Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Célébration de l’appel décisif des catéchumènes adultes à Notre-Dame de Paris
Samedi 21 février 2015 (matin) - Notre-Dame de Paris
L’appel décisif de l’évêque fait entrer les catéchumènes dans l’ultime étape de leur préparation aux sacrements d’initiation : baptême, confirmation, eucharistie. C’est le temps de rendre grâce pour celles et ceux qui ont permis à ce chemin de se construire à travers les événements vécus par chaque catéchumènes. C’est le temps de rendre grâce pour cette rencontre personnelle avec le Christ qui s’est révélé et les a appelés à le suivre.
– Ep 4, 17-32 ; Ps 24 ; Mc 10, 46-52
Frères et Sœurs, chers amis,
Chacune et chacun d’entre nous, mais plus spécialement vous qui vous préparez à votre baptême, nous sommes, et nous avons été cet aveugle au bord du chemin. Dans le secret de notre cœur, dans la nuit de nos yeux, nous avons entendu les rumeurs du passage de Jésus à travers le monde et à travers l’histoire. Dans le secret de notre cœur, il nous est arrivé de nous tourner vers lui et de crier « au secours, Seigneur, aie pitié de moi ». Et un jour, le regard de Jésus s’est posé sur nous, il a envoyé quelqu’un pour nous appeler et nous dire : debout, lève-toi, il t’appelle. Ce quelqu’un a pu être très différent selon l’histoire de chacune de nos vies. Mais au moment où vous aboutissez au terme d’un cheminement vers le Christ pour qu’il vous accueille, je voudrais d’abord que nous rendions grâce à Dieu pour ce quelqu’un qui a été l’intermédiaire du Christ pour chacun d’entre nous. D’après ce que j’ai lu dans les lettres que vous m’avez adressées, je voudrais d’abord vous inviter à rendre grâce pour les grands-mères. Pour beaucoup d’entre vous, on pourrait dire d’une certaine façon que la transmission de la foi a sauté une génération. Pour des raisons diverses que nous connaissons tous, beaucoup de parents ont renoncé à faire baptiser leurs enfants voulant leur laisser la possibilité de prendre eux-mêmes une décision personnelle. Mais souvent, cette décision de ne pas les faire baptiser s’accompagnait aussi d’une incapacité à les initier à la vie chrétienne. Et pour beaucoup d’entre vous, c’est le séjour chez une grand-mère qui a été l’occasion de découvrir la réalité du Christianisme, non pas dans les livres, mais dans la vie quotidienne vécue par vos grands-parents. Nous devons donc rendre grâce pour ces grands-mères ! Si je voulais vous taquiner un peu, je rappellerais que pendant tout le temps de l’Église du silence sous l’Empire soviétique, les grands-mères russes avaient été les intermédiaires par lesquelles la foi avait subsisté… Grâce à Dieu, nous ne sommes pas dans l’Empire soviétique, mais ce silence sur Dieu s’apparente beaucoup à ce qu’ont connu les pays qui appartenaient à l’Église du silence, et chez nous aussi les grands-mères, ou les grands-pères… ont rempli ce rôle d’intermédiaires, grâce à qui le regard du Christ a pu se poser sur vous et son appel vous atteindre.
Je voudrais ensuite vous inviter à rendre grâce pour vos conjoints, époux ou épouses, tellement il est évident que pour beaucoup d’entre vous, l’expérience conjugale et familiale a été le chemin dans lequel l’annonce de l’Évangile s’est concrétisée quotidiennement, non pas par des discours ou des provocations directes, mais par le témoignage quotidien de la vie chrétienne d’un conjoint. Souvent, après des années de vie commune, d’amour partagé, d’enfants accueillis et élevés, ce message discret mais persévérant a fini par rejoindre dans votre cœur le désir que votre communion avec votre époux ou votre épouse ne s’arrête pas aux portes de la foi. Nous pouvons rendre grâce pour ces époux et ces épouses qui ont respecté la liberté de leur conjoint mais qui ont aussi exercé leur propre liberté pour que l’Évangile soit présent dans leur foyer.
Je voudrais encore que nous rendions grâce pour les éducateurs, enseignants d’écoles catholiques ou d’écoles publiques, à travers lesquels l’esprit des jeunes enfants que vous étiez a été ouvert à la réalité de l’Évangile. Je pense à celles et à ceux d’entre vous, originaires de pays musulmans pour qui l’école des sœurs ou l’école des frères a été le premier lieu où ils ont entendu parler du Christ. Mais je pense aussi à toutes celles et à tous ceux que leurs parents, soucieux de leur bonne éducation, ont placé dans des écoles catholiques où ils ont découvert que la foi était une réalité de ce monde. Nous pourrions allonger considérablement cette liste des actions de grâce que nous devons faire pour celles et ceux qui ont été pour nous les porte-paroles du Christ, souvent à leur insu.
Mais avant toute chose, évidemment, il nous faut rendre grâce à Jésus lui-même, car à travers ces intermédiaires, c’était lui qui vous parlait sans que vous puissiez encore le connaître. C’était son regard qui vous suivait avec amour au long de vos années d’existence, c’était sa présence mal connue, mal discernée, et cependant réelle qui faisait que bien que vous ne soyez pas chrétiens, il vous arrivait non seulement à des moments importants de votre vie, mais aussi dans la vie quotidienne, de prier le soir avec le sentiment très vif que votre parole ne partait pas dans le vide mais que quelqu’un était là et vous écoutait. Celui qui était là et qui vous écoutait, c’était le Christ qui vous attendait.
Il faut encore faire mémoire de toutes les circonstances de votre histoire personnelle, des événements heureux ou malheureux, qui ont été pour vous des moments déclencheurs, parce qu’ils vous ont confrontés à la radicalité de l’expérience humaine, découverte de l’amitié, de la fidélité, de l’amour d’un conjoint, de la merveille des enfants que vous avez accueillis en votre foyer, découverte de l’épreuve à laquelle sont soumises toutes les vies humaines, par la mort d’un proche, la maladie, les divisions, bref tout ce qui fait le tissu d’une existence humaine. Tout cela a pu être traversé sans savoir ni quel était l’enjeu, ni quelle était l’histoire en train de naître, et pourtant, tout cela a contribué à ouvrir devant vous un chemin vers le Christ de sorte qu’un jour, vous avez entendu ce que l’aveugle de Jéricho avait lui-même perçu : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Mc 10,51) Aujourd’hui, après plusieurs mois ou plusieurs années de cheminement, vous pouvez répondre au Christ qui vous demande « que veux-tu que je fasse pour toi ? » : « Seigneur, fais que je voie, ouvre mes yeux pour que par ta lumière je puisse déchiffrer ce chemin de grâce qui a marqué ma vie. Ouvre mon cœur, pour que par ta présence, je prenne conscience que jamais je n’ai été seul, et que jamais je ne serai seul. Ouvre mon esprit pour que la parole que tu m’adresses et que je reçois dans l’Église devienne vraiment une lumière pour ma vie ».
Pour terminer je voudrais vous proposer une dernière réflexion. Beaucoup d’entre vous ont fait état de la tradition chrétienne dans laquelle ils ont baigné à travers leur famille, leur environnement, leur enfance, leur éducation, ou tout simplement par les vertus que leurs parents ont essayé de leur transmettre, vertus tout à la fois humaines et chrétiennes. Pourtant, à travers cette acquisition d’un capital moral, spirituel, religieux, vous n’avez pas réussi à trouver l’apaisement de votre cœur, car la foi n’est pas simplement l’adhésion à des pensées généreuses, à des sentiments humains très honorables, à une idéologie de la générosité ! La foi, c’est la rencontre d’une personne et l’adhésion à cette personne. Alors, l’embryon de cette démarche vers le Christ à travers votre histoire ne pouvait s’achever que dans un acte sacramentel. On n’est pas chrétien par intention, on n’est pas chrétien par bons sentiments, on n’est pas chrétien par conformité morale, on est chrétien par adhésion personnelle à la personne du Christ. Cette adhésion s’exprime visiblement et formellement à travers un acte sacramentel qui est le baptême et qui fait de vous un membre de son Église. Rappelez-vous l’étape considérable que vous avez dû franchir pour passer le seuil physique d’une église, après diverses expériences plus ou moins spirituelles, avec cette espérance qu’il existe autre chose que ce que nous voyons tous les jours autour de nous ! Il a fallu un jour que vous surmontiez vos hésitations, vos appréhensions, votre timidité, ou que quelqu’un vous pousse ou que quelqu’un vous tienne par la main, pour qu’après avoir tant de fois passé devant la porte d’une église, vous ayez enfin la possibilité de franchir le seuil et d’y entrer. Cette expérience à la fois physique et psychologique pouvait être une difficulté, comment la surmonter ? Comment passer du sentiment chrétien, de la sympathie chrétienne, de l’espérance que le Christ peut quelque chose pour moi, à une démarche sociale, visible, publique qui va faire de moi un membre de son Église ? Comment vais-je passer la porte ? Aujourd’hui, vous avez passé la porte ! Aujourd’hui, je suis sacramentellement mandaté par le Christ pour vous accueillir dans son Église, pour reconnaître devant tous, la démarche que vous avez réalisée. Oui, vous pouvez dire : « Seigneur, fais que je voie », et je peux vous dire : « Va, ta foi t’a sauvé. » (Mc 10,52). Ce n’est pas simplement une impression, une suggestion ou un rêve, c’est la réalité de ce que nous vivons aujourd’hui à travers le sacrement ecclésial. Quand vous serez baptisés au cours de la vigile pascale, que vous recevrez le don de l’Esprit et l’eucharistie, vous entrerez dans la vie chrétienne sacramentelle qui n’est pas simplement un cercle de sympathisants, mais qui est vraiment le Corps du Christ aujourd’hui.
Frères et sœurs, pendant quelques instants de silence, prions pour toutes celles et tous ceux qui vous ont accompagnés de façon lointaine ou prochaine, de façon connue ou inconnue, pour toutes celles et tous ceux qui ont été les intermédiaires du Christ auprès de vous, et pour ceux qui vont vous accueillir dans leur communauté. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.