Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 6e dimanche de Pâques – Année C
Dimanche 1er mai 2016 - Notre-Dame de Paris
La vie de l’Église se dessine dans les discours de Jésus après la Cène mais aussi à travers les Actes des Apôtres et l’Apocalypse. L’Église apparaît comme ouverte à l’univers entier. Elle est essentiellement missionnaire. Cet appel à l’universalité est mis à mal à l’époque apostolique. La réponse des apôtres fait apparaître un processus qu’on désigne aujourd’hui par le terme de synodalité. Ce fonctionnement requiert la présence et l’autorité de l’Esprit Saint que Jésus a promis de nous envoyer après son Ascension.
– Ac 15,1-2.22-29 ; Ps 66 ; Ap 21, 10-14.22.23 ; Jn 14, 23-29
Frères et Sœurs,
Dans ces chapitres de l’évangile de saint Jean qui suivent la Cène, à travers lesquels Jésus prépare ses disciples aux événements dont ils vont être les témoins, c’est aussi la vie de l’Église qui se dessine. L’arrestation de Jésus, sa condamnation, son exécution, les événements qui vont l’arracher à ses disciples et leur donner l’expérience de la solitude après la résurrection, vont se prolonger par la glorification du Christ, c’est-à-dire par son retour auprès du Père. Après l’Ascension de Jésus, l’Église apostolique devra assumer l’absence physique du Christ. Comment les apôtres vont-ils réagir ? Vont-ils être troublés, effrayés, « bouleversés » (Jn 14, 27) ? Le livre des Actes des Apôtres nous rapporte qu’ils se rassembleront dans une salle fermée de peur d’être arrêtés. C’est dire qu’à travers ces lectures liturgiques, se dessine le profil de l’expérience ecclésiale. Je voudrais ce soir simplement relever deux ou trois points particulièrement forts exprimés par ces lectures, et d’abord par la vision de l’Apocalypse.
La vision de l’Apocalypse englobe la cité sainte, la nouvelle Jérusalem. Pour donner une visibilité à une ville, il faut un périmètre, nous dirions aujourd’hui un périphérique. Il faut une limite faisant apparaître si on est dedans ou si on est dehors. La cité sainte fondée sur les douze apôtres possède une haute muraille qui définit visiblement son emplacement. Mais il nous faut être attentif au fait que dans la vision de l’Apocalypse, cette muraille est percée de douze portes orientées vers les quatre points cardinaux. Ceci évoque symboliquement les Nations qui entourent Jérusalem. C’est dire que la muraille de la ville n’est pas un rempart infranchissable, et qu’elle est ouverte par ces douze portes pour que, quiconque le veut, puisse y pénétrer et y trouver sa place.
Quand saint Augustin réfléchit sur la signification historique de l’Église dans sa méditation sur la Cité de Dieu, il explique très clairement que nul en ce monde ne maîtrise les frontières de la Cité de Dieu. La visibilité de l’Église, telle qu’elle est décrite avec ses murailles, ses remparts et ses portes, ne nous donne pas la géographie spirituelle de l’humanité. Certains qui sont dedans, vivent peut-être comme s’ils étaient dehors… D’autres qui sont dehors, peut-être déjà aspirent à vivre dedans. Nous n’avons pas le moyen de faire nous-mêmes le tri. C’est réservé à Dieu tel que cela se déroulera selon la parabole sur le jugement dernier.
L’Église n’est vraiment elle-même, c’est-à-dire l’héritière des douze tribus, la cité fondée sur les douze apôtres, que si elle est ouverte à l’univers entier, si l’expérience qu’elle vit est orientée à accueillir ceux qui ne la vivent pas encore. Quand le Pape François nous dit que l’Église doit être essentiellement missionnaire, il ne veut pas signifier autre chose que la vocation universelle de l’Église au-delà de la visibilité restreinte que nous connaissons dans notre temps.
Cette universalité, nous avons vu dans le Livre des Actes des Apôtres qu’elle était mise à l’épreuve à Antioche, devant la question des païens qui voulaient suivre le Christ. Fallait-il, pour devenir chrétiens, qu’ils passent par le judaïsme ? Fallait-il, dans l’histoire personnelle de chacun et de chacune de ces disciples de Jésus, qu’ils reproduisent l’histoire du peuple d’Israël au long de ses pérégrinations ? Cette question était posée concrètement à propos de la circoncision qui était le signe que Dieu avait donné de l’appartenance au peuple d’Israël. Pour devenir chrétien fallait-il devenir juif ? Cette question est très intéressante car dès le début de l’Église apostolique, elle met en œuvre un processus de discernement et de décision dans lequel les apôtres jouent un rôle principal, au point d’engager leur autorité et l’autorité de l’Esprit Saint : « Nous-mêmes et l’Esprit Saint avons décidé » (Ac 15,28). Cette décision dans l’Esprit Saint est le fruit d’un consensus qui s’élabore à travers une rencontre des responsables de l’Église. C’est ce que nous avons connu dans les temps modernes avec le Concile Vatican II, ou plus récemment avec les différentes sessions du synode des évêques. Nous sommes invités dans ces réunions à réfléchir devant Dieu à ce qui est bon pour l’Église, à construire progressivement un consensus sur lequel le magistère s’engage, comme le Pape François vient de le faire avec son exhortation apostolique. Il s’engage sur le consensus du Collège épiscopal. Mais il ne s’engage pas à la défense des coutumes, des habitudes. Il s’engage sur ce qui est le noyau dur de la foi. Ici, « ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci qui s’imposent » (Ac 15,28). Le Concile de Jérusalem énonce les obligations non seulement pour le peuple juif, mais plus largement pour ceux qui voulaient écouter la parole de Dieu. Ce fonctionnement collégial pour élaborer un consensus, nous le nommons en terme technique : la synodalité. C’est un mode de fonctionnement qui vaut pour l’Église entière. C’est-à-dire que nous sommes tous invités à contribuer par notre participation, par l’échange de nos points de vue, à construire des décisions qui engagent l’ensemble du corps.
Le Christ annonce dans l’évangile qu’il va envoyer son Esprit pour nous faire connaître la vérité tout entière. Il annonce qu’il va nous donner sa paix, c’est-à-dire la communion entre les membres de son Église. Il annonce que nous devons attendre dans la sérénité et la joie son retour. Il nous indique de quelle façon nous sommes invités à vivre les siècles qui nous séparent encore de la fin des temps : « l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout » (Jn 14,26). C’est à cet Esprit que nous nous remettons et dont nous célébrerons la venue au moment de la Pentecôte. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.