Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame de Paris – Épiphanie du Seigneur
Dimanche 8 janvier 2017 - Notre-Dame de Paris
Les mages d’Orient représentent les nations associées à la manifestation du Fils de Dieu et qui n’appartiennent pas à la Tradition d’Israël. C’est en recourant à la sagesse humaine qu’ils ont cheminer dans la recherche de la vérité. Alors que l’évangile a été annoncé significativement à notre époque à toutes les nations, beaucoup refusent encore le Christ. Sans entrer dans des guerres de civilisation, les disciples du Christ sont appelés à annoncer la bonne nouvelle en reconnaissant la part de vérité inscrite dans les autres cultures et traditions, et en respectant la liberté de chacun.
– Année A
– Is 60, 1-6 ; Ps 71 ; Ep 3,2-3.5-6 ; Mt 2,1-12
Frères et Sœurs,
Les trois mages venus des lointains pays de l’Orient en suivant l’étoile qu’ils avaient aperçue, représentent dans la tradition chrétienne le symbole des nations qui sont associées à la manifestation du Fils de Dieu. Dans la nuit de Bethléem, les bergers, avertis par un ange, ont entendu l’annonce de la venue du Sauveur comme l’accomplissement de la promesse faite à Israël et transmise en Israël de générations en générations. Ces trois mages n’appartiennent pas à la tradition d’Israël, ils ne sont pas venus guidés par les prophètes mais par les signes qu’ils ont perçus alors qu’ils scrutaient le ciel à la recherche de la vérité. Tels des sages qui mettent en œuvre leur capacité de comprendre et d’interpréter les signes, ils se sont mis en chemin sans savoir vers qui ils allaient, sinon en sachant qu’un roi devait naître en Israël au moment où paraîtrait cette étoile. Ils sont ainsi les représentants des multitudes d’hommes et de femmes qui n’ont pas reçu l’annonce de la venue du Messie de la bouche des prophètes, et qui se sont tournés vers lui en creusant, par eux-mêmes, dans le fond de la sagesse humaine, les forces pour venir à la rencontre de la vérité. Ils représentent les multitudes d’hommes et de femmes de bonne volonté qui cherchent de toutes sortes de façons quels pourraient être les chemins pour parvenir à une meilleure manière de vivre - ce qui sera appelé dans l’antiquité grecque et latine, la philosophie : la réflexion humaine sur le destin de l’homme. Cette réflexion humaine les conduit vers Israël, et plus précisément à Jérusalem, où ils vont tout de même indirectement, par le truchement d’Hérode le Grand, bénéficier de l’annonce prophétique qui désigne Bethléem comme le lieu de la naissance du grand roi.
Cette rencontre de la sagesse humaine et de la révélation divine qui s’opère par la médiation de ces hommes venus des lointaines cultures orientales à la rencontre de la tradition juive, éclaire ce que nous sommes aujourd’hui appelés à vivre. Nous nous réjouissons en ce jour de l’Épiphanie de célébrer la manifestation universelle du Christ, comme saint Paul nous y invite dans l’épître aux Éphésiens. Le mystère qui n’avait pas été révélé aux générations précédentes est devenu accessible à tous par la puissance de l’Esprit qui envoie des apôtres et des prophètes pour annoncer le Christ.
Au moment où saint Paul annonce la publication de ce mystère, l’univers connu se limite en gros au Bassin méditerranéen. Aujourd’hui, au XXIe siècle, l’univers connu que nous habitons, et dont nous avons des échos de toutes sortes de façons par les moyens de communication modernes, couvre cinq continents, une multitude de cultures. Certaines cultures très anciennes et profondément enracinées dans les peuples qu’elles ont produits, ont été touchées par l’évangile grâce au travail inlassable de générations et de générations d’hommes et de femmes qui sont partis en mission à travers le monde sur les cinq continents. Certes, de façon inégale du point de vue statistique mais de façon significative, si bien qu’aujourd’hui, nous pouvons dire que l’annonce de l’évangile a touché toutes les nations. Nous savons que le chemin est encore long pour que tous les hommes et toutes les femmes reconnaissent dans le Christ celui qui est le maître de l’histoire humaine, mais ce chemin est ouvert, et beaucoup déjà s’y sont engagés.
Nous-mêmes, trop volontiers habitués à croire que la révélation était épuisée par l’évangélisation de l’Europe, nous découvrons chez nous, sur notre terre, des hommes et des femmes qui sont étrangers à cette révélation, qui n’ont rien connu du Christ, ou qui ont appris à le rejeter et à le combattre. Si nous étions simplement les partisans d’un groupe particulier prêt à s’enrôler dans un combat contre des groupes adverses, nous pourrions nous laisser entraîner dans ce que l’on appelle volontiers « la guerre des civilisations », mais nous ne sommes pas les représentants d’un parti, ni même d’une civilisation, nous sommes les porte-paroles de la révélation de Dieu à l’humanité. Nous ne cherchons pas à étendre ce que nous appelons la civilisation européenne à l’ensemble du monde. Nous cherchons à annoncer le Christ à tous les hommes sur cette terre et à leur annoncer, dans leur culture, puisque la réflexion de l’Église au cours des deux siècles écoulés nous a aidés à mieux comprendre comment l’annonce de l’Évangile, loin de rejeter des cultures étrangères, était capable de recueillir ce qu’il y avait de meilleur et de plus vrai dans toutes les recherches de la sagesse humaine. Ainsi, les chocs, les confrontations, les luttes, qui se parent des habits de la religion, ne doivent pas nous faire illusion. Nous ne sommes pas les combattants croisés d’une religion contre une autre. Nous sommes les porte-paroles du prince de la paix venu annoncer la Bonne nouvelle à tous, et qui plus est : l’annoncer en respectant la liberté de chacun de l’accueillir et d’y adhérer, ou de la négliger ou même de la rejeter.
C’est pourquoi cette fête de l’Épiphanie est pour nous un moment de grande espérance, car elle annonce le rassemblement de l’humanité dans le Christ tel qu’il a été annoncé. Elle est en même temps une mission car elle demande de notre part la capacité de reconnaître ce qui est bon dans la recherche des hommes, d’oser annoncer le Christ à tous, et de respecter la liberté humaine de ceux à qui nous l’annonçons.
Que le Seigneur nous donne la force de vivre ce témoignage de la foi et la sérénité pour assumer les violences ou les contradictions qui en découlent. Qu’il fasse de nous des témoins de la paix.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.