Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Messe du dimanche in albis et de la Divine Miséricorde à ND – Deuxième dimanche de Pâques – Année B

Dimanche 12 avril 2015 - Notre-Dame de Paris

Le don de l’Esprit à ses disciples par Jésus ressuscité fait d’eux des ministres de la paix. A l’occasion de l’année sainte, année de la miséricorde, le pape François souhaite que l’Église témoigne de cette réalité avec un soin renouvelé pour le monde : l’amour et la vie sont plus forts que la haine et la mort. Tout chrétien est appelé à devenir missionnaire de la miséricorde et du pardon.

 Ac 4, 32-35 ; Ps 117 1.4.16-17.22-25 ; 1 Jn 5,1-6 ; Jn 20, 19-31

Frères et Sœurs,

Jésus présent au milieu de ses disciples, une semaine après sa résurrection, leur dit « la paix soit avec vous ! » (Jn 20,21). Nous pouvons évidemment entendre cette parole comme la formule habituelle et ordinaire de se saluer qui était courante entre gens qui se rencontraient. Mais si l’évangile de Jean a voulu mettre en valeur cette salutation, ce n’est pas simplement pour être un témoignage des bonnes manières qui pouvaient exister entre Jésus et ses disciples. Et d’ailleurs, reprenant la même expression : « la paix soit avec vous », il en donne une explication : « Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : “recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus.” » (Jn 20,22-23). Ainsi, nous pouvons comprendre que ce vœu formulé par le Christ -que la paix soit avec ses disciples- n’est pas simplement une salutation ordinaire mais l’expression d’un don tout à fait particulier : le don de la paix pour ceux qui sont réconciliés, pour ceux dont les péchés sont pardonnés. En les faisant ministres du pardon des péchés, Jésus fait de ses disciples des ministres de la paix, de la paix dans le cœur des hommes, de la paix entre les hommes.

Nous comprenons ainsi que, si Jean-Paul II a choisi ce deuxième dimanche de Pâques pour en faire le dimanche de la miséricorde, c’est précisément parce que dans cette apparition du Christ ressuscité, la mission que Jésus confie à ses disciples est d’être les ministres et les missionnaires de la miséricorde. Il les envoie -« de même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20,21)-, pour remettre les péchés ou pour les maintenir si c’est nécessaire. Il leur donne le pouvoir d’apprécier la démarche de pénitence que les pécheurs peuvent faire et de témoigner auprès d’eux du pardon de Dieu.

Ce dimanche de la Miséricorde nous donne à percevoir l’ultime message de la mission de Jésus sur cette terre. Dans l’évangile de saint Jean, il n’y a aucun récit de la Pentecôte. Le don de l’Esprit jaillit du cœur du Christ au moment où il rend son âme à Dieu. Le don de l’Esprit est fait par Jésus en soufflant sur ses disciples en leur disant « recevez l’Esprit Saint ». C’est donc que cette mission confiée aux disciples est tout à fait centrale dans le projet que nourrit Jésus à l’égard de son Église naissante. Elle n’est pas envoyée seulement pour être témoin des événements qui se sont passés, pour attester que Jésus mort est apparu ressuscité, ce qui sera le cas, mais elle est envoyée pour annoncer ce que l’évangile de saint Luc a manifesté dans la visite de Jésus à la synagogue de Nazareth : une année de grâce de la part du Seigneur, une année, une porte pour la réconciliation. Sur cette orientation fondamentale de la mission apostolique, le Pape François a décidé qu’à partir du 8 décembre 2015 commencera une année de la Miséricorde, une année jubilaire, une année sainte. Cette année sera en même temps le cinquantième anniversaire de la clôture du Concile Vatican II et un chemin d’approfondissement de la manifestation de la miséricorde de Dieu. Dans la lettre qu’il a publiée pour ouvrir cette année sainte, le Pape François met en relation la manifestation de la miséricorde de Dieu à travers l’histoire d’Israël, à travers la mission de Jésus et à travers la mission de l’Église. Il y associe la démarche théologique et pastorale par laquelle le saint Pape Jean XXIII a voulu engager le Concile dans un nouveau discernement et une nouvelle appréciation des relations entre la révélation divine et le tissu historique de l’histoire humaine. Nous nous rappelons que Jean XXIII avait donné comme orientation fondamentale au Concile de ne pas être une instance de condamnation des efforts des hommes mais une instance de discernement, d’appréciation et de valorisation de ce qui mérite d’être valorisé dans l’effort de transformation que les hommes accomplissent dans le monde. Il avait le sentiment qu’en ouvrant cette perspective d’une approche positive de l’histoire de l’humanité, à la lumière de la révélation divine, il enclenchait un processus dont les effets se feraient sentir non seulement à l’intérieur de l’Église mais encore dans les relations entre les Églises chrétiennes, dans les relations entre le Christianisme et le Judaïsme, avec les religions non-chrétiennes et avec l’humanité tout entière. Il faut préciser que cette perspective s’enracine dans une lecture théologique très profonde remontant à la haute antiquité selon laquelle la volonté de Dieu de conduire les hommes à la sainteté et sa volonté de rassembler l’humanité en un seul peuple sont des projets déjà présents au moment de la création.

Plutôt que de se contenter d’une lecture simplement chronologique qui fait se succéder échecs et réussites, trahisons et pardons, il s’agit de mettre en œuvre cette vision que l’on appelle selon un mot de l’apôtre Paul : la récapitulation de toutes choses dans le Christ. Il s’agit là du dynamisme par lequel la volonté de Dieu appelle les hommes à rassembler progressivement leurs efforts et à devenir l’unique peuple de Dieu. Nous comprenons bien que cette vision tout à fait positive de l’histoire humaine ne peut s’accomplir qu’à travers de difficiles conversions car l’Esprit du mal est toujours à l’œuvre dans le cœur des hommes et dans l’histoire des peuples. Cela veut dire que l’annonce de la miséricorde de Dieu n’est pas une sorte de concession de faiblesse aux pauvretés humaines, elle est une profession d’espérance dans la puissance de Dieu capable de changer le cœur des hommes.

En s’appuyant sur ce don de l’Esprit, sur cette mission de réconciliation, sur cet horizon de miséricorde, chacune et chacun d’entre nous, pécheurs que nous sommes, nous pouvons, malgré nos faiblesses, nos résistances, nos fautes mêmes, espérer que l’amour de Dieu est plus grand que notre faiblesse, que la miséricorde débordante du Père vient rejoindre les fils pécheurs et que Dieu active à travers la succession des générations, la puissance de son amour pour qu’enfin l’amour triomphe de la haine et que la vie triomphe de la mort.

Thomas n’avait pas vu le Christ. Nous n’avons pas vu le Christ, mais à la différence de Thomas nous ne le voyons pas davantage, nous faisons partie de ceux dont l’évangile dit « qu’ils sont heureux qui croient sans avoir vu » (Jn 20,29). Nous croyons sans avoir vu le Christ. Nous n’avons pas vu son corps ressuscité, nous n’avons pas vu ses plaies ni les traces des coups qu’il a reçus. Mais nous avons vu la puissance de son Esprit à l’œuvre à travers la mission de ses disciples. Nous avons vu la capacité qu’il donne à son Église d’annoncer une possible victoire sur les forces du Mal. Nous avons vu comment la miséricorde de Dieu s’exprime à l’égard de tout être de chair par l’amour dont nous sommes porteurs et dont nous sommes témoins.

Ainsi, frères et sœurs, en ce dimanche de la Miséricorde, nous rendons grâce à Dieu qui nous associe à sa miséricorde non seulement parce qu’il nous en fait bénéficier, mais encore parce qu’il nous associe à sa manifestation à l’égard de nos frères : il fait de nous des missionnaires de la miséricorde et du pardon. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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