Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe au Carmel de Montmartre pour le cinquième centenaire de sainte Thérèse d’Avila – 1ère semaine de Carême
Vendredi 27 février 2015 - Carmel de Montmartre (Paris XVIIIe)
Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il se convertisse et qu’il vive. La conversion passe par la mise en œuvre d’une justice parfaite et d’une vraie vie fraternelle.
– Ez 18, 21-28 ; Ps 129 (130), 1-2, 3-4, 5-6ab, 7bc-8 ; Mt 5, 20-26
Frères et Sœurs,
Tout au long du chemin du carême, la liturgie de l’Église nous ramène devant les fondamentaux de la vie chrétienne, en particulier devant la révélation de la miséricorde de Dieu, comme nous l’avons entendu dans la lecture du prophète Ezéquiel. Le premier objectif de Dieu, c’est que l’homme vive non pas qu’il meurt. Pour qu’il vive, il faut qu’il se convertisse, il faut que l’homme ancien soit remplacé par un homme nouveau, que le cœur de pierre soit remplacé par un cœur de chair. Ainsi donc, les appels à la conversion répétés sans cesse par les prophètes tout au long de l’histoire d’Israël, sont repris avec encore plus de vigueur par Jésus lui-même. Ils ne sont pas de la part de Dieu une façon d’accabler les hommes sous leur faiblesse mais au contraire de leur ouvrir un chemin d’espérance, de les appeler à changer de vie, à croire à la bonne nouvelle de la miséricorde de Dieu. C’est à la lumière de cette révélation de la miséricorde de Dieu que nous devons entendre le sermon sur la montagne de l’évangile de saint Matthieu.
En effet, si Jésus appelle ses disciples à la perfection, ce n’est pas pour leur faire éprouver leur incapacité à être parfaits, mais c’est pour leur faire comprendre que l’ambition de Dieu à leur égard peut surmonter leurs faiblesses et la fermeture de leur cœur. Dans ces quelques versets, Jésus soulève deux questions : la justice parfaite, celle qui surpasse la justice des scribes et des pharisiens, et la vie fraternelle. La justice qui surpasse celle des scribes et des pharisiens ne se réduit pas à l’observance des commandements et de la loi, elle ne se contente pas d’une conformité externe par rapport à la volonté de Dieu, mais elle va chercher à l’intérieur de l’homme le lieu propre de son engagement personnel, non seulement ce qu’il fait, mais encore ce qu’il pense, ce qui habite son cœur et peut rester totalement secret à l’égard des autres. Il ne s’agit pas seulement de condamner le crime visible du meurtre, mais de condamner le sentiment de la colère, il s’agit de condamner la parole dure ou vengeresse à l’égard de son frère. La perfection à laquelle le Christ nous invite est une œuvre en perpétuel développement, en perpétuel recommencement, puisque, nous le savons, chaque jour il nous arrive de nous détourner de cette pureté du cœur et de cette limpidité de l’intention. Sans doute, nous ne faisons pas forcément beaucoup de mal, mais notre cœur n’est pas tout entier reconstruit par l’amour et il se laisse prendre encore par la tentation du conflit intérieur, de l’indifférence, du mépris, parfois de la haine.
C’est sur ce terrain du combat intérieur que nous sommes invités à vivre la conversion vers Pâques. Bien sûr, cette conversion intérieure doit s’exprimer dans notre manière d’agir, par les actes que nous posons, mais elle ne se réduit pas à ces actes, elle va plus profond, à la racine, là où la Parole de Dieu, comme dit l’épître aux Hébreux, rejoint les jointures de la personne. Il s’agit donc d’une justice qui n’est pas simplement une conformité extérieure mais une adhésion intérieure à la volonté de Dieu, qui transforme par le fait même, les modalités et la nature des relations avec les frères, car dans cette conversion intérieure vers Dieu, notre manière d’être avec les autres est immédiatement concernée. C’est pourquoi, avant de présenter notre offrande à l’autel, nous dit l’Écriture, il faut nous réconcilier avec nos frères, car nous ne pouvons pas agir d’un cœur animé par l’amour dans notre démarche vers Dieu qui ne se voit pas, si notre manière de vivre avec les frères qui se voient n’est pas elle-même animée du même amour.
C’est pourquoi l’engagement total de la vie et de la personne dans sa relation avec Dieu est indissociable des modalités de la vie fraternelle. Et c’est pourquoi l’authenticité de notre conversion à la toute-puissance de Dieu dans notre vie se vérifie par notre capacité de réconciliation et d’amour avec nos frères. C’est sur ce chemin que la vie communautaire n’est pas seulement une condition pratique, ou une tradition particulière de tel ou tel ordre, mais qu’elle est vraiment le critère visible et mesurable immédiatement de l’authenticité de notre engagement envers Dieu.
Prions donc le Seigneur que dans ce chemin de conversion, non seulement nous nous laissions transformer dans notre regard, nos jugements, nos paroles et nos actions envers les autres, mais que nous avancions encore davantage pour que l’amour de Dieu occupe tout entier nos pensées, nos actions, et nos refus.
Demandons au Seigneur qu’il fasse vraiment de nous une communauté nouvelle, illuminée par la miséricorde. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.