Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’installation de Mgr Bruno LEFEVRE PONTALIS curé de St François-Xavier - 25e dimanche Temps ordinaire - Année C

Dimanche 18 septembre 2016 - St François-Xavier (Paris VIIe)

En citant l’intendant malhonnête de la parabole, Jésus nous invite à réfléchir sur notre rapport à l’argent. Nos sociétés fonctionnent surtout sur des investissements financiers qui laissent de côté bien des éléments de l’existence humaine. La mission de l’Église est d’annoncer la Bonne nouvelle et non de construire un univers économique. Cela se réalise en particulier en acceptant de réduire notre confort au bénéfice des plus nécessiteux et à porter l’humanité dans la prière.

 Am 8,4-7 ; Ps 112,1-2.5-8 ; 1 Tm 2,1-8 ; Lc 16,1-13

Frères et Sœurs,

Comme souvent dans les évangiles, l’interprétation des paraboles laisse beaucoup de marge à l’inventivité des auditeurs. Aussi, il ne faut pas perdre de vue ce que l’on appelait dans les Fables de La Fontaine, les morales de l’histoire. La morale de l’histoire, ce n’est pas l’apologie de la malhonnêteté ou de la roublardise ! Ce serait une grave erreur de penser que Jésus a cité cet intendant malhonnête comme un modèle de comportement. Il l’a cité comme une manière de nous faire comprendre comment nous pouvons mettre nos capacité au service de sa volonté et non pas au service du mal. La morale de l’histoire, c’est que « nous ne pouvons pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16,13). Nul ne peut servir deux maîtres.

Si nous accueillons cette morale de la parabole avec générosité, nous comprenons bien qu’elle jette une lumière particulière sur chacune de nos existences et sur la vie de notre société. Vous n’avez pas, sans doute, été sans remarquer comment l’information qui nous est donnée sur la vie sociale et sur la vie des hommes se limite au moins à 80% à une information économique. Ce n’est pas parce que les gens qui nous informent sont mal intentionnés, c’est parce qu’ils ont intériorisé que l’élément dominant de l’existence humaine, c’est l’économie et ses produits. Aussi, quand ils veulent parler de quelque chose à attendre, ils parlent d’argent. Quand ils veulent porter un jugement sur une situation, ils demandent : combien cela coûte ? Quand ils essayent d’exprimer quelque chose d’heureux pour l’avenir des hommes, ils leur promettent de l’argent. Si vous disposez de l’argent, vous disposez de tout. Nous participons de cette torsion de la culture, nous participons de cet engouement pour croire que tout ce qui conditionne l’existence des hommes, ce sont leurs moyens économiques. C’est pourquoi cette parabole nous touche très directement, parce qu’elle nous fait percevoir comment nous sommes capables de déployer une inventivité et une force de travail considérables pour augmenter les revenus, pour augmenter l’argent disponible, pour augmenter le niveau de vie. Nous dépensons beaucoup moins d’énergie, beaucoup moins d’inventivité pour prospecter d’autres éléments de l’existence humaine qui sont aussi décisifs que leur apport économique.

En citant et en faisant l’éloge de cet intendant malhonnête, le Christ nous donne un élément de réflexion et une lumière sur la manière de conduire notre existence. « Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. » Si nous voulons être fils de la lumière, nous devons appliquer notre capacité d’intelligence, de réflexion, notre capacité d’action au bon endroit et à juste titre. Si nous sommes fils de la lumière, nous ne devons pas nous tromper sur les enjeux de l’existence humaine.

La mission de l’Église en ce monde n’est pas de construire un univers économique florissant. La mission de l’Église en ce monde est d’annoncer la Bonne nouvelle du salut et de mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour que cette Bonne nouvelle touche le plus grand nombre d’hommes et de femmes. Cette mission, elle l’accomplit selon l’orientation que lui donnent les commandements de Dieu, le message de l’Évangile et la doctrine de l’Église. Aujourd’hui, les lectures de l’Écriture, nous donnent deux points importants de référence pour orienter cette mission de l’Église.

Le premier point qui nous est proposé par le prophète Amos concerne la manière dont nous exerçons la justice dans la vie sociale et la manière dont nous sommes attentifs, non seulement à l’honnêteté élémentaire - ce qui n’est déjà pas si mal-, mais encore à la capacité de veiller quant à la pauvreté de nos concitoyens à engager les actions qui peuvent les aider à vivre honnêtement. C’est une question pour chacun d’entre nous dans son existence. C’est une question pour notre société à l’égard du monde. Pouvons-nous, comme le prophète Amos nous le dit, être de « ceux qui écrasent les malheureux pour anéantir les humbles du pays » (Am 8,4) ? Pouvons-nous être de ceux qui soumettent leur capacité de solidarité à l’intégrité de leur possession en biens ? Si nous sommes serviteurs de Dieu, nous ne pouvons pas mettre la protection de nos biens au-dessus de toute considération : on ne peut pas servir Dieu et l’argent. L’appel que Dieu nous adresse, non seulement pour l’équité et la justice, mais encore pour une meilleure solidarité entre les hommes, n’est pas un appel auquel nous pouvons répondre sans que cela nous coûte ! On ne peut pas se contenter de partager le superflu, surtout quand le superflu est en train de disparaître. Partager avec nos frères cela veut dire accepter qu’ils prennent quelque chose de ce que nous avons ; cela veut dire accepter que leur présence réduise le confort de notre propre existence, cela veut dire que nous ne pouvons pas laisser à la porte de notre prospérité des hommes et des femmes qui vivent dans la misère intégrale. Notre Église a la mission d’être témoin de ce message de Dieu. Cela ne veut pas dire que nous pouvons tout faire, mais cela veut dire que nous prenons notre part et que nous participons à l’effort commun pour plus de solidarité, plus d’accueil du pauvre, plus de volonté de partage.

La deuxième référence qui nous est donnée dans l’épître à Timothée concerne l’orientation de la vie communautaire des chrétiens. Ils sont appelés à faire « des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes » (1 Tm 2,1). Cela veut dire que chaque semaine, quand nous partageons l’eucharistie et que nous sommes invités à ce que l’on appelle la prière universelle, c’est-à-dire l’expression de notre manière de percevoir les besoins des hommes en la tournant en prière, nous accomplissons une mission. Pourquoi ? Parce que cette prière contribue à permettre à tous de « mener une vie tranquille et calme en toute piété et dignité ». Cette prière d’intercession s’appuie sur la conviction que l’unique Sauveur Jésus-Christ regarde avec amour l’humanité entière, que l’unique Sauveur nous appelle à partager ce regard sur l’humanité, que l’unique Sauveur nous invite à entrer dans son action de miséricorde.

Ainsi, frères et sœurs, chacune de nos communautés chrétiennes est invitée à prier pour l’humanité entière, et à travers cette prière à fortifier sa résolution de contribuer à une meilleure existence de l’humanité entière et à la volonté d’annoncer à tous l’unique Sauveur Jésus-Christ.

Au moment où je vous présente et où j’installe le nouveau curé de votre paroisse, je souhaite que cet événement soit l’occasion pour votre communauté de raviver le dynamisme de sa foi, la vigueur de sa prière, l’efficacité de sa charité, la volonté d’annoncer Jésus-Christ à tous et le désir de ne servir qu’un seul maître, non pas l’argent mais Dieu.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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