour autant qu’il a fait l’expérience de la rencontre de Jésus, connaît cette expérience des changements que cette rencontre produit dans sa vie. Chacun et chacune d’entre nous, pour autant qu’il participe à la vie d’une Église constituée par la mission, est orienté définitivement vers la dimension universelle du mystère de Dieu. Aussi, d’une certaine façon, les sociétés missionnaires, comme la Société des Missions Étrangères de Paris, sont en même temps un corps qui répond à cette mission universelle et un signe qui doit éveiller pour tous la dimension universelle de la mission. La mission de l’Église n’est pas l’œuvre d’un corps spécialisé qui serait envoyé au bout du monde pendant que nous nous pourrions continuer à vivre à l’abri des vents et des tempêtes ! C’est la même Église, c’est la même mission, et donc nous sommes tous appelés à la dimension universelle de la mission.

En ce jour où il nous est donné de rendre grâce pour cette promesse partagée, pour l’héritage reçu, pour le corps auquel nous sommes associés, nous pouvons demander à Dieu qu’il ravive en nous la conscience universelle du mystère de son amour. Non seulement il s’agit de révéler ce qui est resté caché aux générations passées mais il s’agit aussi d’annoncer à toutes les nations la bonne nouvelle du Salut.

Amen.

+ André cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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