Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame de Grâce de Passy- Épiphanie du Seigneur – Année A
Dimanche 8 janvier 2017 – Notre-Dame de Grâce de Passy (Paris XVIe)
La rencontre des Mages avec le Christ représente le désir de recherche de la vérité de la part de ceux qui n’ont pas été touchés par la révélation. La manifestation du Christ s’adresse donc à toutes les nations et à toutes les cultures. La foi ne consiste pas à imposer à tous la culture européenne mais à reconnaître la part de vérité contenues dans les autres traditions. Face aux difficultés de rencontre des cultures et des religions, le disciple du Christ est invité à se garder des confrontations stériles et à devenir une espérance, une lumière, une étoile dans la nuit.
– Is 60, 1-6 ; Ps 71 ; Ep 3,2-3.5-6 ; Mt 2,1-12
Frères et Sœurs,
En célébrant la vénération des mages devant le Christ, l’Église nous invite à pénétrer progressivement dans le mystère qui a commencé à se manifester par la naissance de Jésus à Bethléem. Comme saint Paul nous le disait dans l’épître aux Éphésiens, ce mystère qui n’avait pas été porté à la connaissance des générations passées a été maintenant révélé par l’Esprit. Ce mystère, c’est que cet enfant né à Bethléem est non seulement le Messie annoncé par les prophètes dans la tradition juive, telle qu’elle a été rappelée par les anges dans la nuit de Bethléem, mais il est aussi un roi connu hors de la tradition juive par les hommes qui cherchent la vérité. Ces mages venus d’Orient représentent les Nations qui ont prospéré et se sont développées en dehors de la tradition du Judaïsme et qui ne la partagent pas. Ils sont venus, non pas guidés par les prophètes mais par une étoile qui symbolise leur capacité à réfléchir sur le monde et à découvrir des chemins de vie à travers la sagesse humaine. Certes, ils ne connaissent pas encore la réalité complète devant laquelle ils vont se trouver, mais ils sont suffisamment motivés dans la recherche de la vérité pour accomplir ce long chemin à la quête de celui que l’étoile va leur désigner.
Dans ces mages, la tradition chrétienne a donc identifié les Nations à la recherche de Dieu, les hommes et les femmes de bonne volonté qui cherchent à vivre selon leur conscience et à progresser dans la voie du bien. Elle a identifié ceux qui sont conduits vers le Christ par un chemin différent de la tradition juive. C’est pourquoi nous identifions cette célébration de l’Épiphanie à la manifestation du Christ à toutes les nations, au-delà de Jérusalem. C’est pourquoi nous identifions dans la rencontre des mages avec Jésus et sa mère, la rencontre des nations païennes avec la manifestation du Christ.
Ce mystère révélé dans l’Esprit tel que Paul nous l’a rappelé, évoque pour la plupart d’entre nous qui ne sommes pas nés dans la tradition juive, le chemin par lequel nous avons été conduits au Christ. Tous, juifs et païens, sont associés dans la même vénération de Jésus pour reconnaître comment Dieu s’est manifesté aux hommes. Cette manifestation ne se limite ni à Bethléem, ni à Jérusalem, ni au territoire d’Israël, mais elle est ouverte à tous les peuples de la terre.
Nous savons bien que cette formule « tous les peuples de la terre » prend une résonnance différente selon les époques. Dans le cadre de l’Empire Romain, le monde entier, c’est la Méditerranée. Dans le cadre du XXIe siècle, nous savons que le monde entier, c’est beaucoup plus que la Méditerranée, c’est un univers de cinq continents dans lequel, par le travail persévérant des missionnaires de toutes les générations, l’Évangile est parvenu aux confins de l’univers habité. La parole du Christ, la présence du Christ, l’appel du Christ, touchent aujourd’hui toutes les nations de la terre, de façon plus ou moins importante statistiquement mais de façon significative pour tous. Nous ne sommes plus, nous, Europe de tradition chrétienne, le seul foyer d’annonce de l’Évangile. Mieux encore, nous apprenons à découvrir grâce aux moyens de communication modernes que l’Évangile a produit des fruits partout dans le monde et nous sommes invités, à la suite des mages, à nous ouvrir à cette fécondité de l’Évangile qui échappe à nos propres mesures. L’ouverture de la révélation de Dieu aux peuples de la terre est pour nous une espérance : elle signifie que notre connaissance du Christ, notre désir de suivre le Christ, notre volonté de devenir disciples du Christ implique par elle-même l’ouverture à l’accueil de toutes les cultures du monde.
Tout au long du XIXe et du XXe siècle, cette ouverture aux cultures du monde a été réalisée par l’extension des communautés chrétiennes à travers la terre. Elle a été réalisée aussi par la réflexion de l’Église au long de ces deux siècles sur le rapport entre foi et culture. La foi chrétienne ne consiste pas à imposer la culture européenne aux nations païennes. Elle consiste à reconnaître la part de vérité qui existe dans toutes les cultures du monde et à entraîner dans cette prise en considération l’ouverture réellement universelle de l’annonce de l’Évangile.
Aujourd’hui, les circonstances font que, dans notre pays, la tentation est forte d’imaginer que nous pouvons entrer dans une sorte de confrontation avec d’autres croyances et d’autres visions du monde. L’exemple des mages et la manière dont l’Écriture nous présente leur rencontre avec le Christ nous invitent à comprendre que la rencontre d’autres cultures, d’autres croyances n’est pas d’abord un danger pour la foi mais une opportunité de vérifier dans les actes, dans les comportements, dans la manière de vivre, comment nous sommes convaincus que le Christ auquel nous croyons, est vraiment le roi du monde. C’est par sa puissance et par le rayonnement de sa parole que la concorde peut progresser entre les hommes et non pas dans la confrontation stérile. Là où des fanatiques veulent utiliser la religion comme moyen de division des peuples, les disciples du Christ veulent manifester que leur foi en Jésus est un facteur de réconciliation, de concorde et de paix. Nous ne pouvons progresser dans cette mise en œuvre de l’universalité de la parole du Christ que si nous sommes capables de surmonter les réflexes spontanés, et forcément irréfléchis, qui peuvent nous habiter dans les épreuves que nous traversons. Nous ne sommes pas entrés dans la guerre des civilisations, nous ne sommes pas entrés dans la guerre des religions, nous vivons simplement, selon les données de notre temps, la rencontre de la manifestation du règne du Christ face à des hommes, à des femmes, à des croyances, à des cultures, qui ne le reconnaissent pas et même, qui parfois le combattent. Le disciple de Jésus, chrétien de ce temps, n’est pas un combattant contre les cultures et les croyances, il est une espérance, une lumière, une étoile pour permettre aux hommes et aux femmes de bonne volonté d’échapper à la torsion de l’esprit qui les conduirait à identifier la foi en Dieu à un argument de combat humain.
Le Seigneur nous fait la grâce de manifester à nos yeux que la rencontre de la révélation divine avec les cultures humaines n’est pas simplement un thème de colloque et de réflexion, mais qu’elle est le lieu propre où nous sommes invités à entrer dans la suite de notre Sauveur qui est prêt à accueillir l’hommage des nations, pourvu que celles-ci soient vraiment à la recherche de la vérité et de la paix.
Prions le Seigneur qu’il nous donne la force et la constance pour affronter cette situation avec la sérénité et la foi, et non pas sous la pression de l’esprit de vengeance et de violence. Oui, aujourd’hui, des hommes et des femmes découvrent le Christ dans notre pays, dans notre Église, dans notre culture. Des hommes et des femmes sont appelés à reconnaître qu’il est venu établir la paix sur la terre. Des hommes et des femmes sont appelés à retourner à leur existence par d’autres chemins, par des chemins nouveaux où ils vont rencontrer la personne de Jésus. Prions pour que ces hommes et ces femmes touchés par la lumière de la vérité, aient la force de prendre les décisions qui orienteront leur vie vers le bonheur et prions pour que nous-mêmes nous soyons transformés de l’intérieur pour être vraiment une étoile qui brille dans la nuit.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.
Photo © Jean-Michel Touche