Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Eustache – 6e dimanche de Pâques – Année C
Dimanche 1er mai 2016 - Saint-Eustache (Paris Ie)
Le temps pascal éclaire l’expérience de la vie de l’Église. Celle-ci se présente comme une réalité repérable et ouverte. C’est le signe de sa dimension missionnaire. Les discussions entre les apôtres et disciples du Christ sur les conditions pour entrer dans l’Église manifestent la synodalité et l’exercice de l’autorité du magistère. L’exhortation apostolique récente du Pape François en est une illustration. La disparition physique de Jésus après l’Ascension laisse place à la présence de l’Esprit Saint qui n’abandonne pas les chrétiens.
– Ac 15,1-2.22-29 ; Ps 66 ; Ap 21, 10-14.22.23 ; Jn 14, 23-29
Frères et Sœurs,
Ces dimanches du temps pascal qui nous conduisent de la fête de Pâques à la Pentecôte sont comme un chemin pédagogique pour nous apprendre à vivre en Église, une initiation pour nous préparer à vivre ce que la communauté apostolique a vécu, c’est-à-dire le passage du temps de la présence visible du Christ au temps de son absence et à la venue de l’Esprit Saint. C’est dire que les lectures de ces dimanches éclairent d’une façon particulière notre expérience d’Église. Je voudrais vous proposer quelques réflexions à partir des lectures que nous venons d’entendre.
La première vient de l’Apocalypse de saint Jean. Sa vision veut nous décrire quelque chose de l’Église : à la fois une cité identifiable et repérable par ses murailles, mais surtout par la gloire de Dieu qui l’éclaire, et une cité qui n’est pas fermée. C’est une cité dans laquelle le souvenir des douze tribus d’Israël ne constitue pas une interdiction d’entrée, mais au contraire une marque d’ouverture puisque les douze portes sont orientées vers les quatre points cardinaux par lesquelles toutes les nations sont invitées à entrer dans la Cité de Dieu. Accomplissant ainsi la vocation universelle de l’Alliance conclue avec Israël, cette cité ouvre la porte de la vie à tous les hommes. Cette cité repose sur les douze apôtres dont les noms sont inscrits sur les piliers de fondation. Notre Église est fondée sur ces douze apôtres. Notre Église présente des contours repérables. Il y a des gens qui sont dedans, il y a des gens qui sont dehors. Il y a des gens qui croient être dedans mais qui en fait sont dehors, et il y a des gens qui sont dehors mais ils ne savent pas qu’ils sont déjà entrés dedans. Saint Augustin nous a merveilleusement initiés à déplacer notre manière de comprendre les limites de l’Église, en nous apprenant que nous ne possédons pas les frontières de l’Église car elles ne sont pas visibles. La vision de l’Apocalypse dessine comme un programme d’existence pour l’Église du Christ : la frontière que représentent les hautes murailles de la Cité Sainte est percée de douze portes par lesquelles toutes les Nations provenant de n’importe quel point cardinal sont invitées à traverser pour devenir à leur tour, membres de l’Église.
Si l’Église se définit comme missionnaire, c’est d’abord parce qu’elle se présente comme un espace connu et repéré, ouvert et accueillant. Cette vocation à l’ouverture et à l’accueil, nous en voyons un exemple à travers l’épisode que nous rapporte le Livre des Actes des Apôtres, sur la discussion provoquée par l’entrée des païens dans l’Église. Devaient-ils être soumis aux mêmes obligations que les juifs ? En particulier, fallait-il qu’ils portent ce signe de l’appartenance au peuple juif qu’était la circoncision ? Cette question de la condition pour devenir disciples du Christ trouble profondément ceux qui sont appelés à constituer l’Église. Faut-il devenir juif pour devenir chrétien ? Faut-il, dans l’histoire de chacun et de chacune de ceux qui entendent la parole du Christ, vivre à nouveau l’itinéraire historique du peuple d’Israël et adopter ses coutumes ? Cette question était suffisamment grave pour que la réponse ne soit pas laissée à l’initiative particulière de telle ou telle communauté confrontée à la difficulté. Nous voyons fonctionner dans le Livre des Actes des Apôtres, une instance de concertation et de décision qui fait échapper la réponse aux particularismes locaux en lui conférant l’autorité apostolique et celle de l’Esprit Saint : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé. »
Ce processus identifié comme une référence pour le fonctionnement ecclésial, nous ramène - pour le temps que nous vivons -, à l’expérience déjà ancienne maintenant du Concile Vatican II et à l’expérience plus récente des deux assemblées synodales que le Pape François a convoquées au Vatican, précisément pour organiser une délibération permettant de dégager un consensus sur lequel il pourrait engager son autorité.
L’exhortation apostolique que le Pape François vient de nous délivrer confirme ses convictions sur le fonctionnement de la concertation, que l’on appelle en terme technique la synodalité dans l’Église, et sur l’exercice de l’autorité du magistère. Il s’agit d’une parole qui engage vis-à-vis de Dieu. Le Pape explique clairement dans son exhortation que l’une des fonctions propres du ministère du pape, c’est précisément de définir les champs et les conditions dans lesquels s’exerce cette autorité apostolique. Il dit clairement que le magistère ne peut pas décider de tous les détails et de toutes les circonstances qui surgissent à travers l’universalité de l’expérience de l’Église.
Par contre, il engage fortement son autorité avec celle du synode au point de dire en quelque sorte : « L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci qui s’imposent ». Le Pape exprime par conséquent le contenu incontournable de la conviction de l’Église, de sa doctrine, de la foi qui nous engage, laissant le soin aux communautés locales de résoudre des questions qui relèvent de la particularité qu’elles vivent.
Je ne vous dis pas que cette solution est facile ni qu’elle lève tous les problèmes mais elle a le mérite de situer et de placer les responsabilités et les degrés d’obligation à l’endroit réel où ils surviennent.
Enfin, pour ce temps que nous vivons, entre l’Ascension du Christ et son retour dans la gloire, le Seigneur Jésus lui-même prépare ses disciples en leur donnant des indications sur la manière de vivre sans lui, c’est-à-dire sans sa présence physique. Bien sûr, la disparition physique de Jésus va provoquer l’émoi, et pour certains la frayeur, mais Jésus prévoit cet effroi en disant à ses disciples : « je vous laisse ma paix… que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé » (Jn 14,27). J’entends s’exprimer de toutes sortes de façons différentes le désarroi de nos contemporains. Ceci peut se comprendre dans une existence où les complications se multiplient. Mais les chrétiens doivent-ils se laisser entraîner dans une spirale de désarroi, comme si la promesse du Christ de leur donner sa paix n’était pas d’actualité ? Doivent-ils s’inquiéter, non seulement des jours qu’ils vivent, mais encore de l’avenir, comme s’ils étaient abandonnés sans avoir la certitude d’être accompagnés de la présence de l’Esprit ? « Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie parce que je pars vers le Père, et le Père est plus grand que moi » (Jn 14, 28).
Si nous aimons vraiment le Christ, nous ne pouvons pas nous laisser entraîner à une sorte de ratiocination permanente sur les événements et les personnes. Nous ne pouvons pas nous laisser entraîner dans la maladie médiatique de la polémique. Nous devons la surmonter et nous établir dans la paix et la sérénité, parce que nous avons reçu l’Esprit Saint. Il est l’Esprit de paix et de sérénité. « Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. » (Jn 14,29)
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.