L’Église et le judaïsme pour un dialogue renouvelé

Paris Notre-Dame du 15 juin 2023

Les éditions du Cerf publient, sous la direction de la Conférence des évêques de France (CEF), un petit guide destiné à « déconstruire l’antijudaïsme chrétien ». Entretien avec le P. Christophe Le Sourt, directeur du Service national pour les relations avec le judaïsme de la CEF.

Le rabbin Moché Lewin, vice-président de la Conférence des rabbins européens avec le P. Christophe Le Sourt, directeur du Service national pour les relations avec le judaïsme de la Conférence des évêques de France.
© Alain Azria

Paris Notre-Dame – Comment est né le projet d’écriture de ce livre et à qui est-il destiné ?

P. Christophe Le Sourt – Nous assis¬tons depuis quelques années à une banali¬sation de la violence et à une résurgence de l’antisémitisme. Face à cette situation, Mgr Éric de Moulins- Beaufort, au nom des évêques de France, a remis solennellement au grand rabbin de France, Haïm Korsia, une déclaration invitant à lutter contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme. La publication sous forme d’un livre nous est apparue la plus évidente pour rendre accessible, dans chaque diocèse, le fruit de cette réflexion. Nous l’avons imaginé comme un outil qui puisse permettre de briser les clichés douloureux de l’antijudaïsme chrétien, sous la forme d’un petit guide très simple d’utilisation : 150 pages divisées en 20 questions, accessibles à chacun, afin que tous aient accès à l’enseignement de l’Église.

P. N.-D. – Quel est le cliché principal de l’antijudaïsme chrétien et d’où vient-il ?

C. L. S. – Il faut balayer cette vieille idée qui perdure encore aujourd’hui et qui tient les Juifs pour responsables de la mort de Jésus. Le Concile de Trente, en 1545, déclarait pourtant que « l’Église tient que c’est à cause du péché de tous les hommes que le Christ, dans son immense amour, s’est soumis à sa passion et à sa mort pour que tous obtiennent le Salut ». Rien ne justifie dans les Écritures l’accusation de déicide. L’Église elle-même a ses torts sur ce point : il a fallu attendre 1965 pour que s’opère un véritable tournant dans l’approche du judaïsme avec la publication de la déclaration conciliaire Nostra ætate. L’antijudaïsme est multiséculaire : d’immenses progrès ont été faits mais certaines mentalités tardent encore à évoluer et nous pouvons encore faire grandir cette fraternité essentielle entre Juifs et chrétiens. C’est par méconnaissance, non seulement du judaïsme, mais aussi du christianisme que ces clichés perdurent. Jean-Paul II affirmait d’ailleurs que « quiconque rencontre Jésus-Christ rencontre le judaïsme », et il a beaucoup insisté sur ce point tout au long de son pontificat. Si l’antisémitisme repose sur de pseudo-considérations raciales, l’antijudaïsme repose sur de pseudo-considérations religieuses. Pourtant, lorsque l’Église scrute son propre mystère, elle comprend qu’elle ne peut pas oublier le fait qu’elle est de la lignée d’Abraham.

P. N.-D. – Marie était juive, Jésus, son fils, aussi : comment expliquer que perdure cet antijudaïsme contradictoire avec la foi chrétienne ?

C. L. S. – C’est la tentation de la « causalité diabolique » comme la nommait l’historien Léon Poliakov, ou la nécessité de trouver un « bouc émissaire », selon les mots de René Girard. Nos sociétés ont toujours besoin de coupables et l’antisémitisme est polymorphe. Finalement, ce livre synthétise ce qu’on ne peut pas dire en tant que catholique : affirmer que les Juifs ont tué Jésus, que l’Église a pris la place du peuple élu, ou encore que le Dieu de l’Ancien Testament n’est pas le même que celui du Nouveau Testament sont autant d’allégations contraires à l’enseignement de l’Église. C’est ce qu’a démontré Benoît XVI dans son Jésus de Nazareth lorsqu’il écrit que « le sang de Jésus parle une autre langue que celui d’Abel : il ne demande ni vengeance ni châtiment, mais réconciliation ».

Propos recueillis par Morgane Afif

Déconstruire l’antijudaïsme chrétien,
Conférence des évêques de France,
éd. du Cerf, 160 p., 18 €.

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