Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Obsèques de Mgr François Fleischmann à Notre-Dame
Notre-Dame de Paris - Vendredi 2 février 2018
Ep 1,3-14 ; Ps 129 ; Mc 14,32-42
Frères et Sœurs,
François Fleischmann, comme chacun d’entre nous, a vécu son existence humaine sous la lumière de la volonté de Dieu. Mais, comme nous venons de l’entendre, la manière dont nous percevons cette volonté de Dieu peut être très diverse. La méditation que Paul adresse aux Ephésiens exalte et développe le plan général de Dieu sur l’humanité. Celui-ci semble avoir tout conçu et tout organisé pour se susciter des fils adoptifs à travers une humanité défaillante. Nous voyons là se développer une lecture, non seulement de l’histoire du monde à travers les péripéties douloureuses que tous connaissent, mais aussi une lecture de chacune de nos existences personnelles qui se construisent laborieusement à travers une série d’événements dont beaucoup échappent à notre maîtrise, mais dont la foi nous donne le sens qui consiste à construire en nous cette personnalité de fils adoptif de Dieu.
Et puis, pour chacune et pour chacun, il y a les moments décisifs où notre liberté personnelle est sollicitée par la volonté de Dieu et où nous sommes invités à répondre par l’acquiescement de notre liberté à cette volonté générale de Dieu sur l’humanité qui se réalise à travers les événements qui nous arrivent à nous, personnellement. C’est ce que l’agonie de Jésus au Jardin des Oliviers met en œuvre dans sa liberté de Fils soumis à la volonté de son Père, combat ultime de son existence terrestre, combat décisif où sa liberté humaine, offerte à la volonté de Dieu ouvre pour tous les hommes le chemin de la filiation divine. Chacune et chacun d’entre nous, de toutes sortes de façons, est confronté au long de sa vie aux mêmes questions radicales. Chacune et chacun d’entre nous est sollicité à plusieurs reprises d’ouvrir sa liberté à la volonté de Dieu.
C’est la convergence de ces deux lectures de la volonté de Dieu qui nous aide à comprendre ce que nous sommes. Appelés à devenir fils adoptifs dans le Christ par la puissance de l’Esprit, nous entrons dans cette filiation par les épreuves humaines que nous réserve notre existence. La certitude dans laquelle nous sommes que Dieu accomplit son projet à travers les siècles, constitue notre espérance pour surmonter les difficultés quotidiennes auxquelles nous sommes affrontées. Elle constitue notre force pour répondre avec liberté à l’appel de Dieu.
Comme chacun d’entre nous, François Fleischmann a vécu cette tension entre la dureté des événements et la sécurité de la foi. Très jeune, éprouvé par la mort accidentelle de ses parents, il est confronté à un événement qui le marquera pour toute sa vie et qui sera vraiment une épreuve de la mort. Cet épreuve, assumée dans l’affection des siens, va aussi le construire, creuser en lui une gravité réelle et une réelle capacité d’empathie envers ceux qui souffrent. Sollicité pour devenir prêtre de l’Église, sa liberté s’est offerte dans la liberté du Christ pour que sa vie soit au service de ses frères. Ce service, il l’a accompli en assumant pour lui-même l’obéissance du Fils unique et en acceptant par amour les tâches qui lui ont été confiées, si diverses qu’elles aient été, depuis l’aumônerie de jeunes, l’enseignement, le service dans les paroisses, et en particulier Sainte-Odile, Saint-Pierre de Chaillot, Sainte-Jeanne-de-Chantal, et puis le service du Saint-Siège, la responsabilité de Saint-François-Xavier, puis enfin la charge de Chancelier du diocèse de Paris. A travers toutes ces missions, il y a un fil rouge qui continue : celui de l’adhésion et de l’obéissance du cœur devant des services qu’il n’a pas convoités mais qu’il a acceptés avec générosité. C’est dans ce chemin de générosité et d’obéissance qu’il voyait s’accomplir la promesse de l’épître aux Ephésiens : être consacré par l’Esprit pour devenir vraiment un fils adoptif de Dieu.
C’est dans cette générosité qu’il s’est donné aussi dans des ministères qui ne lui étaient pas nécessairement demandés, mais auxquels il a pris un grand intérêt et qu’il assumait avec beaucoup de fidélité dans les Equipes Notre-Dame.
C’est dans cette même générosité que son tempérament personnel, sa sensibilité artistique se sont exprimés dans sa capacité de s’émerveiller de ce qu’il voyait, de ce qu’il comprenait, de ce qu’il entendait, et de ce qu’il pouvait transmettre.
Au moment où nous célébrons cette ultime liturgie, nous pouvons rendre grâce à Dieu de ce que le chemin parcouru par François Fleischmann n’est pas simplement un chemin individuel, mais la marque d’un chemin auquel tous nous sommes invités à nous associer, en accueillant dans les événements et les circonstances de notre vie, des signes de la volonté de Dieu, en ouvrant notre cœur à l’obéissance de fils adoptif du Père, et en adhérant avec générosité à ce qu’il nous demande, pour qu’à travers chacune de nos existences, quelque chose du grand dessein d’amour de Dieu s’accomplisse pour nous-mêmes et pour tous les hommes.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.