Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe à ND de la Croix avec confirmations de jeunes – Troisième dimanche de Pâques – Année C
Dimanche 10 avril 2016 – Notre-Dame de la Croix
La foi au Christ ne s’impose pas à nous, elle requiert notre liberté. Les apparitions de Jésus ressuscité à ses disciples en témoignent. Comme Pierre, nous sommes invités à dire notre amour au Seigneur. Notre attachement et notre fidélité à le suivre requièrent une force spéciale pour en témoigner face aux slogans du monde. Cette force nous est spécialement donnée dans le sacrement de confirmation.
– Ac 5, 27b-32.40b-41 ; Ps 29 (30) ; Ap 5, 11-14 ; Jn 21, 1-19
Frères et Sœurs,
Chaque dimanche, c’est pour moi une joie d’aller célébrer l’eucharistie dans une paroisse différente. Aujourd’hui, je suis heureux de partager cette joie avec vous parce que je sens combien votre communauté elle-même est joyeuse de se retrouver autour de l’autel du Seigneur et de chanter sa louange. Ainsi, à travers Paris, plus d’une centaine de paroisses sont réunies chaque dimanche au nom de la foi au Christ pour proclamer leur foi, pour s’entraîner les uns les autres dans la prière, pour rendre gloire à Dieu de tout ce qu’Il accomplit.
Mais aujourd’hui, notre joie est encore augmentée par le fait que nous allons célébrer la confirmation d’un certain nombre de jeunes parmi vous. Certains ont été baptisés tout petits, d’autres ont été baptisés il y a peu de temps, mais tous ont vécu un itinéraire parallèle. Évidement, chacun a vécu son histoire personnelle mais c’est un itinéraire parallèle parce que cet itinéraire les a conduits à connaître le Christ, puis à le reconnaître et à vouloir participer davantage à la vie de son Église.
Cette connaissance et cette reconnaissance du Christ ne s’imposent pas à nous. Ce n’est pas quelque chose qui nous oblige contre notre volonté. Nous voyons bien dans l’apparition du Christ ressuscité aux disciples au bord du lac de Tibériade comment notre relation avec lui est toujours une relation incertaine. Les disciples savent que c’est Jésus qui est là et pourtant l’Évangile nous dit : « Ils n’osaient pas lui demander qui il était ». Mais s’ils avaient envie de lui demander qui il était, c’est justement parce qu’ils n’étaient pas sûrs que c’était lui ! Ils le découvrent, ils le connaissent, ils le reconnaissent et en même temps ils doutent de savoir si c’est bien celui auquel ils pensent.
Dans notre vie chrétienne, nous sommes transportés dans une relation où nous reconnaissons le Christ et à la fois dans une relation où nous nous interrogeons pour savoir si c’est bien lui auquel nous parlons, si c’est bien lui qui est devant nous, si c’est bien lui auquel nous nous adressons. Ce double mouvement sollicite notre liberté. On ne peut pas croire au Christ par force, on ne peut pas croire au Christ parce qu’on serait obligé par une démonstration, on croit au Christ en surmontant une question, en surmontant l’inquiétude de savoir si c’est lui ou si ce n’est pas lui. Pour surmonter cette inquiétude, il faut que nous fassions nous-mêmes un pas libre du plus profond de notre cœur comme Pierre sera appelé à le faire en réponse aux questions du Christ : « Seigneur tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ».
Cette relation avec le Christ qui fait de nous des chrétiens se confirme par la vie des sacrements, en particulier le sacrement du baptême et le sacrement de l’eucharistie par lequel nous communions au Christ vivant aujourd’hui. Comme les disciples au bord du lac vont recevoir de la main de Jésus lui-même, le pain et les poissons qui vont les nourrir, les chrétiens au cours des âges reçoivent du Christ lui-même, le pain de vie qui est son corps livré pour nous et le sacrement de la confirmation qui est le don de l’Esprit Saint. C’est l’Esprit Saint précisément qui va assurer notre connaissance du Christ, la renforcer, l’éclairer et nous donner la force nécessaire pour devenir témoins de cette présence du Christ à la vie des hommes.
Le livre des Actes des Apôtres rapporte comment le grand Conseil voulait interdire aux Apôtres de parler de Jésus. Voici la réponse des Apôtres : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». Cette réponse qui nous paraît très simple s’applique à nous aussi quand nous découvrons que la volonté de Dieu, ce que Dieu désire et attend de nous, ce sur quoi nous devons essayer de lui obéir, ne correspond pas forcément à ce que désirent les hommes. Les hommes, c’est le monde qui nous entoure, c’est la société, c’est la culture, ce sont les slogans, les courants de pensée qui traversent notre monde dont nous sommes abreuvés par la télévision, la radio, les journaux, toutes nos relations… Nous découvrons que ce mouvement de la société ne va pas forcément dans le sens de ce que Dieu désire. Il arrive donc un moment où le chrétien est amené à choisir à qui il veut obéir. Est-ce qu’il veut obéir aux hommes, c’est-à-dire se faire bien voir de tout le monde, c’est-à-dire recevoir les encouragements, recevoir les faveurs de ceux qui nous entourent ou bien est-ce qu’il veut obéir à Dieu, même si pour obéir à Dieu il faut refuser un certain nombre de comportements, d’idées, de manières de vivre de ceux qui nous entourent ?
On exalte souvent dans notre monde l’esprit de résistance, mais l’esprit de résistance, c’est précisément la capacité de ne pas accepter n’importe quoi, d’être capable de choisir dans notre liberté ce qui nous semble le meilleur pour nous et le meilleur pour nos frères. Ce choix, les disciples le font devant le grand Conseil en disant : « Il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » et après avoir été fouettés, ils sont interdits de parole. Le grand Conseil leur interdit de parler au nom de Jésus. « Et quant à eux, quittant le grand Conseil, ils repartaient tout joyeux d’avoir été dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus ».
Oui, pour chacun de nous, pour tous les chrétiens de ce monde, le nom de Jésus n’est pas forcément le bienvenu, le nom de Jésus n’est pas forcément accepté, le nom de Jésus peut même être interdit. C’est par la grâce de l’Esprit Saint qui habite nos cœurs que nous souffrons et nous supportons ces refus, ces agressions, parfois ces violences, non pas en nous posant sans cesse en victimes pour nous faire plaindre, mais en étant « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus. »
L’Esprit Saint que vont recevoir ceux qui vont être confirmés n’est pas un esprit de contrainte ni d’esclavage, c’est un esprit de liberté qui fait de nous des enfants de Dieu et qui nous met dans la joie de connaître le Christ et de l’annoncer. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris