Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 7e Dimanche de Pâques – Année C

Dimanche 8 mai 2016 - Notre-Dame de Paris

Depuis le retour de Jésus auprès du Père au jour de l’Ascension, notre expérience du Christ n’est plus physique. Elle peut être désormais le fruit d’une vision. Mais surtout elle se réalise à partir de la constatation de l’unité de l’Église, corps unifié du Christ ressuscité. Cette unité est don de Dieu et non terme de compromis. Cette unité est nourrie par le sacrement de l’eucharistie. Elle se demande dans la prière.

 Ac 7, 55-60 ; Ps 96, 1-2.6.7.9 ; Ap 22, 12-14.16-17.20 ; Jn 17, 20-26

Frères et Sœurs,

Depuis que les disciples ont vu le Christ remonter auprès du Père le jour de son Ascension, tous ceux et toutes celles qui croient en lui sont contraints de vivre leur relation avec lui sur un mode nouveau. Dans sa première épître saint Jean dit : « ce que nous avons vu, ce que nous avons touché du Verbe de Vie, nous vous l’annonçons » (1 Jn 1,3). Il définit ainsi le fondement du témoignage apostolique qui était l’expérience directe du contact physique avec Jésus. Ils l’ont vu, ils l’ont touché, ils l’ont entendu, ils ont parlé avec lui, ils ont vu les signes qu’il accomplissait pour manifester l’achèvement de l’alliance. A partir du moment où le Christ est retourné auprès du Père, cette expérience directe et physique de la personne de Jésus de Nazareth devient radicalement impossible : plus jamais personne ne touchera le corps du Christ ; Plus jamais personne ne verra le corps du Christ.

Les disciples sont donc confrontés à une question, et nous aussi avec eux. Comme nous le dit l’évangile de saint Jean : la prière que Jésus adresse à son Père ne vise pas seulement ceux qui l’ont suivi, mais encore ceux-là qui, grâce à leurs paroles, croiront en moi, c’est-à-dire nous. La question à laquelle ils sont confrontés est celle-ci : quelle est notre expérience réelle du Christ ? Les lectures de ce jour nous donnent deux modèles, en tout cas deux formes de cette expérience. Mais l’une et l’autre renvoient non pas à une expérience physique mais à une vision. C’est la vision du diacre Étienne qui voit « les cieux ouverts et le fils de l’homme debout à la droite de Dieu » (Ac 7,56). C’est aussi la vision de l’auteur de l’Apocalypse qui a scandé toutes les liturgies de ce temps pascal. L’un et l’autre ont une expérience de Jésus, mais une expérience du Jésus élevé dans la gloire à la droite de Dieu. C’est sur cette expérience qu’ils s’appuient pour nourrir la confiance qui doit habiter le cœur des disciples tout au long de l’histoire jusqu’au retour du Christ à la fin des temps. Est-ce à dire que les hommes et les femmes de notre temps, ou d’autres périodes de l’histoire, en sont réduits pour croire au Christ à se fier à des visionnaires ? Est-ce à dire que la seule façon que nous avons de connaître le Christ est d’écouter le récit de ceux qui l’ont connu, comme nous le faisons quand nous entendons la lecture du Nouveau Testament ? Ou d’écouter les témoignages de mystiques qui ont eu des expériences intérieures de la présence du Christ ?

Si nous avons bien compris l’évangile de saint Jean, la prière que Jésus adresse à son Père est précisément l’annonce d’un autre mode de présence. Le Christ n’est plus présent physiquement, il n’est plus visible, il ne tombe plus sous les critères de l’expérience humaine, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’expérience et qu’il n’y a rien à voir. Ce qu’il y a à voir, c’est le corps unifié du Christ ressuscité, constitué par les disciples. « Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN … afin que le monde sache que tu m’as envoyé » (Jn 17,22.23). Est-ce que cette prière de Jésus peut éclairer davantage la réalité et la profondeur de la vie de l’Église ? Le Christ prie pour que ses disciples soient UN, mais pas simplement pour qu’ils soient réunis par une sorte d’accommodement à bon marché où l’on fait semblant de croire qu’on est d’accord alors qu’au fond, chacun garde son point de vue et son jugement sur les autres. L’unité pour laquelle le Christ prie et l’unité qu’il souhaite nous voir vivre, doit être témoignage sur Dieu parce qu’elle est l’unité même qui existe entre le Père et le Fils : « Pour qu’ils soient un comme nous sommes UN ».

Cela veut dire que la communion de l’Église n’est pas simplement le résultat d’une sorte de négociation ou de compromis, où chacun accepte de ne pas trouver tout ce qu’il cherche pour sauvegarder une unité de façade. L’unité de l’Église pour laquelle le Christ prie, c’est l’unité de Dieu lui-même, c’est l’unité trinitaire. C’est une unité qui dépasse de toute façon nos capacités de la réaliser. C’est pourquoi d’ailleurs, dans la tradition moderne des Églises chrétiennes, le mouvement œcuménique n’est pas d’abord un mouvement de négociations mais il est avant tout un mouvement de prière pour que les cœurs des chrétiens se convertissent et qu’ils progressent dans cette communion trinitaire. Il ne s’agit pas de savoir si l’on va accorder telle chose à telle forme de tradition chrétienne et telle autre à une autre, comme s’il s’agissait de rassembler des courants politiques ou des courants idéologiques par des compromis savants, il s’agit de se remettre totalement dans l’amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père. Cette unité est manifestée et nourrie par la célébration eucharistique. Quand nous sommes réunis pour célébrer l’eucharistie, on ne nous demande pas à l’entrée de nous mettre d’accord sur telle ou telle question, on nous demande simplement de nous reconnaître pécheurs et d’accepter d’entrer dans une action où c’est Dieu lui-même qui soude les éléments du corps eucharistique et qui fait l’unité de son Église.

Ainsi, frères et sœurs, les siècles qui s’écoulent depuis le départ du Christ jusqu’à son retour ne sont pas un temps inutile, c’est le temps au long duquel la puissance de l’Esprit va susciter l’unité des disciples pour que l’humanité entière connaisse que cette unité n’est pas le fruit d’une construction humaine mais le résultat d’un don de Dieu.

Nous rendons grâce au Seigneur qui nous associe à cette prière et à cette œuvre d’unité, et nous lui demandons qu’il nous fasse entrer plus profondément dans l’unité de son corps.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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