Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Dimanche de la Résurrection – Messe du jour de Pâques à ND

Dimanche 5 avril 2015 - Notre-Dame de Paris

Personne n’a été témoin de la résurrection de Jésus. Cet événement requiert de notre part un acte de foi libre. Nous croyons en nous appuyons sur des témoignages. A notre tour, nous sommes invités à témoigner de la résurrection de Jésus en assumant la condition humaine dans la force et l’amour qu’il nous communique.

 Ac 10, 34a.37-43 ; Ps 117 ; Col 3, 1-4 ; Jn 20, 1-9

Frères et Sœurs,

L’événement que nous célébrons aujourd’hui et qui a si profondément infléchi l’histoire de l’humanité, la Résurrection du Christ, a ceci de particulier que personne ne l’a vu, du moins à la façon dont nous concevons aujourd’hui d’être témoin d’un événement, c’est-à-dire de pouvoir fixer sur l’image ce dont il s’agit… Personne n’a vu la résurrection de Jésus ! Entre le silence du tombeau et les apparitions du Christ ressuscité, personne n’a été témoin de ce qui s’est passé. C’est assez surprenant parce qu’il nous semble, à nous, esprits simples, qu’il aurait été tellement facile de clore toute discussion et tout questionnement, en faisant que la résurrection du Christ soit un événement spectaculaire, que personne n’aurait pu discuter ! Cela aurait été certainement très reposant pour ceux qui vont avoir à en témoigner, mais cela aurait eu l’inconvénient, auquel nous ne sommes pas assez sensibles, de faire disparaître un élément constitutif du témoignage de la résurrection : la foi.

La foi ne consiste pas à reconnaître les évidences que tout le monde voit, c’est accorder sa confiance à une parole alors que nous ne voyons pas ce que cette parole nous dit. C’est ainsi que Jésus est ressuscité, sans que personne ne l’ait vu, et que le fait de sa résurrection va être confié aux témoignages de femmes et d’hommes sur lesquels il va falloir nous appuyer. Ici, dans ce passage de l’évangile de saint Jean, c’est Marie Madeleine qui vient au tombeau et qui n’envisage pas un instant la résurrection. Elle voit simplement que le tombeau est ouvert et qu’on a enlevé Jésus. Elle court alerter les apôtres qui envoient deux émissaires pour vérifier ce que Marie Madeleine a dit. Ces deux émissaires, Pierre et le disciple que Jésus aimait, se trouvent devant le tombeau vide et les linges disposés. C’est à ce moment-là que la question se pose, question résolue d’une façon lapidaire par l’évangile de saint Jean : « il vit, et il crut » (Jn 20,8). Ils voient quelque chose, mais ce qu’ils voient ne définit pas le contenu de la foi. Ils voient que le corps a disparu, ils voient les linges pliés, mais ce qui va définir le contenu de la foi, c’est-à-dire ce qui va les faire croire, c’est que les signes visibles qu’ils ont sous les yeux sont l’illustration de ce que Jésus lui-même leur avait annoncé quand il était avec eux. Il fallait qu’il meure et qu’il ressuscite le troisième jour. Les évangélistes, chacun d’une façon différente, ajoutent qu’ils ne comprenaient pas ce que voulait dire « ressusciter d’entre les morts ». Et voici que, confrontés au tombeau vide et à l’absence du corps, ils comprennent. « Jusque-là, en effet », nous dit l’évangile, « les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts » (Jn 20,9). Comment comprennent-ils ? Ils sont placés devant un événement que tout le monde pourra constater, et sur lequel il y aura des opinions différentes : les uns diront que les Romains ont fait enlever le corps, d’autres diront que ce sont les chefs des Juifs qui l’ont fait disparaître pour éviter un lieu de pèlerinage, d’autres diront que ce sont les disciples qui l’ont enlevé pour faire croire qu’il était ressuscité d’entre les morts… Ainsi, le fait lui-même dans sa matérialité, telle qu’il pourrait être rapporté par un reportage ou un film ne dit rien ! Le fait est d’ordre matériel. La foi, c’est le regard qui donne un sens à ce fait matériel.

Le tombeau vide, cela ne veut pas dire simplement que Jésus a disparu, cela veut dire qu’il est ressuscité. C’est cet acte de foi, « il vit et il crut » (Jn 20,8) qui va être le fondement du témoignage pour se développer progressivement à partir de Jérusalem, et dont nous avons un premier exemple dans le livre des Actes des Apôtres. Pierre arrive dans la maison de Corneille et rappelle le passage de Jésus en faisant le bien dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Ils l’ont supprimé en le suspendant au bois du supplice. Dieu l’a ressuscité au troisième jour et lui a donné de se manifester non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance. Voilà comment nous comprenons que la manifestation du Christ ressuscité n’est pas un acte de puissance qui obligerait l’intelligence et la liberté humaine à s’incliner sans avoir à adhérer, comme certains quelquefois souhaiteraient que Dieu intervienne dans l’histoire des hommes de telle façon qu’il n’y ait pas lieu de réfléchir ou de discuter. Eh bien précisément, Dieu n’intervient pas dans l’histoire des hommes de façon à leur fermer le chemin d’une adhésion libre et éclairée. Cette adhésion libre et éclairée est rendue possible par le fait que la résurrection du Christ ne s’impose pas par la matérialité des faits mais se transmet par le témoignage des apôtres et de ceux qui les suivent. C’est parce qu’il s’agit d’une parole portée au nom de Dieu que chacun et chacune de ceux qui entendent cette parole ne sont pas obligés de croire, mais sollicités à croire et incités à ouvrir leur propre intelligence et leur propre cœur de façon que ce soit réellement un acte humain complet qui les mette en relation avec le Christ.

Si cet itinéraire nous éclaire sur notre propre foi, il définit aussi pour nous les conséquences de cet acte de foi, car si nous croyons sur le témoignage de ceux que nous avons connus et qui nous ont annoncé la résurrection du Christ, cela veut dire que cette annonce à ceux qui nous suivent dépend aussi de nous. Aucun homme et aucune femme ne croira au Christ ressuscité en raison d’une vision. Ce qui va susciter la foi au Christ ressuscité, c’est le témoignage de ceux qui ont misé leur vie sur cette réalité de la victoire du Christ sur la mort. Ce témoignage, c’est la mission première de l’Église à travers les âges et les lieux. Nous devons annoncer la résurrection du Christ ! Mais annoncer la résurrection du Christ, ce n’est pas simplement faire des discours sur la résurrection du Christ, c’est aussi vivre d’une certaine façon, comme saint Paul le dit aux Colossiens, « si vous êtes ressuscités avec le Christ, alors recherchez les réalités d’en haut : c’est là qu’est le Christ, assis à la droite de Dieu » (Col 3,1). « Les réalités d’en haut » signifient ne pas se laisser absorber par le mécanisme des événements, conditionner par l’histoire des hommes, mais vivre dans l’espérance qu’à travers ces événements de l’histoire des hommes, une réalité plus grande, plus puissante est à l’œuvre, et nous rend capables d’assumer la condition humaine.

Frères et sœurs, croire aujourd’hui à la résurrection du Christ, c’est croire qu’il y a au cœur du monde une force de liberté et d’amour qui nous rend capables d’assumer la condition humaine. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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