Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe du 3e dimanche de Carême à la Maison Marie-Thérèse
Dimanche 7 mars 2021 - Maison Marie-Thérèse (14e)
– 3e Dimanche de Carême – Année B
- Ex 20,1-17 ; Ps 18B, 8-11 ; 1 Co 1, 22-25 ; Jn 2,13-25
Frères et sœurs,
En lisant ce passage de saint Jean, nous sommes tout à fait au début de l’évangile, juste avant de monter à Jérusalem pour la fête de la Pâque. Jésus a participé aux noces de Cana, réunion amicale et familiale où il a changé l’eau en vin et dont saint Jean nous dit que ce fut le premier des signes qu’il donna et que ses disciples crurent en lui.
En arrivant à Jérusalem et en chassant les marchands du Temple, Jésus donne un deuxième signe qui ne situe pas dans le même cadre. Il ne s’agit plus de l’intimité d’une fête familiale mais de la grande festivité de la Pâque à Jérusalem. On n’est plus dans le petit cercle des amis, on est sur la place publique. Ce signe donné sur la place publique veut dire quelque chose : purifier le Temple, purifier la maison de Dieu, c’est une des missions dans lesquelles Jésus se reconnaît : « le zèle de ta maison fera mon tourment » (Jn 2,17). Les Juifs qui sont témoins de ce signe demandent un autre signe. Cette déclaration d’un autre signe qui serait une attestation, une confirmation de la légitimité de Jésus à purifier le Temple, nous invite à mieux comprendre - c’est du moins, je l’espère, ce que nous pouvons lire dans l’évangile de saint Jean -, ce qui va se passer. En effet, tout l’évangile de Jean va faire apparaître une longue succession de signes. La guérison de l’aveugle né, la multiplication des pains…, ces signes que nous appelons aussi miracles sont donnés par Jésus non pas simplement comme une sorte de privilège personnel qui ferait la promotion de son statut de thaumaturge, de magicien, mais comme le signe de la présence de Dieu en lui. Quand il guérit, c’est Dieu qui guérit. Quand il multiplie les pains, c’est Dieu qui nourrit son peuple, etc. Nous savons bien - parce que l’évangile de Jean va nous l’expliquer - que les débats qui suivent ces signes vont être comme une sorte de représentation du drame personnel que vivent les témoins autour du Christ. Car les mêmes signes chez les uns vont provoquer la foi, chez les autres, ils vont provoquer l’hostilité et même conduire à l’arrestation de Jésus.
Ce qui nous fait réfléchir, c’est que les signes en eux-mêmes ne disent pas grand-chose ! Tout peut être signe, ou plus exactement tout événement peut devenir un signe : un signe pour la foi, ou un signe contre la foi. Tout dépend du cœur, tout dépend du regard, tout dépend de l’attente de ceux qui sont témoins du signe. Ainsi, nous comprenons pourquoi Jean nous dit que Jésus n’était pas dupe de ceux qui croyaient en lui à cause des signes, car il savait, lui, ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Ce qu’il cherchait, ce n’était pas de provoquer un engouement pour les signes, mais une conversion du cœur. Vous vous rappelez qu’à la fin de la multiplication des pains, au moment où la foule vient le rejoindre, il dit : vous me cherchez parce que je vous ai donné à manger, mais c’est Dieu qui nourrit. Nous voyons bien qu’il y a la tentation, ou le penchant permanent, de chercher ce qui nous éviterait de choisir. Ils réclament un signe devant lequel ils puissent s’incliner et accepter le Christ sans que leur propre cœur soit engagé dans cette acceptation : qu’il nous donne un signe qui nous oblige ! Et précisément, ce que fait Jésus, c’est de donner des signes qui n’obligent pas ! Il donne des signes qu’il faut accueillir et interpréter, qu’il faut relire comme la manifestation de la puissance de Dieu à travers le serviteur. S’il voulait s’établir comme roi d’Israël, il suffirait de faire des signes extraordinaires et tout le monde le suivrait, ce qui a été le cas dans la première partie de sa vie publique. Mais il n’est pas venu pour capter la puissance de Dieu à son bénéfice, il est venu pour ouvrir le cœur de l’homme à la puissance de Dieu. Il va donc se détourner de cette voie facile des signes qui obligent pour inviter ceux qui le suivent, ceux qui sont témoins de son action et de sa parole, à reconnaître que c’est Dieu qui agit en lui et que ce n’est pas lui qui agit sur Dieu.
Dans notre vie, nous aussi, nous sommes habités par cette tentation que Dieu nous oblige, qu’il nous force à abdiquer. Alors, nous croirons qu’il nous force à ne pas croire et alors nous croirons ! Justement, cela n’est pas cela que Jésus veut faire avec nous, il ne veut pas nous donner des signes qui nous dispensent de nous risquer dans la foi. Il veut nous donner des signes qui éveillent en nous le désir de la foi.
Nous acheminer vers Pâques, vers le renouvellement des promesses de notre baptême, c’est apprendre, avec les disciples de Jésus, à comprendre les événements de notre vie, non pas comme ce qui supprime notre liberté et notre devoir de choisir, mais comme ce qui éveille notre liberté et notre devoir de choisir. Tout événement, quel qu’il soit, peut devenir un signe pour celui qui croit ! Tout événement peut devenir signe de l’amour et de la puissance de Dieu, y compris les événements malheureux au regard des hommes dont nous sommes témoins et participants ! Tout concourt à nourrir le désir de Dieu dans le cœur de l’homme, tout sauf notre refus. Nous convertir, c’est accepter, cultiver le désir de Dieu dans le cours de nos journées, dans la suite des événements qui nous sont donnés comme des signes pour nourrir la foi. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.