Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à pour les 10 ans de la consécration de l’église St François de Molitor – 2e Dimanche de Carême – Année B
Dimanche 1er mars 2015 - St François de Molitor (Paris XVIe)
Le chemin de la conversion est toujours un chemin d’épreuves. Nous sommes invités à poser un regard différent sur ce que nous vivons comme les disciples ont été invités à modifier le leur à la lumière de la Transfiguration. Nous découvrons l’invisible à travers le visible, le Christ vivant aujourd’hui à travers son Église, à l’écoute de Sa Parole.
– Gn 22,1-2.9a.10-13.15-18 ; Ps 115 ; Rm 8,31b-34 ; Mc 9,2-10
Frères et Sœurs,
Chaque année, au long de notre chemin de conversion vers Pâques, le temps du carême, l’Église propose à notre méditation cette expérience de la transfiguration du Christ devant ses disciples choisis, Pierre, Jacques et Jean. En nous proposant cette méditation, elle nous aide à mieux comprendre le chemin de conversion sur lequel nous sommes engagés, même si, comme pour Pierre, Jacques et Jean, bien des choses demeurent mystérieuses sur ce chemin, à commencer par savoir ce que veut dire « ressuscité d’entre les morts ». Dans les évangiles, cette vision de la gloire du Christ ressuscité s’inscrit dans la préparation des disciples aux événements qu’ils vont vivre à Jérusalem, entre deux annonces de la Passion, de la mort, et de la Résurrection.
Jésus sait - il l’a dit à plusieurs reprises - que ce chemin qui va le conduire jusqu’à Jérusalem, à sa condamnation, à son exécution, et à sa résurrection, sera un chemin d’épreuves dans la foi. Celles et ceux qui l’ont suivi, peut-être dans un premier temps dans l’enthousiasme qu’ils ont vécu, saisis par une parole entendue, ou par des signes que Jésus a opérés devant eux, peu à peu vont douter de sa capacité à restaurer le royaume d’Israël, et de sa capacité d’apporter aux hommes la seule solution qui les intéresse : comment surmonter les difficultés de cette vie ? A mesure que leur doute va prendre corps, leur fidélité à la suite du Christ va s’épuiser et ils vont se détacher de lui. Pierre, Jacques et Jean témoins de la transfiguration, seront les trois témoins que Jésus emmènera à Gethsémani au moment de son dernier combat, ce que nous appelons l’agonie.
Il est bon pour nous de réfléchir, non pas simplement au cheminement spirituel que Jésus ouvre à ses disciples, mais à notre propre cheminement à la suite du Christ, tel que nous essayons de le vivre pendant le Carême, en communion avec les nombreux catéchumènes, adultes ou jeunes, qui se préparent au baptême. Le chemin de la conversion est toujours un chemin d’épreuves parce qu’il nous oblige à jeter un regard différent sur ce que nous vivons et sur ce que nous voyons. Ce que les disciples avaient vu de Jésus, c’était ce que tout le monde pouvait voir. Ce que la transfiguration leur montre, c’est ce que personne ne voit mais que Dieu révèle de façon mystérieuse à ceux qu’il a choisis. Parler du Christ dans les généralités de l’existence que nous connaissons, c’est à la portée de tout le monde ! Nommer Jésus, c’est à la portée de tout le monde ! Le revêtir des habits que nous lui choisissons pour qu’il corresponde à notre modèle, c’est à la portée de tout le monde ! Mais ce qui n’est pas à la portée de tout le monde, c’est de discerner derrière cette figure historique de Jésus de Nazareth, celui qui est le Fils bien-aimé du Père, celui qui représente en ce monde la réalité de Dieu que nul n’a jamais vu.
Nous sommes ainsi, comme le dit un passage de l’écriture, entraînés avec le Christ pour voir l’invisible, pour discerner ce qui ne se voit pas à travers ce qui se voit. C’est ceci l’épreuve de notre foi : être capables de reconnaître la présence du Christ ressuscité dans l’existence humaine et découvrir que derrière l’épreuve de la souffrance, des difficultés et de la mort à laquelle tous sont confrontés, il y a une autre réalité, il y a une présence que nous ne maîtrisons pas mais qui se manifeste à nos yeux pour fortifier notre foi et nous faire grandir dans la connaissance de Dieu et dans la fidélité à sa Parole. Ce qui nous est donné à voir aujourd’hui, c’est qu’il y a à travers le monde une église visible qui est le corps ressuscité du Christ, composée d’une multitude d’hommes et de femmes atteints par la Parole de Dieu, qui y ont cru et qui se sont mis en marche. Aujourd’hui, le Christ ressuscité se manifeste à nous à travers cette Église, à travers ses richesses, à travers ses pauvretés, à travers les témoins de la foi qu’elle suscite dans le monde. En ces temps, nous savons que cette expression de témoin de la foi, de martyr, n’est pas simplement une figure de style, mais devient une réalité concrète pour quantité d’hommes et de femmes dans un certain nombre de pays du monde, en particulier pour les Chrétiens d’Orient.
L’Église vivante aujourd’hui est ce que nous avons la possibilité de voir. Nous avons la possibilité de faire l’expérience de cette Église vivante dans les communautés chrétiennes qui se rassemblent, comme la nôtre aujourd’hui. Nous avons la possibilité de faire l’expérience de la présence du Christ à travers le sacrement de l’eucharistie. Nous avons la possibilité de pressentir - même si, comme les disciples, nous ne savons pas très bien ce que cela veut dire - que la victoire du Christ sur la mort est une réalité aujourd’hui et pour nous.
Dans le chemin qui nous conduit vers Pâques nous sommes invités à raviver notre foi en cette présence du Christ, en cette vie du Christ à travers son Église, nous sommes invités à mieux reconnaître Jésus vivant aujourd’hui. Nous sommes invités comme le Père le dit dans la vision des apôtres, à écouter la parole du Christ. Il est présent dans le monde par son Église, par les chrétiens témoins de sa vie et de sa présence, par la Parole qu’il nous a transmise et que nous essayons de transmettre à notre tour.
Quand je vous ai invités pour l’Avent 2014 à un temps de mission, je vous ai proposé précisément de devenir à votre tour porte-parole du Christ parce que nous sommes convaincus que cette Parole n’est pas simplement un texte disparu, mais une réalité vivante aujourd’hui à travers le corps du Christ ressuscité.
Frères et sœurs, notre conversion pour la fête de Pâques, le chemin de renouvellement de notre baptême, passent par le renforcement de notre foi en la Parole du Christ. Chaque semaine nous avons l’occasion d’entendre cette Parole, de la recevoir, de l’écouter, probablement d’en retenir quelque chose, ne serait-ce qu’un mot ou une phrase, mais nous avons surtout à partir de cet accueil hebdomadaire, la possibilité chaque jour de revenir à cette Parole reçue. Ainsi, jour après jour, la Parole du Christ devient la lumière qui éclaire notre chemin. « Celui-ci est mon fils bien-aimé écoutez-le ». Aujourd’hui, le Fils bien-aimé du Père se manifeste à nos yeux, il se propose pour que nous l’écoutions. Il s’offre pour que nous puissions vivre avec lui. Qu’il nous donne la force de le suivre jusqu’au bout à Jérusalem dans sa mort et sa résurrection. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.