Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND à l’intention des bienfaiteurs du diocèse de Paris – Fête de l’Epiphanie
Dimanche 3 janvier 2016 - Notre-Dame de Paris
La démarche des mages qui, à la recherche d’un signe, se mettent à suivre une étoile, est l’image de la raison humaine qui cherche à répondre aux grandes questions qui traversent l’humanité. Mais cette démarche va plus loin, il s’agit de reconnaître le roi des Juifs dont la venue avait été annoncée par les prophètes. Ce roi est envoyé pour rassembler l’humanité entière.
– Is 60, 1-6 ; Ps 71 ; Ep 3, 2-3a.5-6 ; Mt 2, 1-12
Frères et Sœurs,
La venue des mages depuis l’Orient à la rencontre du roi des Juifs est évidemment un signe très important au moment où l’événement se déroule, et c’est pourquoi l’évangile lui accorde une telle place. Mais c’est aussi un signe très important pour notre propre démarche de foi. En effet, ces trois mages se mettent en route en suivant une étoile. On peut comprendre que, peut-être un peu férus d’astronomie, ils ont scruté le ciel à la recherche d’un signe et que voyant cette étoile extraordinaire, ils se sont mis en route et ont suivi la trace qu’elle dessinait dans le ciel. On pourrait voir dans cette mise en marche du processus, ce que l’on pourrait espérer de mieux de la raison humaine qui cherche le sens, les explications et les solutions aux problèmes de la vie, en mobilisant les capacités de l’intelligence, l’ingéniosité de l’observation, la mémoire des sagesses diverses auxquelles on a accès, pour se mettre en route, pour aller à la recherche… mais à la recherche de quoi ?
Nous l’entendons de la bouche des mages : ils sont à la recherche du roi des Juifs qui vient de naître. A partir de ce moment-là, leur démarche naturelle, alimentée par la curiosité ou par le désir de déchiffrer l’univers, prend un sens nouveau. Il ne s’agit plus simplement de suivre une étoile, il s’agit de reconnaître le roi des Juifs, et tout naturellement, puisque ce sont des gens raisonnables, pour reconnaître le roi des Juifs, ils vont s’adresser à celui qui exerce la fonction au moment où ils vivent : le roi Hérode. Même si la légitimité de sa royauté est sujette à caution, il est le titulaire. On peut dire que c’est lui qui détient le titre de roi des Juifs, et donc ils viennent s’enquérir auprès de lui. Ils sèment la stupéfaction dans l’environnement du roi qui ne pensait pas du tout à la venue d’un roi des Juifs, malgré les prophéties qui avaient été transmises. Et voilà qu’Hérode interroge et que les scribes qui scrutent les Écritures lui disent : il y a un roi des Juifs qui est annoncé, qui sera le berger d’Israël, et qui doit naître à Bethléem. Ce petit épisode nous fait comprendre que, même pour ces représentants symboliques des nations païennes, la découverte, la reconnaissance du roi des Juifs, la démarche qu’ils veulent accomplir auprès de lui, ne peut pas faire l’économie des messages prophétiques qui l’ont annoncé et qui ont été adressés à Israël et transmis par lui. Il ne suffit pas de venir du grand Est pour tout savoir ; il faut accueillir l’annonce prophétique que nous transmet l’Écriture, et donc il faut accueillir, d’une certaine façon, cette tradition que porte Israël et qui doit permettre d’identifier cet enfant.
Vous vous souvenez que dans la nuit de Bethléem, l’identité de l’enfant a été annoncée par des anges aux bergers, c’est-à-dire en fait par Dieu lui-même. C’est Dieu lui-même qui dit aux bergers qu’ils vont trouver un sauveur et leur indique où ils vont le trouver. Pour les mages venus d’Orient, c’est la tradition prophétique qui va leur indiquer que cet enfant ce n’est pas simplement un sauveur indéfini, c’est un sauveur qui porte le titre de roi des Juifs et de berger de son peuple. Cela signifie que la mission du Christ est indissociable de la mission universelle d’Israël telle qu’elle lui a été confiée au moment de l’élection. Dieu a choisi son peuple pour être un signe au milieu des nations afin de porter un message à destination universelle. La reconnaissance par les mages venus d’Orient de cette tradition prophétique et du signe qu’elle indique, confirme cette vocation universelle de la mission d’Israël. Pour nous, qui essayons de reconnaître le Christ, non seulement à travers les signes évocateurs de sa nativité, mais aussi à travers les paroles qu’il a prononcées, les miracles qu’il a faits, il nous faut prendre le même chemin que les mages. Certes nous pouvons exercer notre intelligence pour essayer de mieux comprendre ce que Jésus a vécu, ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, mais en sachant que le sens ultime de ces actes, est indissociable de l’annonce prophétique qui les ont préparés. C’est pourquoi c’est toujours une sorte de supercherie, comme il en existe quelques exemples, de proposer une live-story du Christ à la télévision comme si rien n’avait été annoncé auparavant. En tout cas pour nous, c’est le sens de la réforme liturgique que le Concile Vatican II a mis en œuvre en restaurant, à partir la plus haute tradition chrétienne, la lecture du Premier Testament dans la liturgie.
Nous savons que nous ne pouvons pas reconnaître le Christ sans nous inscrire dans l’interprétation que nous en ont proposé les prophètes par leur annonce. Être chrétien, ce n’est pas simplement avoir accompli un chemin original qui nous conduit à tel ou tel acte de foi, c’est nous inscrire dans la tradition d’un peuple et accueillir de cette tradition la lumière qui éclaire ce que nous vivons.
C’est pourquoi l’apôtre Paul dans l’épître aux Ephésiens évoque ce mystère qui était resté caché depuis les commencements du monde : l’élection d’Israël ouvrait à toutes les nations la participation au même héritage, au même corps, à la même promesse.
En vénérant le Christ avec les mages nous nous inscrivons dans cette lecture prophétique de l’Écriture et nous reconnaissons dans l’enfant couché dans une mangeoire, celui qui est envoyé pour être le berger de son peuple, le roi d’Israël, et à travers cette fonction de roi d’Israël, celui qui est envoyé pour rassembler l’humanité tout entière.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.