Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - 3e Dimanche de Pâques - Année B
Dimanche 19 avril 2015 – Notre-Dame de Paris
Comment croire à la vérité de la résurrection du Christ ? Le chemin de la relecture effectué par les disciples d’Emmaüs, l’exemple des apôtres, donnent des éléments de compréhension. La référence à la tradition biblique de la Première Alliance, la fraction du pain eucharistique, la communion ecclésiale sont des éléments déterminants dans cet acte de foi au Christ ressuscité.
Ac 3, 13-15, 17-19 / Ps 4 / 1 Jn 2, 1-5a / Lc 24, 25-48
Frères et Sœurs,
Les différents récits des apparitions du Christ ressuscité à ses disciples dans la liturgie des dimanches du temps pascal nous touchent très directement car se pose en effet la question de savoir dans quelles conditions on peut reconnaître que le Christ est ressuscité. A quelles conditions ou dans quelles conditions, peut-on croire que celui qui est au milieu de nous n’est pas un fantôme ou un esprit mais vraiment un être de chair et d’os ? Dans quelles conditions peut-on vivre les événements que les disciples ont vécus et en comprendre le sens comme Jésus s’emploie à le faire en ouvrant leur intelligence à la compréhension des Écritures ?
Il me semble qu’à travers ces événements et le récit qui nous en est donné par l’évangéliste Luc, nous voyons apparaître des éléments constitutifs de notre propre démarche de foi. Comment pouvons-nous passer de la constatation à l’adhésion ? Comment peut-on passer de l’expérience directe d’une certaine vie du Christ telle que les disciples l’ont perçue jusque dans sa réalité physique ou telle que nous en recevons le témoignage à travers la tradition de l’Église, à une démarche qui entraîne notre intelligence à comprendre les événements ?
Les disciples sur le chemin d’Emmaüs ont été témoins des événements de Jérusalem, comme ils le disent à Jésus en marchant avec lui. Les disciples auxquels Jésus apparaît ensuite ont été eux aussi témoins des événements de Jérusalem. Ils ont vu ce qui s’est passé. Et même si Jésus leur apparaît ressuscité, leur fait toucher son corps, leur montre qu’il mange comme eux, on sent bien que derrière cette expérience, il reste toujours une sorte de zone floue. Bien sûr, c’est lui. Bien sûr, ils le reconnaissent. Bien sûr, ils le touchent. Bien sûr, ils le voient manger. Bien sûr, ils l’entendent. Et pourtant la somme de cette expérience - nous le sentons bien - ne suffit pas à les convaincre qu’il est le Messie ressuscité.
Qu’est-ce qui va devenir l’élément déterminant de leur reconnaissance ? Ce sera d’abord le rappel de tout ce qui a été annoncé à son sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. Inutile d’imaginer ne serait-ce qu’un instant, que l’on peut reconnaître Jésus comme le Messie ressuscité si l’on n’intègre pas dans le regard que l’on porte sur lui, dans la réflexion que nourrit ce regard, la tradition de la Première alliance, l’annonce faite dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes, c’est-à-dire toute la tradition biblique d’avant le Christ. On ne peut pas connaître Jésus de Nazareth comme Messie en faisant abstraction des prophéties qui l’ont annoncé, de l’histoire qui l’a préparé, du peuple qui l’a nourri. Et donc, nous pouvons déjà imaginer que dans notre propre reconnaissance du Christ ressuscité la référence aux prophéties, à la loi, à la prière d’Israël sont des éléments constitutifs de notre acte de foi.
Le deuxième élément qui ressort ici, c’est, comme les disciples au retour d’Emmaüs le racontent à leurs compagnons, que le Seigneur s’est fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Nous avons en mémoire le passage de l’Évangile qui précède dans lequel les disciples prient le Christ de rester avec eux à l’auberge et comment au moment où il bénit et partage le pain, leurs yeux s’ouvrent et ils comprennent que l’inconnu avec lequel ils ont cheminé est le même qu’ils avaient connu avant. Cela veut dire pour nous que l’expérience sacramentelle de la fraction du pain, l’eucharistie que nous célébrons semaine après semaine, mais aussi toute l’expérience sacramentelle de l’Église, fait partie de la reconnaissance du Christ ressuscité. On ne peut pas croire au Christ ressuscité sans l’appui sacramentel de l’Église. On peut croire à beaucoup de choses au sujet de Jésus, de ses idées, de ses discours, de son personnage, mais croire à la résurrection, cela veut dire que nous sommes capables de reconnaître dans le pain qu’il nous partage le corps qu’il a livré pour nous.
Enfin le troisième élément constitutif de cette reconnaissance, c’est évidemment la communion des disciples. Les deux disciples qui ont cheminé sur la route d’Emmaüs avec Jésus reviennent à Jérusalem pour raconter leur aventure mais ils ont une surprise quand ils arrivent à Jérusalem. Les autres qui étaient restés là ont eu eux aussi la visite du Christ ressuscité. C’est donc la convergence, l’addition de toutes ces expériences fragmentaires portées dans la communion de l’Église des onze Apôtres et de leurs compagnons qui constituent le témoignage communautaire de l’Église au sujet du Christ. Ce n’est pas chacun pris isolément qui devient témoin de la résurrection. C’est le corps ecclésial tout entier qui est comme constitué par la présence du Christ ressuscité et envoyé comme nous le dit l’Évangile : « la conversion serait proclamée en son nom à toutes les nations en commençant par Jérusalem. A vous d’en être les témoins. »
C’est donc dans cette triple expérience de la tradition biblique, de l’acte sacramentel et de la communion ecclésiale que nous sommes introduits progressivement dans la foi au Christ ressuscité et que nous sommes appelés à lui rendre témoignage. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.