Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Vigile pascale et messe à la Maison Marie-Thérèse

Samedi 3 avril 2021 - Maison Marie-Thérèse (14e)

– Vigile pascale

- Gn 1, 1 - 2,2 ; Ex 14, 15 - 15,1a ; Ez 36, 16-17a.18-28 ; Rm 6, 3b-11 ; Ps 117 ; Mc 16, 1-7

Frères et sœurs,

Les saintes femmes qui se rendent au tombeau au lever du soleil ont une grave préoccupation : qui va rouler la pierre ? Une énorme pierre ferme en effet le tombeau dans lequel elles pensent que repose le corps de Jésus crucifié, qu’elles sont venues embaumer. Il me semble que cette préoccupation, qui peut nous paraître bien futile par rapport à l’événement auquel elles vont participer, habite cependant aussi notre vie.

Combien de gens autour de nous sont obnubilés par l’épreuve ultime de la mort ? Combien sont-ils à être tracassés par le souci de savoir où ils vont être enterrés, comment ils vont être enterrés ? Comme si ces questions étaient une façon pour nous de gérer le moins difficilement possible la confrontation à l’incontournable : un jour, il faut quitter tout cela. Il faut quitter tout cela, mais pour aller où ? Quelle est la pierre qui obscurcit notre horizon et qui bouche notre chemin avant que nous puissions entrer dans le tombeau vide et savoir où nous allons ?

Cette confrontation est plus ou moins aigüe selon l’expérience des uns ou des autres, selon aussi les phases de notre vie collective. En ce moment, beaucoup de nos contemporains voient défiler jour après jour, en bas des écrans de leur télévision, la comptabilité des morts. Jamais la télévision n’a fait autant de place à la mort, pas seulement à la mort romancée ou filmée, mais à la mort réelle. Jamais elle n’a posé avec autant de force la question qui habite quand même le cœur de tout le monde : comment est-ce que je vais finir ? Et pour aller où ?

Alors, il y a des sauveurs. Il y a des sauveurs à plusieurs étages ! Le premier sauveur, c’est celui qui vous promet d’escamoter l’épreuve par la mort douce, au lieu d’être confronté à l’inconnu. Vous fixez le jour et l’heure et la manière dont vous arrêtez les frais. En supposant que cette thérapeutique permette d’éviter le choc... Il y a des sauveurs plus médicaux, et en face du nombre des morts, on vous affiche jour après jour le nombre des hospitalisés, dont on sait, ceux-là, qu’ils ne sont pas encore morts ! Le nombre des lits disponibles, le nombre des lits qui manquent, la mobilisation réelle de tant d’hommes et de femmes pour assister ceux qui sont malades, pour les accompagner, pour s’occuper d’eux, et la mobilisation plus virtuelle de ceux qui veulent prospérer sur ce marché, qui veulent expliquer que, eux, ils savent ce qu’il faut faire et comment il faut faire pour éviter la mort. Ils n’osent pas dire quand même que ce n’est que pour la différer…

Et nos trois femmes se trouvent confrontées au tombeau vide. C’est encore pire que le reste ! Le mort a disparu ! C’est un vrai roman policier… qui a enlevé le mort ? Et tout le monde va se proposer pour donner des explications, pour justifier qu’il ne soit plus là. Heureusement, il y a le jeune homme en blanc, qui est chargé de les éclairer et de leur rappeler que Jésus avait annoncé qu’il ressusciterait. Mais c’était une annonce tellement extraordinaire qu’on ne sait pas si quelqu’un l’a crue En tout cas, devant le tombeau vide, il a fallu un coup de pouce pour que tout le monde dise : c’était vrai ! C’était vrai, parce que le Dieu dont Jésus était le témoin, n’était pas le Dieu de la mort mais le Dieu de la vie. Il n’était pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants (Lc 20,38). C’était vrai parce que tout au long de l’histoire d’Israël, il n’a cessé de donner des signes et de poser des actes pour montrer qu’il était maître de la vie et de la mort. Et lui, il choisit la vie, comme il demande aux hommes de choisir la vie. Il veut que l’homme vive, c’est pour cela qu’il l’a créé. Il veut que l’humanité vive, il ne l’a pas créée pour l’anéantir, il l’a créée pour la conduire vers sa propre vie.

La résurrection de Jésus, c’est la manifestation de l’accomplissement de ce que Dieu veut pour les hommes. Si nous croyons que le Christ est ressuscité, si nous sommes baptisés dans la résurrection du Christ, si nous vivons de la vie du Christ grâce aux sacrements, c’est précisément pour nous permettre, non pas de fanfaronner devant les tombeaux, ni de nous croire plus malins que les autres, mais de savoir qu’il y a en chacune et en chacun d’entre nous, et dans l’Église rassemblée, une puissance de vie qui est plus forte que la mort inéluctable, et que cette puissance de vie nous permet d’avancer dans la paix et dans la confiance en Dieu qui ne trompe pas. Amen

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris

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