Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à la Maison Saint-Augustin (Paris 12e)
Lundi 9 décembre 2019
– Solennité de l’Immaculée Conception
- Gn 3,9-15.20 ; Ps 97,1-4.6 ; Ep 1,3-6.11-12 ; Lc 1,26-38
Dans une année de formation spirituelle et de discernement de vocation, le dialogue entre l’ange et Marie prend évidemment un intérêt plus vif que dans d’autres périodes de notre vie. La tentation est grande de rejouer pour notre compte le dialogue entre l’ange et Marie. Mais nous savons bien que nous ne sommes pas Marie et que nous ne sommes pas sans péché… Nous savons que notre liberté n’est pas tout entière purifiée. L’appel que Dieu peut nous adresser risque de frapper en des points de notre personnalité qui ne sont pas tous encore complètement convertis ! Ainsi, au lieu que ce dialogue entre l’ange et Marie nous remplisse d’espérance, motive notre prière et notre cheminement dans la réponse à Dieu, il peut entraîner un effet contraire.
Puisque nous ne sommes pas sans péché, nous ne pouvons pas nous identifier à Marie ; sans compter la difficulté d’identifier l’ange, ce qui est une autre question encore plus difficile… Qui est le porte-parole de Dieu pour nous ? Peut-être que nous pourrions progresser dans la liberté de notre réponse si nous acceptons de prendre un peu de distance par rapport à ce dialogue entre l’ange et Marie et en tout cas de l’éclairer et de le comprendre à la lumière de ce que nous disent les Ecritures. Dans ce dialogue interpersonnel, il y a un enjeu qui dépasse les personnes. Dans ce dialogue interpersonnel, il y a l’enjeu de l’accomplissement de la volonté de Dieu, non pas simplement sur Marie, non pas simplement sur chacun d’entre nous, mais sur l’humanité entière.
Ainsi, nous ne pouvons comprendre la profondeur de ce dialogue entre l’ange et Marie qu’à la lumière du choc originel dont le livre de la Genèse nous a rappelé les circonstances. A la lumière de ce premier refus et à la lumière du plan conçu par Dieu depuis les origines, comme nous le rappelait l’épître aux Ephésiens, Dieu nous a choisis dans le Christ avant la fondation du monde. Cela signifie que le temps du péché, le temps de l’histoire est inclus dans une vision beaucoup plus large : c’est la bénédiction de Dieu donnée avant la fondation du monde pour que nous soyons saints et immaculés devant lui dans l’amour, que le nous soyons – nous les êtres humains en général – et chacun d’entre nous en particulier. Par conséquent, la Parole de Dieu que nous recevons par toutes sortes de moyens divers depuis l’Ecriture jusqu’à la parole de l’Esprit Saint dans notre cœur, en passant par la Parole de l’Église que nous entendons si fréquemment et si fortement, cette Parole de Dieu est comme une sorte de rappel du cadre général dans lequel chacune de nos existences particulières est située. Notre liberté y est sollicitée, non pas comme dans une sorte de combat perdu d’avance, où nous ne pourrions nous appuyer que sur nous-mêmes, mais dans un combat gagné d’avance par la miséricorde de Dieu et manifesté dans l’histoire des hommes par l’envoi de son Fils. Ainsi, ce qui domine le débat intérieur dans lequel chacun de nous est engagé tout au long de sa vie, ce n’est pas la crainte de ne pas être assez généreux, ce n’est pas la crainte d’être en-deçà de ce qu’il faudrait être, c’est la certitude que l’appel de Dieu inclut déjà notre réponse. Cette certitude est la paix de notre cœur. Quoi que nous fassions, quoi que nous disions, quoi que nous décidions, nous savons que nous sommes enveloppés dans ce manteau de miséricorde qui nous accompagne tout au long de notre vie.
Alors oui, nous pouvons croire réellement que même avec la pauvreté de notre existence, la pauvreté de nos moyens, la fragilité que nous pouvons éprouver à certains moments, nous pouvons nous appuyer sur la réponse de la Vierge Marie qui est une question : « Comment cela se fera-t-il ? » (Lc 1,34) et accueillir la réponse du Seigneur : « Rien n’est impossible à Dieu. » (Lc 1,37). Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris