Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de Pentecôte à Saint-Joseph des Carmes
Saint-Joseph des Carmes (6e) - Dimanche 5 juin 2022
– Pentecôte - Année C
- Ac 2,1-11 ; Ps 103,1.24.29-31.34 ; Rm 8,8-17 ; Jn 14,15-16.23b-26
Frères et Sœurs,
Le don de l’Esprit Saint dont ont bénéficié les apôtres est un achèvement : l’accomplissement de la promesse que Jésus leur avait faite de leur envoyer un autre défenseur, et plus largement encore l’accomplissement de la promesse de Dieu faite à Israël et encore plus loin, de la promesse de Dieu faite à l’humanité ! Par ce don de l’Esprit Saint, Dieu marque définitivement qu’il a parti lié avec ses créatures et qu’il ne les abandonne pas : il leur envoie un défenseur.
Accomplissement de la promesse du Christ. Les évangiles nous ont montré les apôtres si souvent incapables de comprendre les événements auxquels ils participaient, ou les paroles du Christ qu’ils entendaient, ou le spectacle qui leur était donné à voir. Il nous est dit parfois dans les évangiles qu’ils sont « empêchés », comme s’ils dormaient au moment où il se passe quelque chose. Cet empêchement, cette incapacité à comprendre ce que le Christ réalise sous leurs yeux, va se prolonger jusqu’à la Pentecôte. Encore au moment de l’Ascension, il en est l’un d’entre eux pour demander si Jésus va bientôt rétablir le Royaume d’Israël ! Ils pensent, ils croient, ils espèrent, - en fonction de ce qu’ils savent -, que le Messie sera le Messie triomphant qui rétablira toute chose. Il n’aura pas suffi de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Christ pour les dépouiller de cette croyance et de cette espérance. Quand Jésus disparaît à leurs yeux dans la nuée, ils commencent à comprendre que son Royaume n’est pas de ce monde.
Mais pour entrer dans la plénitude de cette conscience, il faut que Dieu lui-même vienne éclairer leurs cœurs. C’est le don de l’Esprit qui va dissiper tous les voiles qui les empêchaient de voir et de comprendre, et qui va leur donner la plénitude de la connaissance : « Il vous rappellera tout ce que je vous ai dit. »
C’est donc un accomplissement qui se réalise. Les Actes des Apôtres nous en font le récit. Cet accomplissement n’est pas la fin d’une histoire romantique ou extraordinaire qu’il leur aurait été donnée de vivre avec Jésus pendant quelques mois. Ce n’est pas la fin d’un rêve. Cet accomplissement ouvre le chemin de l’avenir car cette vérité qui les éblouit, cette intelligence qui pénètre leurs cœurs au-delà de ce qu’ils pouvaient imaginer, ils ne la reçoivent pas pour eux-mêmes, ou plutôt la puissance qui vient les habiter - le Fils et le Père qui viennent demeurer en eux -, n’est pas un bien pour leur consommation personnelle, c’est un bien à destination universelle. Cette force va transformer ces pauvres galiléens en prédicateurs, et qui plus est en prédicateurs polyglottes, non pas parce qu’ils parleraient toutes sortes de langues, mais parce que les mots qu’ils expriment sous la pression de l’Esprit Saint rejoignent au cœur de leurs auditeurs l’attente d’une parole qu’ils comprennent, bien qu’elle ne soit pas la leur. Ce signe d’une capacité de parler qui est donné au début de l’Église, alors qu’on ne sait pas très bien si on peut dire quelque chose, d’une capacité d’exprimer ce qui a été vécu, d’éclairer les événements que tout le monde connaît, rejoint au cœur de l’humanité, l’attente confuse, enfouie parfois, reniée souvent, l’attente d’un salut.
De même que les Juifs et les Craignant-Dieu rassemblés en pèlerinage à Jérusalem, de toutes les provinces, sont ébahis d’entendre dans leur propre langue l’annonce de la Bonne nouvelle, de même, nous, nous avons entendu dans notre propre langue l’annonce de la Bonne nouvelle, non pas parce que l’Église était devenue une sorte d’école Berlitz, mais parce que l’Esprit qui s’exprimait à travers ces paroles rejoignait, comme saint Paul nous le dit dans l’épître aux Romains, l’Esprit qui était en nos cœurs et qui atteste que c’est cette vérité que nous attendons.
Nous le savons, l’Église a reconnu dans cet événement fondateur du don de l’Esprit Saint le point d’émergence de sa mission universelle : annoncer à toute créature l’amour et le pardon que Dieu offre aux hommes, l’alliance dans laquelle il nous invite à entrer, la communion qu’il accomplit en venant dans le cœur de ceux qui le cherchent.
Pour beaucoup d’entre-nous, nous avons connu une Église conquérante pour laquelle les dimensions universelles de la mission étaient comme un ADN inscrit, et nous avons du mal à comprendre que cette mission universelle continue de s’accomplir et qu’elle puisse s’accomplir sans nous, par d’autres voies, par d’autres hommes, par d’autres femmes. Et nous sommes menacés de devenir orphelins d’un défenseur qui nous est donné pour déborder de toute façon les pauvres limites dans lesquelles nous essayons de porter et de vivre l’évangile…
Célébrer la Pentecôte, c’est nous remettre à nouveau dans le dynamisme universel de cet Esprit : Dieu qui n’est limité ni par notre petit nombre, ni par nos faibles moyens, qui n’est limité que par les faiblesses de notre amour.
Que le Seigneur nous donne de retrouver la joie de ceux qui reçoivent l’Esprit Saint, comme tant de jeunes et d’adultes le reçoivent en ces jours, comme le don de l’accomplissement de la promesse du Christ, comme l’appel à la mission universelle qui demeure inscrite dans nos cœurs.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.