Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 31e dimanche du Temps ordinaire – Année C
Dimanche 30 octobre 2016 - Notre-Dame de Paris
La rencontre de Jésus et de Zachée est révélatrice de l’attitude intérieure des hommes à l’égard de Dieu. Face à la curiosité de Zachée, c’est Jésus qui prend l’initiative et s’invite chez lui. L’eucharistie est l’expression sacramentelle de cette venue du Christ chez nous. Il vient chez les pécheurs exercer la miséricorde. Nous sommes invités à renouveler nos dispositions intérieures pour l’accueillir.
– Sg 11,23 – 12,2 ; Ps 144, 1-2.8-11.13-14 ; 2 Th 1,11 – 2,2 ; Lc 19, 1-10
Frères et Sœurs,
Parmi les rencontres que les évangiles nous rapportent entre Jésus et diverses personnes, cette rencontre avec Zachée est sans doute l’une des mieux connues de la plupart d’entre nous. C’est aussi peut-être, celle qui est le mieux à-même d’illustrer le message particulier de cette Année jubilaire de la miséricorde. Elle nous indique comment nous pouvons nous-mêmes entrer dans ce chemin de la miséricorde.
L’évangile de Luc nous présente Zachée comme un pécheur public, non pas forcément en raison de fautes morales particulières, mais d’abord en raison de son statut de publicain et de sa profession, il est collecteur d’impôts. Comme tel, pour les Juifs pieux et fidèles aux commandements, il n’était pas question de fréquenter les pécheurs publics. Aussi, le salut universel dont Israël était porteur pour la gloire de Dieu et pour l’avenir du monde, était comme fermé a priori par la manière de classer les gens dans la société et de rendre impossible leur accès à la miséricorde. Ce publicain était riche, comme beaucoup de collecteurs d’impôts, sans doute en raison des prélèvements qu’il pouvait faire sur les impôts qu’il percevait à destination de l’Etat. Il était riche et pourtant sa richesse ne lui servait à rien pour s’approcher de Jésus parce qu’il était de petite taille. Nous voyons cet homme, sans doute curieux de voir de ses yeux ce prophète dont tout le monde parle, ce thaumaturge qui s’est fait connaître par ses miracles. Pour satisfaire sa curiosité, il cherche un moyen, se précipite en avant et monte dans un sycomore. Cet épisode imagé nous aide à comprendre comment l’Évangile veut nous faire ressortir l’attente de Zachée. On ne sait pas si Zachée croyait vraiment au Christ. On ne sait pas s’il reconnaissait en lui le Fils de Dieu, mais on sait qu’il était curieux et qu’il cherchait à le connaître. C’est sur cette curiosité, ce désir de connaître Jésus que commence la relation qui va s’établir entre Zachée et Jésus.
Tant d’hommes et de femmes autour de nous aussi, peuvent s’interroger, être curieux, regarder avec intérêt, quelquefois avec naïveté, certaines émissions de télévision qui annoncent qu’elles vont révéler les secrets cachés par la Bible depuis plusieurs millénaires… Ce sont en général des résidus de recherches anciennes mais qui captivent toujours l’auditoire ! Il y a donc une curiosité, on veut savoir, on veut voir, alors on essaye de monter comme on peut pour surplomber la foule, comme Zachée le fait dans son sycomore. C’est à cet instant du récit que bascule la relation avec Jésus. Cette recherche, cette curiosité, ce désir de le voir et de le connaître, nous montrent des dispositions positives dans le cœur de Zachée. Mais ce qui va tout changer, c’est l’initiative que Jésus va prendre en s’arrêtant au pied de ce sycomore et en disant à Zachée : « aujourd’hui Zachée, c’est chez toi que je vais descendre » (Lc 19,5) – « aujourd’hui », maintenant, c’est chez toi que je vais aller. Cette parole du Christ déborde de toutes sortes de façons ce que Zachée pouvait espérer de ses pauvres efforts pour le voir et essayer de le connaître. Non seulement il le voit, non seulement il l’entend, mais il l’entend s’inviter chez lui, prendre place dans sa maison, au scandale de ceux qui sont témoins de la scène. Comment peut-il aller manger chez un pécheur ? Et voici que nous, pécheurs que nous sommes, nous sommes touchés au cœur par ce regard, par cette parole du Christ : « aujourd’hui, c’est chez toi que je veux demeurer ». Peut-être es-tu venu ici sans trop savoir, sans être trop sûr de savoir si tu crois. Peut-être es-tu venu ici sans être tout à fait convaincu, mais avec cependant assez de curiosité pour te demander : qu’est-ce que Jésus, aujourd’hui, représente dans notre monde, avec suffisamment de questions pour prendre le temps d’entrer, de t’asseoir et d’écouter ? La parole que le Christ vous adresse n’a pas pour but de satisfaire votre curiosité, mais de vous dire : c’est chez toi que je veux demeurer, chez toi, tel que tu es, dans ton péché, dans tes erreurs, mais aussi dans ton désir de mieux vivre, dans ta recherche de la vérité. C’est à ta table que je viens m’asseoir.
Aussi, quand nous célébrons l’eucharistie, alors que nous avons conscience de venir nous asseoir à la table du Seigneur, nous devons découvrir que c’est lui qui vient s’asseoir à notre table. Il n’est pas extraordinaire que nous venions, nous, vers lui. Il n’est pas extraordinaire que nous nous posions des questions, que nous cherchions à mieux le connaître, que nous ayons quelques prières au fond du cœur, que nous ayons quelques paroles balbutiantes à lui dire : c’est ce qui monte du cœur des hommes depuis des siècles ! Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il vient à nous. Ce qui est extraordinaire, ce n’est pas que nous soyons montés sur notre sycomore pour venir à lui, c’est que lui nous regarde et décide de venir à nous.
Oui, nous allons partager la même table, mais ce n’est pas nous qui recevons le Christ, c’est lui qui nous reçoit à sa table, c’est lui qui vient partager le pain des pécheurs, partager leur vie. C’est pourquoi, au scandale de ceux qui le voient ainsi faire table commune avec ce pécheur public, Jésus dit : « le salut est arrivé pour cette maison, lui aussi est un fils d’Abraham » (Lc 19,9). Tout publicain qu’il est, tout pécheur qu’il est, il entre dans le peuple élu, il devient fils d’Abraham, car « le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10). Quelle plus belle illustration du jubilé de la miséricorde pouvons-nous posséder que cette manifestation de la tendresse et de la puissance de Dieu qui vient se faire faible avec nous, qui vient partager notre misère, qui vient s’installer chez nous pour que nous puissions partager sa table ?
Ainsi, frères et sœurs, cette rencontre de Zachée et du Christ éclaire pour chacun de nous le chemin dans lequel nous sommes invités à progresser : mobiliser d’abord toutes nos capacités d’écouter, d’appel, d’attente à l’égard du Christ. Avoir la simplicité, quelles que soient nos richesses - qui ne sont pas évidemment nécessairement financières - quelles que soient nos richesses humaines, quelles que soient nos ressources personnelles, avoir la simplicité de reconnaître que nous ne pouvons pas le trouver tout seuls. Nous avons besoin de monter pour voir par-dessus la tête des autres ! Notre petite taille nous appelle à chercher des appuis et ensuite à ouvrir notre cœur à la parole que le Christ nous adresse : « aujourd’hui c’est chez toi que je vais demeurer ». Chez vous, pensez à cette parole du Christ : il vient demeurer dans votre maison, il vient partager votre toit, il vient partager votre table, et donc il vous appelle comme Zachée a été appelé à répondre à cette visite du Christ par la conversion de votre vie. Oui, Zachée fait don aux pauvres de la moitié de ses biens, et s’il a fait du tort à quelqu’un, il va lui rendre quatre fois plus. Alors, soyez dans la joie car aujourd’hui le salut est arrivé dans votre maison et il a fait de vous des fils d’Abraham.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.