Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de Solennité de la dédicace de l’église ND de Lourdes – 3e Dimanche du Temps Ordinaire – Année B
Dimanche 25 janvier 2015 - Notre-Dame de Lourdes (Paris XXe)
Au début de sa mission Jésus reprend la parole de Jean-Baptiste : "Les temps sont accomplis... Convertissez-vous et croyez à l’Évangile". L’accomplissement du temps c’est le temps que nous vivons. La conversion, c’est pour maintenant. Qu’allons-nous changer dans notre vie ?
– Jon 3,1-5.10 ; Ps 24,4-9 ; 1 Co 7,29-31 ; Mc 1,14-20
Frères et sœurs,
Dimanche dernier, l’évangile nous montrait Jean-Baptiste désigner Jésus comme l’Agneau de Dieu, et envoyait deux de ses disciples à sa suite. Aujourd’hui, nous commençons la lecture continue de l’évangile de saint Marc qui s’ouvre naturellement par le début de la mission de Jésus et de son ministère public. Jean-Baptiste a été arrêté. Cela signifie que le temps de Jean-Baptiste est clos et que s’ouvre le temps du Messie. Jésus reprend le même message que Jean-Baptiste : « les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15).
Comment pouvons-nous comprendre cette parole de Jésus : « Les temps sont accomplis » ? Pour nous, spontanément, cela veut dire : tout est fini. Les temps sont accomplis et le monde va s’arrêter. C’est comme cela que les premiers chrétiens ont compris qu’après la mort et la résurrection de Jésus, il n’y avait plus rien à attendre. Qu’est-ce que Dieu pouvait encore faire de plus ? Ils pensaient qu’ils vivaient les derniers temps, comme cela ressort de la lettre de saint Paul aux Corinthiens : « le temps est limité » (1 Co 7,29), avec cette conscience de vivre dans une période peut-être très courte, le temps du jugement étant tout proche. Mais les choses ne se sont pas passées comme cela, le monde ne s’est pas arrêté, la vie a continué, et le temps du jugement n’est pas encore arrivé. Pourtant, nous croyons que les temps sont accomplis, c’est-à-dire que Dieu a fait tout ce qu’il pouvait faire et qu’il continue de faire tout ce qu’il peut faire en envoyant son Esprit-Saint. Mais il reste du temps à vivre pour l’humanité, pour chacune et chacun d’entre nous. Simplement, nous sommes convaincus maintenant, que ce temps n’est pas sans limite. Nous savons que l’humanité finira un jour. Nous savons que nos vies s’arrêteront un jour.
Dans ce temps limité et accompli, il y a une urgence renouvelée jour après jour : croire à l’Évangile et laisser convertir notre vie. Le règne de Dieu est tout proche, cela veut dire que Dieu s’est fait proche des hommes, en Jésus-Christ. Cela veut dire qu’il se fait proche de nous par son Esprit-Saint que nous avons reçu. Cela veut dire qu’il se fait proche de l’humanité par la mission de l’Église qui nous est confiée d’annoncer la bonne nouvelle et de témoigner du Christ. Le règne de Dieu est tout proche, il est proche par sa parole, il est proche par ses sacrements, il est proche par son Église. Ce qui nous est demandé, ce n’est pas de commander le temps, de décider combien cela va durer, ni de décider à quel moment cela doit s’arrêter, mais c’est de rendre grâce pour ce temps qui nous est donné. Dans l’évangile, il y a un épisode très éclairant, c’est la parabole du maître qui visite son domaine avec son régisseur. Il passe devant un figuier qui n’a pas donné de fruit, et le maître du domaine dit au régisseur : arrache-le ! Puisqu’il ne donne pas de fruit, ce n’est pas la peine de le garder. Le régisseur lui dit : Seigneur, donne-moi encore une année, je vais m’en occuper et après s’il ne porte pas de fruit nous le couperons. Ce temps que nous vivons, c’est cette année supplémentaire ! Dieu nous donne du temps supplémentaire, non pas pour reculer indéfiniment le moment de vérité de notre vie, mais pour nous donner une chance de ne pas mourir sans avoir ajusté notre existence à l’Évangile.
« Convertissez-vous et croyez à l’évangile », cela veut dire : puisque ce temps nous est donné, puisque nous avons un petit supplément de quelques années, il ne faut pas le gâcher, il ne faut pas dire : puisqu’on a un supplément, on peut remettre à demain, ou on peut remettre à l’année prochaine, il y aura encore des jours où l’on pourra se convertir… Le temps est limité. Nous ne savons pas combien de temps nous avons devant nous. Ce que nous savons, c’est que dans le présent déjà, Dieu est là et nous appelle. Il nous donne ce temps pour nous permettre de répondre à cet appel, comme nous voyons Simon et André le faire au bord du lac, ou Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Jésus les appelle et « laissant tout ils le suivirent » (Mc 1,18). Jésus appelle aujourd’hui chacune et chacun d’entre nous à entrer dans ce chemin où il va annoncer que le règne de Dieu est tout proche, non pas demain, non pas dans un an ou dans dix ans, mais aujourd’hui ! Dès maintenant, il nous invite à mettre l’évangile en pratique, à vivre notre existence quotidienne d’une manière différente. C’est ce que saint Paul demande aux Corinthiens, quand il leur dit que le temps est limité et « que ceux qui profitent de ce monde soient comme s’ils n’en profitaient pas vraiment » (1 Co 7,31). En qui et en quoi ont-ils mis leur espérance ? Ont-ils mis leur espérance dans ce monde ? Mais, comme dit saint Paul, « il passe, ce monde tel que nous le voyons ». Il passe non pas seulement parce que l’on vieillit, parce qu’il s’use, parce que les hommes ont trouvé toutes sortes de moyens de l’abîmer et de le détruire, mais il passe parce que c’est la nature des choses ! Ce monde n’est pas voué à l’éternité. Nous sommes donc invités à ne pas mettre notre espérance dans les choses qui passent, ni à fixer notre désir et nos efforts pour accroître notre possession du monde, que ce soient l’époux de son épouse, l’épouse de son époux, nos misères, nos réussites, nos achats… Tout cela peut être très bon et très agréable, Dieu nous a donné ces choses pour que nous en vivions, mais il ne nous les a pas données pour que nous en devenions esclaves ! Il nous les a données pour nous aider précisément à vivre ce temps d’une façon juste et honnête. C’est ce qu’ont compris les habitants de Ninive quand Jonas les a appelés à la conversion. Ils ont compris que le moment était venu et ils crurent en Dieu. A Paris aujourd’hui, la parole de Jonas continue de s’adresser à nous. Et le chemin dans lequel nous sommes invités à entrer à la suite du Christ, à la suite de Simon et d’André, à la suite de Jacques et Jean, les fils de Zébédée, c’est un chemin de conversion. C’est une invitation pour chacune et chacun d’entre nous à nous interroger : qu’est-ce que cela signifie pour moi « me convertir » ? Qu’est-ce que cela signifie changer quelque chose dans ma manière de vivre ? Qu’est-ce que ce cela signifie entrer dans un temps et dans un monde nouveau ?
Chacune et chacun d’entre nous, quel que soit son âge, quelles que soient ses contraintes, ses charges, est appelé à faire quelque chose de neuf dans sa vie, quelque chose de nouveau qui met davantage son existence en cohérence avec l’Évangile, qui permet d’entrer vraiment dans la conversion et d’accueillir le règne de Dieu qui vient. Quand vous vous réunissez chaque dimanche dans votre église, vous venez précisément entendre cet appel à la conversion, vous venez recueillir votre existence devant le Seigneur, et recevoir sa lumière pour comprendre ce qu’il vous invite à changer. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.