Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la messe avec les collégiens et lycéens confirmés au cours de l’année liturgique – fête du Christ-Roi
Cathédrale Notre-Dame de Paris – Dimanche 23 novembre 2008
Évangile de Jésus Christ selon saint Mathieu au chapitre 25, versets 31-46.
Chers amis,
Dire que le Christ siégera sur son trône de gloire, ou comme l’écrit saint Paul, « qu’il exerce la royauté jusqu’à son retour », évoque pour nous les sculptures, quelques fois très belles, des tympans des cathédrales qui représentent le Christ en majesté assis sur un trône. Nous avons aussi, de manière plus diffuse, l’image de ceux qui exercent le pouvoir parmi les hommes, et ont la puissance de commander et d’organiser le monde. Mais l’Évangile nous explique que si le Christ est roi, il n’exerce pas sa royauté à la manière des chefs de ce monde, mais à la manière dont Dieu veut être le roi de l’humanité, c’est-à-dire en étant un roi pasteur, un roi berger de son peuple, comme nous l’avons entendu tout à l’heure dans le livre du prophète Ezéchiel. Le Christ ne règne pas pour prendre le pouvoir, pour dominer les hommes ou pour les conduire malgré eux, mais pour les rassembler, pour aller à la recherche de la brebis perdue, pour soutenir celle qui est affaiblie, pour soigner celle qui est blessée. Ainsi, le Christ se fait serviteur de l’humanité et rassemble peu à peu tous les hommes en un seul troupeau qui est une seule famille.
Dès lors, nous comprenons mieux le jugement que le Christ exerce et que déploie ce passage du chapitre 25 de l’évangile selon saint Matthieu. En effet le Christ ne rassemble pas l’humanité contre son gré. Il n’y a pas une sorte de fatalité qui ferait que nous serions rassemblés par Dieu en un seul peuple quoique nous fassions et quoique nous disions, que nous disions bien ou que nous disions mal, que nous fassions bien ou que nous fassions mal. L’œuvre de Dieu qui s’accomplit ne consiste pas à rassembler des automates, des gens regroupés malgré eux, mais des hommes et des femmes libres, qui choisissent de rejoindre son troupeau. Et si cette liberté est réelle, cela veut dire que nous pouvons vivre de telle façon que nous nous rapprochons de Dieu, ou de telle façon que nous nous éloignons de lui.
Et ceci est vrai non seulement pour nous qui sommes chrétiens et qui avons la chance de connaître la volonté de Dieu et ses commandements, d’avoir rencontré le Christ, de pouvoir lire l’Évangile et d’y découvrir le chemin de la vie, mais c’est également vrai pour tous les hommes, même pour ceux qui ne connaissent ni Dieu ni l’Évangile. Il nous faut alors nous demander comment il est possible que Dieu exerce un jugement sur des hommes qui ne le connaissent pas, ou par rapport à quoi il peut juger des hommes et des femmes qui n’ont reçu aucune révélation. Nous qui avons appris dans l’Évangile : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé », nous comprenons que nous puissions être jugé par rapport à notre manière d’aimer ou de ne pas aimer. Mais comment pourraient être jugés ceux qui n’ont jamais entendu dire qu’il fallait s’aimer les uns les autres ou que le Christ nous a aimé jusqu’à la mort ?
Vous l’avez entendu : « J’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire, j’étais étranger vous m’avez accueilli, j’étais prisonnier vous m’avez visité, j’étais malade et vous m’avez secouru ». Et ceux à qui le roi s’adresse lui disent : « Mais quand avons-nous fait cela Seigneur ? » Ils n’ont jamais pensé qu’ils faisaient quelque chose pour le Christ. Et lui de leur répondre : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont les miens c’est à moi que vous l’avez fait ». Ils découvrent alors, tout étonnés, qu’à travers leur manière de vivre tous les jours, d’écouter leur conscience, d’exercer leur jugement ou de se sont comporter avec celles et ceux qu’ils ont rencontrés, ils ont fait implicitement le choix de l’amour. Ils apprennent que quand ils se sont mis au service de leurs frères, ils ont choisis Dieu, ils ont choisi le Christ. Peut-être n’ont-ils pas eu l’occasion, ni le temps, ni les mots pour dire qu’il s’agissait du choix du Christ, mais ils l’ont dit par leur manière de vivre. Ce n’est pas là une façon détournée de l’évangile de nous dire, à nous qui connaissons le Christ, qu’il suffit d’être gentil avec son voisin et de ne pas en faire plus. C’est la révélation que pour chacun, l’amour de Dieu va jusqu’au plus profond du cœur humain, là où la liberté s’exerce, là où la personne s’engage.
Chers amis, au moment de votre confirmation vous vous êtes souvent demandé ce que c’est que de vivre de la confirmation et de vivre en chrétien. Et bien vivre en chrétien c’est mettre en pratique la Parole de Dieu. C’est choisir d’exercer notre liberté jour après jour pour faire ce que Dieu nous demande. Et à mesure que nous le faisons, nos cœurs s’ouvrent et nous découvrons que les hommes et les femmes avec qui nous vivons, ne sont pas simplement des êtres ordinaires, mais qu’ils ont le visage même du Christ pour nous : « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits c’est à moi que vous l’avez fait. »
Prions l’Esprit que vous avez reçu et qui habite le cœur des chrétiens, pour qu’il nous donne la force et la détermination pour nous mettre au service les uns des autres, pour nous mettre au service du Christ en servant nos frères. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois
archevêque de Paris