Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St-Pierre lors du Pèlerinage à Rome du Séminaire de Paris, du Séminaire du diocèse aux Armées françaises, de la maison Notre-Dame de la Strada et de la Maison Saint-Augustin de Paris
Jeudi 5 février 2015 - Autel du chœur de la basilique Saint-Pierre de Rome
Cheminer vers le sacerdoce s’apparente à un apprentissage de la vie de disciple du Christ. Un pèlerinage à Rome est l’occasion de construire le presbyterium parisien dans sa communion à l’Église de Pierre. A travers la diversité des figures des successeurs de Pierre, c’est toujours la même Église du Christ qui se construit et qui témoigne.
– Lecture de la fête de la chaire de Saint-Pierre
– 1 P 5,1-4 ; Ps 22 ; Mt 16, 13-19
Chers amis,
La confession de Césarée rapportée par saint Matthieu définit et exprime d’une façon tout à fait démonstrative, la relation intime et forte qui existe entre Jésus, ses disciples, et particulièrement Pierre, puisque c’est à lui que revient de proclamer la foi au Messie, Fils du Dieu vivant. Jésus nous éclaire tout de suite sur la nature de cette proclamation : il s’agit là non pas d’une parole humaine, mais d’une parole qui vient du Père.
Cette relation s’est nouée au bord du lac de Tibériade dans les premiers temps de la prédication de Jésus, quand il a appelé les premiers disciples. Elle s’est approfondie au long du chemin parcouru par Jésus à travers ses enseignements et les signes qu’il a donnés, à travers aussi ces moments que soulignent particulièrement l’évangile de saint Marc où Jésus prend les disciples à l’écart pour leur expliquer toute chose. Cette relation initialement relativement indéterminée, s’est construite peu à peu comme une relation de maître à disciples et elle a tissé entre Jésus et ses disciples des liens que rien ne pourra dissoudre.
Dans le cheminement que vous vivez vers le sacerdoce, il y a quelque chose qui s’apparente à cet apprentissage de la vie du disciple du Christ. Certes, rien ne vous retient de professer votre foi au Christ Messie, Fils du Dieu vivant. Mais nous savons bien qu’entre la profession de foi de Pierre et l’accomplissement de ses effets à travers la Passion, la Résurrection de Jésus et la Pentecôte, cette réalisation va demander un approfondissement, une transformation intérieure du côté de Pierre. Ainsi, jour après jour, année après année, vous devenez davantage capables d’accueillir cette parole de la bouche du Père, et de la transmettre. C’est Dieu lui-même qui met en nos cœurs la certitude que Jésus est bien celui que nous cherchons, c’est Dieu lui-même qui met sur nos lèvres la parole pour que nous lui parlions et la parole pour que nous l’annoncions. Et c’est Dieu lui-même qui doit pouvoir nous conduire, jour après jour, à habiter cette parole de manière à ce qu’elle transforme notre vie et qu’elle fasse de nous de véritables disciples.
Ce pèlerinage à Rome au cours de votre formation est un moment important, non seulement comme une étape spirituelle possible dans votre itinéraire personnel, mais c’est aussi un moment important dans votre cheminement commun vers le sacerdoce et dans votre intégration progressive au sein du presbyterium parisien. Aussi, c’est pour moi un moment très fort de célébrer avec vous à la chaire de Pierre. En effet, à travers cette eucharistie, nous exprimons à la fois notre communion au Christ ressuscité et notre dévotion à la personne de Pierre, à travers le sacrifice de sa vie, à travers le témoignage qu’il a rendu à Jésus, à travers le chemin qu’il nous a indiqué quand le découvrons dans les Écritures. Notre communion étroite dans l’Église diocésaine s’enracine et se développe dans la communion de l’Église universelle. Il n’y a pas d’Église universelle s’il n’y a pas d’Église particulière, il n’y a pas d’Église particulière, catholique, universelle, si elle n’est en communion étroite avec le successeur de Pierre.
Le privilège de l’âge permet à certains d’entre nous d’avoir découvert et connu plusieurs personnalités successives qui ont assumé cette mission de successeur de Pierre. Chacun, au moment où il a pris la responsabilité de l’Église universelle, a été présenté à travers nos moyens de communication comme un homme nouveau. C’est toujours assez réjouissant quand on découvre un homme nouveau à 78 ans… Puis à mesure que passe le temps, qu’il exerce sa mission, on découvre à la fois l’enracinement profond de son ministère dans la tradition ecclésiale de ses prédécesseurs, et l’apport personnel, original, charismatique, de sa personnalité. Ce qui est proprement sacramentel dans la forme catholique de l’Église, c’est précisément que, chaque moment présent vécu dans la singularité de sa réalisation, est indissociable de l’universalité dans le temps. L’Église du Christ, c’était l’Église de la Pentecôte et c’est l’Église de 2015 ! Nous la faisons vivre tels que nous sommes, dans les conditions où nous vivons, avec les moyens dont nous disposons. Elle ne ressemble en rien à ce qu’était l’Église au moment de la Pentecôte, et pourtant, c’est la même ! Comme notre Église aujourd’hui ne ressemble pas à l’Église dont l’architecture nous entoure, elle n’a pas à chercher à lui ressembler, nous ne sommes pas appelés aujourd’hui à reconstituer l’Église de la Renaissance, nous sommes plutôt appelés à faire renaître l’Église de notre temps.
C’est donc avec une grande reconnaissance que nous accueillons ces témoignages successifs à travers le temps, et une grande liberté que nous les habitons et les faisons vivre à notre manière. Ainsi notre Église parisienne est complètement liée, unie, dans l’Église de Pierre, à toutes les Églises. Cela veut dire que notre engagement dans l’Église parisienne est indissociable d’une disposition et d’une disponibilité complète pour la mission, à Paris ou ailleurs, et dans toutes sortes de circonstances et de situations. Il me revient, comme successeur des apôtres et témoin de l’universalité de l’Église, d’aménager et d’orchestrer cette disponibilité à la mission, comme il me revient de la faire diffuser dans le corps tout entier de notre Église. C’est ce que nous avons essayé de vivre avec la mission de l’Avent 2014 et que nous allons poursuivre au cours des années qui viennent.
Que le Seigneur donne à chacun d’entre vous la joie de pouvoir dire au plus profond de son cœur : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16), comme un lien personnel indéfectible entre vous et le Christ, quoi qu’il advienne de votre vie. Qu’il donne à chacun d’entre vous de voir se concrétiser cette communion intime avec le Christ dans le ministère et la mission que Jésus confie à son Église, car la question n’est pas simplement : qui est Jésus pour moi ? Mais la question est : que disons-nous qu’il est pour nous ? « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (Mt 16,15). Notre réponse unit indissociablement la communion intime de notre cœur avec l’orientation de notre mission et de notre ministère.
C’est une joie épisodique qui n’est pas due, c’est un don gratuit d’avoir l’occasion de temps en temps d’entendre Jésus nous dire : « Heureux es-tu » (Mt 16,17), et nous confier notre part du ministère de l’Église. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.