Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Divine liturgie à la paroisse grecque-melkite de St Julien-le-Pauvre
Dimanche 23 octobre 2016 - St Julien-le-Pauvre (Paris Ve)
En délivrant un homme possédé de nombreux démons, Jésus manifeste sa puissance et révèle une espérance à l’égard de ceux qui sont soumis aux forces du mal et de la mort. Il peut apporter la libération à tout homme. A nous qui sommes les disciples du Christ, il incombe d’en témoigner auprès des hommes.
Ep 2,4-10 ; Lc 8, 27-39
Frères et Sœurs,
C’est une grande joie pour moi de célébrer aujourd’hui l’eucharistie du dimanche dans votre communauté, en communion avec le Patriarche Grégoire. Je prie Mgr Maalouf de lui transmettre mes salutations très fraternelles, en sachant combien sa parole qu’il transmet régulièrement, contribue à fortifier le courage des fidèles catholiques et plus largement le courage des chrétiens en Orient, en même temps qu’il répand une lueur d’espérance dans une situation dont certains pourraient penser qu’elle est totalement désespérée.
Les événements des semaines passées que vous suivez avec beaucoup d’attention montrent que la violence n’est pas encore surmontée dans cette terre qui vous est si chère. Ils nous montrent aussi que la cohésion, la collaboration des hommes de bonne volonté peut parvenir à surmonter un certain nombre d’obstacles, même si les victoires relatives et successives dont les médias se font l’écho, ne solutionnent pas la dramatique situation de nos frères chrétiens. Elle apporte cependant l’espérance que, peu à peu, des territoires vont être libérés de l’emprise de DAESH. Cette libération à laquelle tous aspire n’est pas la fin des problèmes, elle est l’ouverture d’une nouvelle période où il faudra mettre à l’épreuve la capacité de s’entendre et de construire ensemble de nouvelles manières de vivre.
L’évangile que nous venons d’entendre éclaire d’une façon particulière la situation que nous connaissons. En effet, ce passage nous rapporte l’une des premières incursions de Jésus en territoire païen, là où on élève des porcs ; ce qui n’était évidemment pas le cas en terre d’Israël. Cette incursion en territoire païen se concrétise et est symbolisée par la rencontre de Jésus avec cet homme possédé par une légion de démons. Cet homme, dont l’exclusion de sa propre société, la nudité dans laquelle il vit, le refuge qu’il a trouvé au séjour des morts dans les cimetières, est évidemment l’image violente de l’état dans lequel se trouvent ceux qui sont sans Dieu, abandonnés aux forces du mal et de la mort. Cette rencontre avec Jésus va permettre au Christ de manifester comment le salut qu’il est venu apporter n’est pas simplement réservé à l’accomplissement de l’alliance avec Israël, mais s’applique au-delà des frontières du peuple élu, à toutes les nations.
Cet acte de délivrance que le Christ accomplit, qui reste mystérieux aux yeux de tous, est cependant une révélation et une espérance. Il montre que là où Jésus apparaît, là où il agit, tout homme peut être délivré des démons, de la violence et du rejet social. Tout homme, quels que soient le nombre et la puissance des esprits mauvais qui l’habitent, peut être libéré et retrouver, ou trouver, une vie normale au milieu des siens. Nous pourrions évidemment croire naïvement que cette espérance remplit tout le monde de joie et nous découvrons pourtant avec stupeur que les habitants des alentours, plus inquiets de perdre leurs porcs que d’être délivrés de leurs démons, montrent un attachement qui n’est pas exactement celui auquel nous aurions pensé... Mais leur réaction est aussi significative pour notre propre expérience.
Combien aujourd’hui dans le monde, préfèrent sauver le peu qu’ils ont, ou ce qu’ils ont en grande quantité, combien préfèrent sauver ce qui paraît un trésor à leurs yeux plutôt que de le risquer dans une relation de libération qui les dépouillerait de leurs propriétés ? Combien, préfèrent souffrir avec les démons plutôt que d’être libérés par le Christ ?
La mission qui nous incombe en ce temps, nous qui sommes disciples de Jésus, c’est de suivre la consigne que le Christ donne à cet homme libéré. Il ne s’agit pas de fuir notre monde pour aller jouir d’une paix heureusement gagnée auprès du Christ en abandonnant les hommes. La consigne que Jésus donne à cet homme, c’est de retourner auprès des siens pour témoigner de ce que Dieu a fait pour lui. C’est la consigne que nous recevons nous aussi, chaque fois que nous avons la grâce de rencontrer le Christ et d’être touchés par la puissance de sa délivrance, chaque fois que nous sommes rassemblés, comme nous le sommes aujourd’hui, pour célébrer la résurrection du Christ et sa victoire sur la mort. Nous ne sommes pas rassemblés pour déserter les angoisses du monde, mais pour puiser dans notre communion au Christ la force de devenir, nous aussi, témoins de ce que Dieu a fait pour nous. Nous en sommes convaincus, les forces que nous pouvons rassembler, l’espérance qui peut nourrir notre vie, la détermination qui nous engage dans les combats de ce monde ne sont pas le fruit de nos efforts et de nos mérites, c’est le fruit de la grâce de Dieu. C’est parce que Dieu a visité son peuple que nous pouvons traverser dans la paix les tumultes de la guerre. C’est parce que Dieu a visité son peuple que nous pouvons affronter les combats démoniaques qui agitent l’humanité.
Ainsi, frères et sœurs, je voudrais aujourd’hui vous réconforter dans cette espérance, vous fortifier dans la certitude que Dieu n’abandonne jamais ceux qui se confient en lui, et vous inviter à devenir témoins de cette certitude de la fidélité de Dieu en annonçant à vos frères ce que Dieu a fait pour vous.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.