Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe anniversaire des 15 ans de la Chapelle ND de la Sagesse – Fête du Christ Roi de l’univers
Dimanche 22 novembre 2015 - Chapelle Notre-Dame de la Sagesse (Paris XIIIe)
Nous sommes invités à corriger notre compréhension spontanée de la Royauté du Christ s’exerçant sur la base de nos souvenirs historiques. Le Christ est Roi parce qu’il est serviteur. Sa royauté ne s’exerce pas par mode de domination. Notre vie chrétienne est appelée à rendre compte de cette réalité. La communauté de Notre-Dame de la Sagesse vit ce programme au cœur d’un quartier moderne et multiforme.
– Da 7,13-14 ; Ps 92 ; Ap 1, 5-8 ; Jn 18, 33b-37
Frères et Sœurs,
Nous sommes une vieille nation républicaine, et nous avons toujours un peu de mal avec le vocabulaire royal… Quand la liturgie nous invite à célébrer le Christ Roi de l’univers, nous avons tendance à projeter sur ce titre du Christ, l’équipement historique de la royauté que nous avons connue dans notre pays ou que nous connaissons dans d’autres pays. Nous avons tendance à projeter sur la royauté du Christ, les signes de la domination et de la puissance exercées sur le monde.
C’est pourquoi la liturgie nous invite à comprendre ce titre du Christ Roi de l’univers non pas simplement avec les visions prophétiques du Fils de l’homme dans le livre de Daniel, ou avec la vision de l’apocalypse, de celui qui rassemble et conduit les nations à son Père, mais d’abord à partir du dialogue entre Jésus et Pilate au moment de son procès. Car c’est à ce moment-là que nous pouvons mesurer au mieux quelle est la nature originale de la royauté du Christ qui n’est pas une royauté de ce monde, sinon évidemment, il ne serait pas en procès devant le procurateur Romain. « Si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait ma royauté n’est pas d’ici » (Jn 18,36). Nous sommes invités à découvrir que, d’une certaine façon, le couronnement royal du Christ, c’est le moment où il offre sa vie au Père sur la croix. C’est au moment où il est dans la plus extrême faiblesse qu’il exerce au maximum sa capacité de sauver le monde et de le conduire à la vie. « Je suis né, je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37).
Ainsi, nous sommes invités à décaler notre regard et à ne pas considérer que la victoire du Christ sur la mort serait une victoire de domination sur l’humanité. Il ne s’agit pas simplement d’une question théologique pour mieux éclairer notre connaissance du Christ mais d’une question qui a un impact direct sur notre propre manière d’être chrétien et de vivre la foi. En effet, on ne vit pas la foi de la même manière si on identifie le Christ comme celui qui domine les pouvoirs du monde ou comme celui qui s’est fait le serviteur de l’humanité en offrant sa vie. Trop souvent, nous en faisons tous l’expérience à un moment ou à un autre de notre existence, nous concevons la foi en Dieu comme un moyen de maîtriser la vie humaine, d’échapper à ses contraintes, et nous sommes profondément scandalisés quand nous voyons que des gens que nous considérons comme des croyants fidèles et comme des chrétiens confirmés se trouvent attaqués dans leur vie, dans leur chair, dans leurs affections. Nous vivons cet échec humain comme une injustice en pensant que la foi chrétienne aurait dû les immuniser contre les dangers de la vie. Or ce n’est pas du tout ce que nous dit l’évangile. Au contraire, ceux qui marchent à la suite du Christ sont entraînés aussi à subir avec Lui les péripéties de l’histoire et les drames de l’existence humaine. Chacune et chacun d’entre nous, nous le comprenons en ces jours dramatiques pour notre pays, doit supporter avec le Christ les contraintes de l’histoire des hommes.
Si l’architecture dit quelque chose de ce que les hommes essayent d’exprimer, l’implantation et la construction de la chapelle Notre-Dame de la Sagesse dans ce quartier expriment quelque chose de cette vision d’une église et d’une foi chrétienne qui ne sont pas en situation de dominer le monde. Il suffit de lever les yeux et de regarder les immeubles imposants qui caractérisent ce quartier neuf de Paris, d’imaginer les ressources de puissance et d’intelligence contenues dans ces blocs de béton, et de comprendre que notre chapelle est un minuscule élément dans cet univers. Nous ne vivons plus dans une situation où la foi chrétienne représente un signe qui domine la cité, mais nous sommes appelés à la vivre comme une expérience qui témoigne au cœur de la cité d’une force qui n’est pas la force de la cité. Nous ne sommes pas là pour être plus forts, plus intelligents, plus cultivés, plus efficaces que ceux qui nous entourent. Nous sommes là pour témoigner au cœur de cette réalité qu’il y a dans le monde quelque chose de plus important que ce qui se voit. Ainsi, la vie de cette communauté de Notre-Dame de la Sagesse au cœur de ce quartier, ouverte à la rencontre des résidents, des gens qui viennent travailler ici ou des étudiants qui se pressent autour de la Bibliothèque nationale, est le signe que tout ne s’achève pas dans le succès urbain, économique ou culturel. Ces succès humains qui font notre admiration sont aussi pour nous un appel à mieux comprendre quelle est la finalité de l’existence humaine. Vers quoi voulons-nous aller ? Quels signes pouvons-nous donner dans un monde qui est fortement fragmenté par les fonctions différentes des gens qui vivent les uns à côté des autres, par l’ignorance où ils sont les uns des autres, parfois par l’indifférence dans laquelle ils vivent les uns par rapport aux autres ? Quels signes sommes-nous appelés à donner sinon celui de l’amour vécu ? Ces signes se concrétisent dans la capacité à porter de l’intérêt là où il y a indifférence, à chercher à connaître et à comprendre là où il y a l’ignorance, à exprimer le respect et l’appel à une communication là où il y a l’indifférence ou le refus.
Être témoin du Christ Roi de l’univers, ce n’est pas sculpter la société selon nos vœux, c’est inspirer ce qu’il y a de meilleur en elle pour contribuer à la mission du Christ de récapituler toutes choses pour les offrir au Père ; c’est nous faire les porteurs de tout ce qui se vit de beau et de grand autour de nous ; c’est nous faire les témoins de ce qui doit être la règle de vie des hommes les uns envers les autres : la reconnaissance, le respect, la collaboration, l’attention, le désir de rendre ce monde meilleur.
Ainsi, frères et sœurs, en célébrant la fête du Christ Roi, nous célébrons la toute-puissance de Dieu, la toute-puissance de son amour révélé à travers la faiblesse et l’humiliation de son serviteur. Nous sommes les disciples de celui qui a été couronné sur la croix et par là, nous annonçons celui qui maîtrise l’ensemble du monde et l’appelle à la communion.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.