Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Solennité de la Dédicace de la Cathédrale Notre-Dame de Paris

Mercredi 16 juin 2010

- Ap 21, 9b-14 ; Ps 83 ; 1 P 2, 4-9 ; Jn 10, 22-30

Frères et sœurs,

Si belle que fut Jérusalem, si imposant que fut le temple dont on célébrait la dédicace, celui-ci ne supportait pas la comparaison avec la vision de la « cité sainte qui descendait du ciel d’auprès de Dieu ». Si belles que soient nos églises -et notre cathédrale où nous célébrons cette fête de la Dédicace est parmi les plus belles, si artistiquement aménagée et enrichie au cours des siècles, si profondément habitée et investie par la prière de générations de fidèles qui s’y sont succédées, si largement visitée par tant de curieux au cours de l’année- elles ne soutiennent pas non plus la comparaison avec la Jérusalem céleste qui vient d’auprès de Dieu. Cette cité sainte ouverte aux quatre points cardinaux comme signe de l’ouverture de l’alliance d’Israël avec les peuples du monde, fondée sur les douze apôtres et incluant des douze tribus d’Israël, est évidemment présentée par le voyant de l’Apocalypse non pas comme une figure de nos bâtiments, mais comme une figure de l’Église qui est le peuple que Dieu choisit, qu’il fonde sur les douze apôtres et qu’il ouvre à l’universalité du monde.

Cette Église appuyée sur la pierre angulaire qui est le Christ, composée de la foule innombrable des disciples du Seigneur baptisés et confirmés dans l’Esprit-Saint, structurée par les charismes, les missions et les ordres qui l’organisent : les hommes et les femmes consacrés, les diacres, les prêtres, les évêques, ce peuple immense structuré pour mener à bien la mission du Christ à travers les âges, nous en sommes aujourd’hui un petit échantillon, une modeste réalisation pour ce temps qui est le nôtre.

Cependant, ce peuple nouveau engendré par la vie qui s’échappait du cœur percé du Christ et consacré par le don que l’Esprit est venu réaliser au jour de la Pentecôte, ce peuple nouveau qui vit de la communion du Père et du Fils à laquelle il participe par l’Esprit-Saint, ce peuple nouveau qui est constitué pour accomplir l’œuvre de Dieu en ce temps, comme l’évangile de saint Jean nous le rappelle, ne peut subsister en dehors de l’expérience de la réalité sacramentelle. Il n’est pas simplement une communion virtuelle ou une communion invisible qui rassemblerait une multitude de personnes qui ont fait un choix individuel, de sorte que chacun conduit sa vie selon qu’il l’entend. Quand l’épître de Pierre nous appelle à devenir « des pierres vivantes » dans « la pierre vivante » qui est le Christ, il nous invite évidemment à entrer dans une construction architecturale qui exclut de toute façon que les destinées personnelles puissent se conduire indépendamment de la communion qui construit l’Église. C’est ainsi qu’une multitude d’hommes et de femmes ont été conduits sur le chemin de la sainteté à travers les siècles, non pas parce qu’ils étaient particulièrement exceptionnels mais parce qu’ils ont découvert que l’accomplissement de leurs potentialités, de leur personnalité ne pouvait se réaliser pleinement que dans la communion intime avec le Christ et dans la communion permanente et dynamique avec le corps ecclésial.

Ainsi nos églises ne sont pas simplement des bâtiments imaginés pour la commodité du rassemblement, auquel suffisait d’ailleurs dans l’Antiquité les bâtiments publics qui n’avaient pas été conçus à cet effet et auquel suffirait aujourd’hui la location de quelques salles ici ou là. Si notre expérience séculaire a défini peu à peu une identité spécifique du bâtiment ecclésial, c’est précisément dans la mesure où l’exercice de la vie ecclésiale s’accomplit dans un geste sacramentel qui doit donner quelque chose à voir de la réalité invisible qu’il signifie. La réalité invisible, c’est notre communion dans la vie trinitaire, c’est notre organisation autour de la personne du Christ, c’est la mission qu’il nous confie de figurer en ce monde, la pierre de fondation de l’existence humaine. Cette réalité invisible devient visible à nos yeux par le rassemblement du peuple chrétien non seulement dans des lieux commodes mais dans des lieux signifiant du sens de l’Église, centrés sur l’autel qui figure le Christ et qui est le centre visuel et mystique de l’assemblée réunie, rassemblée aussi dans l’expérience de l’interdépendance entre la fidélité personnelle à l’Évangile et la progression du peuple de Dieu.

C’est cette expérience que nos églises nous permettent de vivre et de rendre visible au milieu de la cité. C’est pourquoi nous les consacrons non pas comme un lieu interdit mais plutôt comme un lieu ouvert qui appelle tous les hommes à découvrir l’Alliance proposée par Dieu et qui fournit les moyens d’y entrer et d’y vivre. C’est évidemment non seulement une représentation architecturale et esthétique qui nous est proposée, mais aussi une représentation du sens de l’existence chrétienne et de la vie que nous sommes appelés à mener au milieu des hommes. Tout entière centrée sur la communion au Christ, notre existence est ouverte à l’universalité du genre humain, du nord, du sud, de l’est et de l’ouest, pour témoigner au milieu des hommes de la bonne nouvelle offerte en Jésus-Christ, pour apporter le signe de la communion qui existe entre le Père et le Fils et que le Fils étend à ceux qui croient en Lui par le don de son Esprit, pour manifester comment cette foi en Dieu et cette écoute de la Parole de Dieu nourrie du Pain de Vie, donne à des hommes et à des femmes tout-à-fait ordinaires de mener une vie qui prend une forme exemplaire par leur fidélité aux commandements de Dieu, par leur fidélité au commandement de l’amour, par leur implication dans le service de leurs frères.

Frères et sœurs, en célébrant la fête de la Dédicace, c’est cet hommage que nous rendons, non pas au bâtiment de pierres, mais au peuple de Dieu dont le bâtiment de pierres n’est que la vision symbolique, mais dont la vocation est représentée dans le bâtiment par le Christ « pierre angulaire », présence réelle et active de la communion de l’amour pour tous les hommes. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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