Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’obsèques de Mgr Jehan REVERT, chanoine et maître de chapelle émérite de la cathédrale Notre-Dame de Paris à ND

Samedi 2 mai 2015 - Notre-Dame de Paris

 Jn 3, 14.16-20 ; Jn 14, 7-14

Frères et Sœurs,

Quel disciple du Christ n’a pas porté en lui la demande de Philippe : « Montre-nous le Père et cela nous suffit » (Jn 14,8) ? Quel disciple aussi n’a pas entendu la réponse du Christ : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9) ? Et pourtant, autant nous croyons que Jésus est dans le Père et que le Père est dans le Christ, autant nous savons que le Christ n’est pas le Père. Par cette parole du Christ nous sommes entraînés dans un chemin de reconnaissance de la foi. Celui qui croit au Christ croit en Dieu. Celui qui croit au Christ, croit en celui qu’il voit pour reconnaître celui qu’il ne voit pas. On pourrait dire d’une certaine façon que la logique spécifique de la foi chrétienne réside précisément en ceci : Dieu, l’invisible, l’insaisissable s’est donné à voir et à connaître à travers l’histoire humaine de Jésus, et après lui à travers l’histoire de ses disciples. Ceci veut dire que pour nous, les chemins qui conduisent à Dieu passent par des voies humaines, par des signes que nous appelons des sacrements, par des expériences sensibles qui touchent notre cœur et notre âme, et qui nous conduisent vers ce qui est insaisissable.

En exerçant pendant des décennies le ministère de maître de chapelle à la cathédrale, Jehan Revert a exercé pleinement son ministère sacerdotal. Par l’engagement de sa vie, de ses talents, de ses capacités, il a contribué à faire exister le signe sacramentel proposé aux hommes pour la rencontre avec Dieu. Nous pouvons dire, compte tenu des nombreuses personnes qui visitent cette cathédrale et qui y passent, qu’il ne l’a pas fait seulement pour ceux qui étaient déjà des disciples du Christ, mais qu’à travers la beauté artistique, il proposait un chemin vers celui qui est le seul à être absolument beau, mais dont nos beautés esthétiques donnent cependant une image. Celles-ci en effet, ouvrent une porte vers celui que nous nous efforçons de connaître, ou vers celui dont nous ignorons tout. Quiconque entre dans cette cathédrale et en mesure la beauté, quiconque entend le chant liturgique et en perçoit la profondeur, ne peut pas ne pas se poser des questions sur celui qui est la source de tant de beauté et de tant d’harmonie.

Oui, c’est un ministère profondément sacramentel que Jehan Revert a accompli en contribuant pendant des années à apporter sa « pierre », non seulement à la cathédrale de pierres, mais aussi à la cathédrale de la beauté.

Cette logique sacramentelle de la foi chrétienne ne se limite pas à la reconnaissance de Dieu à travers des signes, elle projette une lumière particulière sur les relations que nous entretenons avec nos semblables. Le signe principal par lequel Dieu s’est donné à connaître, c’est l’amour qu’il a manifesté en son fils livré pour nous, aussi, la voie par laquelle il nous appelle à le rejoindre est la voie de l’amour de nos frères. On ne peut pas connaître Dieu sans reconnaître ses frères, ou pour reprendre une expression de saint Jean, « celui qui dit qu’il aime Dieu qu’il ne voit pas et qui n’aime pas son frère qu’il voit est un menteur » (1 Jn 4,20). À la lumière de cette identité entre l’amour de Dieu pour les hommes et l’appel qu’il leur adresse à vivre en frère, nous pouvons comprendre comment la mission d’éducateur de Jehan Revert a été tout entière habitée par cet amour des petits que Dieu lui confiait. À travers sa manière d’enseigner, de conduire, d’éveiller, il nous a donné un exemple vécu de ce qu’est la véritable pédagogie par l’amour de celui que l’on veut aider à grandir. Cet amour ne fait pas fi des qualifications et des compétences techniques. Dieu sait si Jehan Revert a été pointilleux sur la précision et l’authenticité des interprétations musicales, mais par-delà ses qualifications professionnelles et artistiques, c’était l’authenticité de la personne qu’il visait, c’était l’amour qu’il portait à ces générations successives qui lui étaient confiées et qu’il avait conscience d’accompagner dans leur humanité en éveillant leur âme à la beauté du chant et au recueillement de la liturgie.

Frères et sœurs, chacune et chacun d’entre nous est appelé à reconnaître Dieu dans le signe sacramentel de l’Église qui nous est donné. Chacune et chacun d’entre nous est appelé à répondre à l’amour de Dieu par l’amour qu’il porte à ses frères. Suivons le chemin par lequel Jehan Revert a accompli cette double mission, et demandons au Seigneur qu’il nous garde dans la paix.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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