Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND de la Gare - 5e étape du scrutin pour des catéchumènes – 5e dimanche de carême – Lectures de l’Année A
Dimanche 22 mars 2015 - Notre-Dame de la Gare (Paris XIIIe)
La mort est une des réalités fondamentales à laquelle l’homme est confronté de bien des manières. La résurrection que Jésus opère en la personne de Lazare préfigure la sienne. En croyant que Jésus est la Résurrection et la vie, nous croyons que la mort n’aura pas le dernier mot en nous et nous possédons une force intérieure qui modifie notre regard sur les œuvres de destruction qui traversent l’humanité en tout temps.
– Ez 37,12-14 ; Ps 129 ; Rm 8,8-11 ; Jn 11,1-45
Frères et Sœurs,
L’histoire de la résurrection de Lazare nous confronte à une réalité que tous les hommes connaissent bien depuis l’origine des temps. Elle prend des formes différentes selon les époques, selon les circonstances de notre vie, mais elle reste une réalité incontournable de l’expérience humaine. Cette réalité : c’est la mort. Nous avons vécu au cours des semaines écoulées des événements qui ont manifesté l’irruption de la mort dans la vie de nos sociétés, sous la forme aigüe d’une réalité qui existe toujours. Nous sommes tous habités par le danger et la réalité de la mort, non seulement de notre mort biologique, quand notre corps cessera de vivre, mais encore par la mort qui est l’œuvre à travers les nombreuses difficultés ou épreuves auxquelles nous sommes confrontés.
Évidemment, cette expérience de la mort provoque une question : où est Dieu ? Marthe et Marie disent à Jésus : « si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » (Jn 11,21), sous-entendu, si Dieu était là, si Dieu était vivant, si Dieu était puissant, si Dieu était à l’œuvre, nous ne connaîtrions pas la mort ! Cette épreuve de la foi traverse l’histoire des hommes et s’exprime à travers des cris de révolte, de désespoir, mais aussi à travers des supplications adressées à Dieu, même si notre foi n’est pas parfaite. Combien d’hommes et de femmes confrontés aux difficultés de l’existence, quelquefois à des situations critiques, se tournent vers Dieu et lancent ce cri d’appel du psaume : « Des profondeurs je crie vers toi Seigneur, Seigneur écoute mon appel » (Ps 129). La foi que nous essayons de professer nous dévoile un aspect de la réponse de Dieu. Comme l’annonçait le prophète Ezéchiel : « je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, je vous ramènerai sur la terre d’Israël, vous saurez que je suis le Seigneur quand j’ouvrirai vos tombeaux. » (Ez 37,12)
Le récit de la résurrection de Lazare nous donne une illustration concrète de l’accomplissement de cette promesse. Jésus fait ouvrir le tombeau et relève Lazare de la mort. Dans cet épisode, c’est bien la question de la foi au Christ qui est posée. Jésus le dit lui-même à Marthe puis à Marie : crois-tu que je peux faire cela ? Crois-tu que je suis la résurrection et la vie ? « Moi, je suis la résurrection et la vie, celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra » (Jn 11,25). « Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais, crois-tu cela ? » (Jn 11,26). Il me semble que ce dialogue entre Jésus, Marthe et Marie, s’il est évidemment destiné aux personnes intéressées, l’est aussi à destination à ces nombreux juifs venus de Jérusalem pour prendre part au deuil des deux sœurs, et à travers eux, à nous-mêmes. Il nous conduit à nous poser la question centrale de notre foi : Jésus est-il vraiment celui qui nous donne la vie ? Jésus est-il celui qui nous permet de surmonter les épreuves de l’existence ? Jésus est-il celui qui nous arrache à la mort ? Si nous le croyons, si nous souhaitons vivre en communion avec lui, si nous essayons d’accueillir sa parole et de la mettre en pratique, alors ces paroles nous rejoignent : celui qui croit en moi, nous dit Jésus, ne mourra jamais. Cela ne veut pas dire que la mort aura disparu de notre existence, cela veut dire que nous serons devenus plus forts que la mort, que nous serons capables d’affronter les difficultés de l’existence, la souffrance et les misères qui accablent beaucoup de nos contemporains, non pas comme des inconscients, mais comme des gens convaincus qu’il y a dans leur vie une puissance plus forte que la destruction qui les accable, qu’il y a dans leur vie quelqu’un qui est la résurrection et la vie.
Comment ma foi au Christ ressuscité change-t-elle ma manière de vivre ? Comment ma foi au Christ ressuscité change-t-elle mon regard, non seulement sur les grands événements dramatiques que les médias nous rapportent, mais aussi sur les difficultés quotidiennes de l’existence ? L’expérience que nous faisons de la mort n’est pas seulement virtuelle ! C’est une expérience concrète que nous faisons jour après jour, que ce soit à travers la maladie, celle de nos proches ou la nôtre, que ce soit à travers les difficultés de la vie, les trahisons, les échecs ou toutes les embûches que nous rencontrons. Quelle est notre réaction ? Quel est notre point d’appui ? Quel est celui vers qui nous nous tournons pour appeler son secours : « des profondeurs je crie vers toi Seigneur » (Ps 129).
Si nous croyons au Christ ressuscité, si nous croyons qu’il a vaincu la mort comme il le fait pour Lazare et comme Dieu le fera pour lui quelques jours plus tard, si nous croyons que des millions d’hommes et de femmes à travers l’histoire ont donné leur vie par fidélité au Christ ressuscité, si nous croyons que tout ce qui peut nous arriver si difficile que ce soit, si cruel que ce soit, ne tient pas la comparaison avec la puissance de l’amour que Dieu nous porte, alors les difficultés quotidiennes, les erreurs que l’on peut commettre, les malheurs qui peuvent survenir, ne peuvent pas nous écraser. Quand nous sommes abattus, attaqués ou dans la grande difficulté, notre foi nous conduit à lever les yeux vers le Seigneur et à l’appeler à notre secours.
En vous avançant vers le baptême, la confirmation et l’eucharistie, vous qui allez recevoir ces sacrements dans les semaines ou les mois qui viennent, vous posez cet acte de foi que la vie du Christ est plus forte que la mort à l’œuvre dans le monde, que la vie dans le Christ change votre manière de vivre la fragilité de l’existence, que la vie dans le Christ est une espérance qui transforme nos épreuves en occasion de profession de foi et de retournement de notre cœur, en occasion d’appel au secours, en occasion de confiance en Dieu qui nous accompagne.
Frères et sœurs, en nous avançant vers les fêtes de la Pâques, nous sommes invités à renouveler notre foi au Christ ressuscité, à mieux comprendre et à mieux vivre comment cette foi au Christ ressuscité change notre manière d’être tous les jours, à renouveler notre expression de confiance à Dieu : « Des profondeurs je crie vers toi Seigneur, Seigneur écoute mon appel » (Ps 129). Près du Seigneur est l’amour, près de lui abonde le rachat, c’est notre espérance et c’est notre joie. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.