Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Grande veillée de prière pour la vie en la cathédrale Notre-Dame en présence des évêques d’Ile-de-France.
Mardi 31 mai 2016 - Notre-Dame de Paris
– Lire le compte-rendu de la Veillée pour la vie 2016.
– Lc 1,39-56
Frères et Sœurs,
En intitulant l’exhortation apostolique post synodale Amoris laetitia, le Pape François, - pas plus que les pères synodaux qui l’ont inspirée - n’a pas voulu provoquer cyniquement une humanité dans la détresse. Tous ont voulu annoncer une espérance : l’amour de l’homme pour la femme et l’amour de la femme pour l’homme, l’amour qu’ils donnent à leurs enfants et l’amour qu’ils reçoivent de leurs enfants sont le cœur de la joie qui doit inonder l’humanité. Affirmer cela, ce n’est pas se placer sur une autre planète où tout irait bien ! Les témoignages que nous venons d’entendre nous ont aidés à comprendre comment cette joie de l’amour et de la vie pouvait sourdre et croître, y compris dans des expériences douloureuses et parfois mortelles.
La vie est source de joie, la vie naissante est source de joie, la vie reçue est source de joie, la vie assumée est source de joie, et la vie finissante elle-même est source de joie. Nous ne pouvons pas, malgré les difficultés que nous pouvons rencontrer au long de l’histoire d’une existence, malgré les souffrances qu’endurent tant d’hommes et de femmes à travers le monde, malgré les épreuves auxquelles sont soumises tant de familles, malgré les trahisons et les reniements, envisager qu’il soit préférable de ne pas vivre. C’est une vision morbide et mortifère de l’être humain qui tord le mouvement naturel de son esprit pour lui faire prendre en haine la vie qu’il reçoit dans l’amour. C’est une tendance morbide de la tristesse répandue dans les cœurs par le refus de la réalité et le refus de l’épreuve qui pousse des hommes et des femmes à imaginer qu’il serait meilleur pour eux de n’avoir pas vécu, qu’il serait meilleur pour eux de ne plus vivre, et qu’il serait meilleur pour leurs proches qu’ils interrompent leur vie. Je ne veux pas entrer ici dans l’analyse qui peut être faite de ce que je viens d’évoquer. Je veux simplement souligner qu’il y a une contradiction intérieure profonde entre le dynamisme de la vie reçue de l’amour de Dieu et la fascination pour la mort qui habite tant de nos contemporains.
Mais si l’amour est source de joie, si la vie est source de joie, il nous faut comprendre, comme nous venons de l’entendre dans l’Évangile, comme nous l’avons entendu dans les témoignages, que nous n’atteignons réellement la joie que si elle est partagée. La joie confisquée pour ma propre satisfaction, la joie volée en utilisant les autres, la joie frelatée de la satisfaction de mon désir, n’est pas une joie humaine, c’est une joie instinctive. La joie humaine ne peut exister que là où des personnes vivent ensemble, partagent ensemble leurs épreuves, mettent en commun leurs forces, et unissent leurs espérance. La joie de Marie ne serait pas complète si elle ne rencontrait pas Élisabeth. La joie d’Élisabeth ne s’exprimerait pas si Marie ne l’avait pas visitée. Pour chacun et chacune d’entre nous, la joie de notre vie, c’est le sourire que nous pouvons susciter et soutenir par le partage de nos vies.
Il ne nous suffit donc pas de clamer à corps et à cris que nous sommes pour la vie. Il nous faut rendre témoignage de la joie de la vie par le partage des épreuves avec nos frères. Il nous faut témoigner de la joie de la vie en reconnaissant notre pauvreté pour accueillir le don que nous font nos frères.
Prier pour la vie, c’est prier pour que les hommes et les femmes de notre temps cessent de ne penser leur existence que par rapport à eux-mêmes et découvrent qu’ils ne deviennent vraiment eux-mêmes qu’en entrant en relation avec les autres et en recevant d’eux la lumière de leur vie.
Ainsi, frères et sœurs, prions avec confiance pour que le Seigneur mette sur notre route des témoins de la vie, pour qu’il fasse de nous des témoins de la vie sur la route de nos frères et qu’il nous comble de sa joie.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.