Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de l’Ascension du Seigneur à la Maison Marie-Thérèse
Jeudi 26 mai 2022 – Maison Marie-Thérèse (14e)
Chemin de foi et Mission
– Ascension du Seigneur - Année C
- Ac 1,1-11 ; Ps 46,2-3.6-9 ; He 9,24-28 et 10,19-23 ; Ep 1,17-23 ; Lc 24,46-53
Frères et Sœurs,
Au moment où Jésus disparaît aux yeux de ses disciples, on s’attendrait à ce qu’ils soient dans la consternation, mais l’évangile de Luc nous dit qu’ils « étaient en grande joie », parce que l’Ascension du Christ est l’accomplissement de ce qui avait été annoncé, de ce que, lui, leur avait annoncé, et qu’ils voyaient en lui leur propre ascension vers le Père.
En quittant ce monde de façon visible, Jésus leur ouvre un chemin et une mission. Ce chemin, nous aussi, nous sommes invités à le suivre, comme nous sommes invités à recevoir cette mission. Le chemin consiste à passer de la connaissance visible à la foi. La foi, ce n’est pas de reconnaître ce que l’on sait, c’est de croire ce que l’on ne sait pas ! La foi, c’est l’adhésion du cœur, le don de notre vie pour quelqu’un que l’on n’a jamais vu et que l’on ne verra jamais. C’est l’adhésion du cœur, le don de notre vie sur la parole de ces témoins qui l’ont connu, qui ont vécu avec lui, et à qui il a donné son Esprit.
Pour les disciples eux-mêmes, il y avait un chemin à faire, car jusqu’au dernier moment, ils croyaient que le Messie allait rétablir le Royaume d’Israël. Ils étaient encore dans leur représentation d’un Royaume de Dieu sur terre, ils étaient encore dans la représentation d’un Messie triomphant qui établirait ce Royaume. La passion, la mort, la résurrection du Christ les a dépouillés de cette croyance, pour les faire entrer dans la foi, c’est-à-dire dans la reconnaissance de la royauté de Dieu, non pas par la puissance des armes mais par l’amour des cœurs. Dans ce chemin de foi, ils sont les premiers à faire cette expérience de la communion au Christ que l’on ne voit plus et que nous ne verrons jamais. Sans le voir nous l’aimons, sans le voir nous croyons, et pourtant nous exultons de joie parce que nous reconnaissons que son passage parmi les hommes a été la source de la vie.
Ce chemin de foi auquel nous sommes invités à prendre part, c’est aussi une mission. La mission d’en être les témoins. Les apôtres que l’évangile nous présente rassemblés autour de Jésus ont été les premiers témoins, ceux qu’il avait choisis pour être les témoins, ceux qu’il a envoyés pour être les témoins, ceux auxquels il a donné son Esprit, pour être les témoins. C’est sur ce témoignage unique de ceux qui l’ont connu dans la chair et qui ont accédé progressivement à la foi, que reposent notre connaissance du Christ et notre foi elle-même. Heureux ceux qui croiront sans avoir vu ! Nous sommes de la génération de celles et de ceux qui croient au Christ sans l’avoir vu en s’appuyant sur le témoignage des apôtres. Mais nous ne sommes pas simplement les bénéficiaires d’une grâce inespérée, nous sommes les acteurs du même témoignage, puisque par l’Esprit du Christ que nous avons reçu, nous sommes incorporés au même corps que les apôtres. Par le don de l’Esprit, nous avons été constitués nous aussi, comme témoins de la résurrection du Christ, et pas seulement comme témoins par la parole, - encore qu’il faille la prendre de temps à autre -, mais comme témoins par notre manière de vivre. Nous ne sommes pas dans le monde simplement pour proclamer à voix forte que le Christ est auprès du Père et qu’il continue de guider les hommes, nous sommes dans le monde pour être l’incarnation actuelle de cette présence du Christ. En remontant vers le Père, Jésus n’a pas abandonné les hommes, il leur a laissé un signe de sa présence à travers ses disciples, à travers l’Église qu’ils vont fonder, à travers la puissance de l’Esprit qui va investir des hommes et des femmes qui deviendront les témoins du Christ ressuscité, et qui rendront ce témoignage non pas simplement dans la quiétude des périodes calmes, mais à travers toutes les péripéties de l’histoire. Cela n’est rien de proclamer la vie quand on n’est pas dans la mort, mais nous, c’est dans la mort que nous proclamons la vie. C’est confrontés à l’inéluctable qui traverse la vie des hommes, aux épreuves du corps et de l’esprit que nous essayons d’être fidèles à la mission que nous avons reçue, d’être les uns pour les autres le signe de la présence du Christ. Il nous a donné un commandement : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». À ceci on vous reconnaîtra pour mes disciples, à l’amour que vous aurez les uns pour les autres ! Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Des générations d’hommes et de femmes animés par l’Esprit du Christ ont donné leur vie jour après jour pour leurs frères, pour être fidèles à l’amour du Christ. À notre tour, confrontés à l’épreuve de la fin de vie, nous sommes invités à donner notre vie pour nos frères.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.