Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame de Paris – 5e Dimanche de Pâques – Année C
Dimanche 24 avril 2016 - Notre-Dame de Paris
En approchant de l’Ascension et de la Pentecôte, nous sommes invités à ajuster les pratiques de nos communautés chrétiennes à ce que Jésus a fait avec ses disciples : porter la bonne nouvelle et construire un monde nouveau. La nouveauté de ce monde est fondée sur le commandement "Aimez-vous les uns les autres" que les disciples de Jésus sont appelés à mettre en œuvre dans leurs relations de service.
– Ac 14,21b-27 ; Ps 144,8-13 ; Ap 21,1-5a ; Jn 13, 31-33.34-35
Frères et Sœurs,
Tout au long de ces semaines du temps pascal qui nous préparent à la célébration de l’Ascension du Christ et à la célébration de la Pentecôte, la liturgie nous invite à vivre un double mouvement.
Un premier mouvement consiste à méditer et intégrer le mieux possible les événements qui ont marqué la Pâques du Christ, sa mort et sa résurrection, soit en nous rappelant les apparitions du Christ ressuscité, comme cela a été le cas dans les premiers dimanches, soit comme aujourd’hui en reprenant les moments qui ont précédé sa Passion où Jésus annonce de façon claire qu’il sera glorifié, c’est-à-dire qu’il ressuscitera. Nous sommes invités par cette méditation à fortifier la foi qui nous habite : contre toutes les apparences, le Christ est vivant. Il a traversé la mort, il s’est relevé d’entre les morts, et il vit auprès du Père. Cette certitude que le Christ est vivant est le fond le plus absolu de notre foi chrétienne, car comme saint Paul nous le dit, si le Christ n’est pas ressuscité alors nous sommes les plus malheureux de tous les hommes.
Le deuxième mouvement auquel nous invite la liturgie de ces dimanches, c’est d’ajuster les pratiques de nos communautés chrétiennes à ce que Jésus a fait avec ses disciples, à ce qu’il a poursuivi par la puissance de l’Esprit dans la communauté apostolique et à ce qu’il nous invite à vivre. Le don de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte a initié un dynamisme qui va permettre à la jeune communauté des disciples du Christ d’annoncer la Bonne nouvelle, non seulement aux résidents et aux pèlerins de Jérusalem, mais bien au-delà. En parcourant le début du Livre des Actes des apôtres, nous avons vu comment, peu à peu, le cercle de ceux qui étaient atteints par la Parole de Dieu s’élargissait. La première persécution conduite par le grand conseil de Jérusalem a dispersé les disciples dans les contrées alentours, et cette dispersion a été l’occasion d’annoncer la résurrection du Christ. L’envoi en mission de Paul à travers le bassin Méditerranéen sera une nouvelle extension géographique et culturelle de l’annonce de la Bonne nouvelle. Ainsi, peu à peu, la consigne laissée par Jésus à ses disciples d’annoncer la Bonne nouvelle à toute la terre a commencé à se réaliser, en tout cas elle s’est accomplie dans ce qui représentait l’univers connu autour du bassin Méditerranéen. Mais nous savons que, progressivement, à travers l’Empire romain, puis au-delà de ses frontières, l’extension de l’annonce de l’Évangile gagnera des régions et des peuples païens qui découvriront ainsi la Bonne nouvelle du salut. C’est de ce mouvement d’universalisation de la mission de l’Église que nous sommes issus, nous qui étions des pays hors du Judaïsme, ce que la Bible appelle les Nations. Déjà au temps des apôtres, ceux-ci pouvaient rendre grâce de ce que Dieu avait ouvert aux Nations la porte de la foi. Le temps de la résurrection, c’est le temps de la mission universelle dans laquelle nous sommes tous invités à prendre notre part pour que l’annonce du Christ ne soit pas enfermée dans les frontières préalablement établies, mais que de proche en proche, elle gagne de plus en plus de monde.
Dans la présentation de cette nouvelle période de l’histoire de la manifestation de Dieu à l’humanité, le livre de l’Apocalypse nous invite à une autre démarche, ou plus exactement, il nous montre le résultat auquel doit aboutir l’annonce universelle de l’Évangile, c’est-à-dire le rassemblement de tous les peuples, de toutes les nations, races et langues dans une seule famille. La vision que l’auteur de ce livre partage à travers cet écrit, révèle la capacité d’anticiper ce qui est déjà une réalité, même si tout n’est pas encore complètement accompli. C’est ainsi qu’il peut mettre dans la bouche de Dieu cette parole : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21,5). Cette nouveauté n’est pas à comprendre au sens où nous l’entendons dans la succession des informations médiatiques. C’est le renouvellement par le fond de notre existence. C’est la reprise du développement du monde, non pas pour le conduire vers la mort mais pour le conduire vers la vie. Cette nouveauté est fondée dans la mort et la résurrection de Jésus. C’est à partir de sa résurrection que se réalise cette création nouvelle. Notre regard de foi scrute la réalité des temps et des événements pour discerner les signes de la nouveauté de ce monde qui est encore aujourd’hui mêlée au monde ancien. Certes, comme l’Apocalypse nous le dit : « la mort est vaincue, il n’y aura plus ni deuil ni douleur » (Ap 21,4) nous le croyons, nous l’espérons, et cependant nous connaissons et la mort, et le deuil, et les cris, et les douleurs.
Croire au monde nouveau qui est en train de naître, ce n’est pas se détourner du monde présent qui est en train de mourir mais c’est le regarder d’un œil différent. C’est apprendre à découvrir en toutes situations comment l’Esprit du Christ ressuscité peut faire advenir une nouvelle manière de vivre. Cette nouvelle manière de vivre, l’Évangile nous en donne la clef : c’est l’amour que nous sommes invités à vivre. « C’est pour peu de temps encore que je suis avec vous » dit Jésus, « je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres » (Jn 13,34). Ce commandement nouveau transforme les relations qui unissent les hommes entre eux, d’abord les membres de la communauté chrétienne pour vivre des relations d’amour et non pas de méfiance, de domination ou de haine. Ce qui est nouveau dans le christianisme, ce n’est pas qu’il apporterait des réponses à des énigmes, c’est qu’il met en œuvre une nouvelle manière de vivre qui transforme des hommes et des femmes immergés dans les conditionnements du monde ancien, pour faire advenir un monde nouveau : un monde de respect et d’amour.
Prions donc Dieu que, fidèles à la mission que Jésus nous a confiée, fidèles à l’amour qu’il a mis en œuvre à notre égard, nous soyons les premiers, nous qui sommes les membres de l’Église, à vivre les uns avec les autres dans une relation d’amour, c’est-à-dire dans une relation de service.
Qu’il est pénible, qu’il est douloureux de voir des chrétiens se retourner contre leurs frères et vouloir attaquer l’Église comme une ennemie. Comment le monde pourrait-il croire que Jésus est venu annoncer l’amour si nos rapports se transforment en méfiance, en haine et en violence ? Puisque nous communions au même corps qui est le Corps du Christ, prions Dieu qu’il fasse grandir l’unité de son Église. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.