Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’ordination de 7 diacres permanents à ND – Fête de saint Denis et de ses compagnons
Samedi 3 octobre 2015 - Notre-Dame de Paris
La mission pastorale de l’Église consiste à témoigner de la miséricorde de Dieu pour l’humanité, tant aux brebis déjà rassemblées qu’à celles qui sont encore dispersées. Le ministère du diaconat permanent s’inscrit dans cette mission au niveau de l’Église particulière en incarnant la figure du Christ serviteur dans les conditions ordinaires de la vie humaine.
– Is 52,7-10 ; Ps 95 ; Jn 10,11-15
Frères et Sœurs,
Célébrer cette ordination et la fête de notre diocèse à la veille de l’ouverture de la session ordinaire du synode que le Pape a convoqué, et qui commencera demain à Saint-Pierre de Rome, est une circonstance qui éclaire d’une façon particulière ce que nous vivons, d’autant plus que cette session du synode précédera de quelques semaines l’ouverture de l’Année sainte de la Miséricorde décidée par le Pape.
Comme le Saint Père l’a dit à plusieurs reprises - et comme il le dira sans doute à nouveau à l’ouverture des travaux du synode -, son objectif est d’inviter les évêques à approfondir les chemins et les moyens de leur mission pastorale, qui n’est rien d’autre que la mission pastorale de l’Église. Cette mission pastorale consiste précisément à témoigner de la miséricorde de Dieu pour l’humanité tout entière, si bien qu’elle est indissociable de la dimension missionnaire de la vie de l’Église. Il n’y a pas une vie pastorale qui se préoccuperait uniquement des brebis rassemblées, il n’y a pas une mission qui laisserait de côté le peuple de Dieu déjà rassemblé. C’est la même mission qui consiste à annoncer la bonne nouvelle du Seigneur, comme nous le disait le prophète Isaïe : « annoncer la paix, être messager de la bonne nouvelle, annoncer le salut » (Is 52,7) pour toute l’humanité comme Jésus l’a voulu, mission pour laquelle il a donné sa vie en aimant les siens qui étaient dans le monde jusqu’à l’extrême. Il a livré sa vie pour que tous les hommes puissent un jour être associés à la mission de l’Église, à la communion avec Dieu, pour qu’ils puissent entrer dans la nouvelle Jérusalem et éclater en cris de joie devant cette nouvelle cité de Dieu.
Notre Église particulière, le diocèse de Paris, comme toutes les Églises particulières dans le monde, est associée à cette mission que le Christ a confiée à son Église, d’abord à ses disciples et à travers eux à ceux qui accueilleraient l’évangile et qui vivraient de lui. C’est pourquoi notre Église ne peut se connaître, s’identifier et se développer de façon vivante que si elle porte avec persévérance cette mission universelle qui lui a été confiée par le Christ et dont notre fondateur saint Denis a été l’initiateur sur les rives de la Seine. Cette mission est la mission de toute l’Église, de tous les membres du corps ecclésial : prêtres, diacres, religieux, religieuses, laïcs. Chacun évidemment participe à cette mission selon les tâches qui lui sont confiées, et selon les ministères répartis à travers le peuple de Dieu. La « légende sacrée » de notre fondation rapporte que saint Denis était accompagné de deux compagnons, Rustique et Éleuthère. La tradition a vu en eux un prêtre et un diacre, comme si à travers ce trio se donnait à voir la complémentarité des ministères dans l’Église. C’est donc avec une joie particulière que je vois s’agrandir le corps des diacres dans le diocèse de Paris et que j’ai la joie d’ordonner les sept nouveaux diacres qui me sont présentés. Il ne vous aura pas échappé que ce chiffre sept possède une signification particulière. Dès les débuts de l’Église, au moment où la mission devenait tellement accaparante que les apôtres n’avaient plus le temps d’annoncer la parole de Dieu, ceux-ci choisirent sept hommes sages, auxquels ils imposèrent les mains pour le service des tables afin de se réserver pour le ministère de la prédication et de la conduite du peuple de Dieu. J’espère que les sept hommes que je vais ordonner sont aussi sages que les sept premiers… Ils ne se contenteront vraisemblablement pas du service des tables puisque la vie de notre Église n’est plus tout à fait celle de l’Église primitive !
Le ministère diaconal porte une fonction principale dans la mission de l’Église : incarner sacramentellement la figure du Christ serviteur. Dans la mission pastorale de l’Église, le service n’est pas une fonction secondaire et adjacente mais un élément central de la mission de l’Église que j’ai évoquée tout à l’heure : annoncer la miséricorde de Dieu. Comment pouvons-nous annoncer la miséricorde de Dieu si nous ne pouvons pas nous mettre au service de nos frères et manifester concrètement cet amour et cette tendresse de Dieu pour l’humanité à travers les gestes humains de service, de solidarité et d’amour. C’est la priorité du ministère diaconal qui n’est pas distraite par sa fonction liturgique, car l’annonce de la Parole et le service de l’autel sont des dimensions constitutives du service de l’Église. Ce ministère liturgique du partage de la parole de Dieu et du pain de vie, si modeste soit-il, met en valeur que l’achèvement de l’acte pastoral de l’Église est de nourrir les hommes de la parole du Christ et de son pain venu du ciel.
Aussi, frères et sœurs, au moment de célébrer cette ordination, nous nous retournons vers la vie de notre Église, vers les appels auxquels elle est confrontée par les circonstances du temps, vers les nouvelles relations qui se développent dans notre société en fonction de l’évolution des mœurs et des cultures. De plus en plus, notre source de vie, notre source de force, notre source de paix est méconnue ou ignorée. Notre première mission, c’est donc de lui donner une figure visible à travers la manière dont nous entrons en relation avec les hommes et les femmes qui nous entourent et de donner le sens de cette figure visible par l’annonce de la parole qui en est la source.
En appelant le diocèse à trois années de mission, je n’ai rien fait d’autre que d’essayer d’appliquer à notre situation la mission générale de l’Église : annoncer, partager, transmettre. C’est la charge qui nous incombe pour les hommes qui nous entourent : leur annoncer que le Christ est le sauveur du monde, leur partager les richesses spirituelles, culturelles et humaines dont nous disposons en mettant en œuvre une véritable solidarité et transmettre cette bonne nouvelle de génération en génération par notre manière d’accompagner les jeunes dans la croissance de leur vie.
Le fait que cinq d’entre vous soient des époux, des pères de famille met en relief cette dimension capitale que le Pape a voulu mettre en valeur au rassemblement de Philadelphie : la mission de la famille comme élément de continuité des générations. Il est évident que la manière dont chacune de nos familles vit cette transmission de la richesse de l’évangile représente un capital important pour l’équilibre de notre société et représente un témoignage vivant de la présence active de l’esprit du Christ à travers les disciples qu’il se choisit.
Frères et sœurs, en imposant les mains à ces sept hommes, je suis heureux d’accroître la capacité apostolique de notre Église, je suis heureux de développer une figure du ministère ordonné longtemps ignoré en Occident, qui manifeste comment le Christ pasteur et serviteur agit encore aujourd’hui dans l’Église, non seulement à travers des œuvres ou des activités ecclésiales, mais encore à travers les conditions ordinaires de la vie humaine, d’abord dans la famille, puis dans la vie professionnelle et dans la vie relationnelle. Un diacre n’est pas simplement un citoyen ordinaire, c’est un homme consacré pour manifester au plus près de la vie de chaque jour la présence du Christ serviteur et sauveur. Comme l’évangile de Jean nous le disait : cette mission pastorale, le Christ l’a accomplie « en livrant sa vie pour ses brebis » (Jn 10,15). Dans la diversité des ministères de l’Église, ceux qu’il appelle à participer à son ministère pastoral et sacerdotal sont invités eux aussi à donner leur vie, non pas nécessairement par une mort violente, mais par un dépouillement plus radical par rapport à un certain nombre d’activités tout à fait légitimes qui occupent beaucoup de temps et qui demandent que vous en soyez assez libérés pour pouvoir donner du temps à l’Église et à sa mission au milieu des hommes.
Nous prierons avec foi et confiance pour que le Seigneur fasse grandir en vous cette liberté du cœur que vous avez expérimentée au long de vos années de préparation et que vous voyez aujourd’hui consacrée par le don de l’Esprit Saint. Puissiez-vous devenir pleinement témoins de la miséricorde en ce monde. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.