Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Obsèques du Chanoine Paul BOUQUEAU

Lundi 11 juillet 2022 - Chapelle de Tous les Saints de la Maison Marie-Thérèse (14e)

Frères et Sœurs,

97 ans, c’est le nombre des années que le Père Paul Bouqueau a passé sur cette terre, à connaître le Seigneur, à le faire connaître, à l’aimer, à le faire aimer, à le servir jusqu’au bout.

Ces 97 années, si je les évoque parmi vous, ce n’est pas pour faire état d’un record ! Il y en a ici qui sont plus avancés et qui ont passé le cap de la centaine, mais c’est pour nous aider à comprendre comment l’évangile que nous venons d’entendre nous invite à donner sens au temps qui passe. Au temps qui passe pour la création, comme saint Paul l’évoquait dans l’épitre aux Romains, des millions d’années qui se succèdent et pourquoi faire ? Pour quel but ? Le temps qui passe pour les générations humaines qui se succèdent, qui s’entretuent parfois, qui se servent parfois, qui essayent de se transmettre quelque chose de la sagesse humaine et qui découvrent, génération après génération, que cette transmission de la sagesse humaine reste bien fragile et que les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants ne correspondent pas à l’image que l’on se faisait de ce qu’ils deviendraient… Les années qui se succèdent dans nos vies personnelles… Chacune et chacun d’entre nous a vu défiler un certain nombre d’années, et pour ceux qui vivent ici à Marie-Thérèse : un grand nombre d’années. Et pourquoi une année de plus ? Pourquoi ne pas s’arrêter ? Pourquoi continuer ? Je n’ose pas dire pourquoi faire, car on a souvent le sentiment qu’on n’a rien à faire ! Mais pourquoi durer ?

L’évangile du Christ nous fait comprendre que le temps qui passe n’est pas simplement une routine, une fatalité inéluctable, une durée insignifiante. C’est le temps de l’attente, comme ces serviteurs qui veillent, qui travaillent en attendant le retour du maître, comme ceux et celles qui espèrent le retour du maître, qui appellent le retour du maître. De même que la création, muette, en termes humains, gémit dans les souffrances de l’enfantement, chemine mystérieusement vers un accomplissement que nous ignorons, dont nous ne connaissons ni le jour ni l’heure, de même l’histoire des hommes se déroule de façon si mystérieuse, malgré le spectacle que nous essayons d’en donner à travers notre société de communication. La clef de ce mystère demeure inconnue.
Qu’est-ce que cela veut dire ces foules d’hommes et de femmes qui meurent à travers le monde victimes de la violence, de la cupidité, de la haine, de la volonté de pouvoir ? Et pour chacun et chacune d’entre nous, qu’est-ce que cela veut dire vivre une année de plus ? Qu’est-ce que cela veut dire d’être prêt pour le moment où le maître viendra ?

Dans les dernières années de sa vie, le Père Paul Bouqueau, immobilisé d’une certaine façon, ne pouvait faire grand-chose d’autre que d’être, et d’essayer d’être en relation avec les autres, d’essayer de continuer dans l’état où il était, le ministère qui avait été le sien du temps de sa jeunesse : être prêt à accueillir le maître, espérer accueillir le maître, être dans l’attente de la venue du maître, travailler pour être prêt. Cela ne demande pas de pouvoir faire beaucoup de chose, cela ne demande pas de pouvoir changer les uns ou les autres, cela demande simplement d’avoir un désir dans le cœur, le désir d’être enfin avec Celui que nous attendons, le désir de hâter cette rencontre, le désir qu’Il vienne enfin. Et ce désir, comme tous nos désirs, n’est pas fait pour être satisfait à notre gré, ce désir entretient en nous la flamme de l’amour que nous portons au Christ parce qu’il nous a aimés le premier.

Frères et sœurs, en rendant grâce pour la vie et le ministère de Paul Bouqueau, pour ses 97 années de service et d’attente, nous demandons au Seigneur qu’il mette en nous la même patience, le même désir et la même conviction pour préparer son retour. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.

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